À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

28/05/2011

C’est le système qui fait défaut

François Leclerc 

Devant le tir de barrage de la BCE qui se poursuit, ou bien parce qu’il en partagent ouvertement les objectifs pour leurs raisons propres, comme les Français, les dirigeants européens s’engouffrent vers la seule porte de sortie qu’il leur reste : la vente du patrimoine grec, afin de rembourser un trou financier que personne ne veut combler, chacun convaincu de ses bonnes raisons. Un nouveau prêt complémentaire pourrait alors permettre de rouler la dette restante, pour voir venir.
La confiance, longtemps accordée aux Grecs, quitte à fermer complaisamment les yeux quand il l’a fallu – comme pour d’autres, et non des moindres – n’est plus au rendez-vous, et le temps presse. Il est donc fortement question, en sous-main, de créer une agence chargée de la vente de ces actifs, qui ne serait plus pilotée par les autorités grecques elles-mêmes mais par des experts. Ce qui s’apparente à une pure et simple saisie, suivie d’une vente dans des conditions douteuses, puisque effectuées dans la précipitation. Il va y avoir de bonnes occasions à saisir, la financiarisation va y trouver son compte.
Les artisans de cette brillante idée seront jugés à l’aune de leurs résultats. Mais en attendant, il n’est pas inutile de revenir encore une fois sur le blocage de la BCE, dont les motifs s’éclaircissent peu à peu.
Rappelons les faits : bien que représentant 5% du PIB de la zone euro, les banques grecques, irlandaises et portugaises ont à elles seules emprunté 242 milliards d’euro à la BCE, soit 55% de l’ensemble des liquidités que la BCE a apporté au système bancaire dans toute la zone euro. N’ayant pas le choix, celle-ci n’a pas été toujours regardante sur la qualité des actifs pris en pension à titre de garantie. Il est aussi estimé que 150 milliards d’euros d’actifs détenus par la BCE à titre de collatéral proviennent des banques grecques … munies de la garantie de l’Etat. Enfin, parmi les 75 milliards d’euros d’obligations d’Etat achetés par la BCE, au moins les deux tiers des titres sont grecs.
L’édifice financier est donc fragile, même si JP Morgan Chase a calculé que l’Eurosystème pourrait faire face à une décote de 50% des obligations grecques, disposant de 81 milliards d’euros de fonds propres en totalité. Mais il n’en serait pas de même si l’Irlande et le Portugal s’engageaient dans la même voie, une reconstitution des fonds propres aux frais des Etats étant alors inévitable.
Cette exposition de la BCE est donc devenue problématique ; ne pouvant arrêter la distribution de ses liquidités aux banques des pays de la zone des tempêtes, elle ne peut céder en retour les actifs pris en pension et menacés d’être dévalués. Elle roule la dette de ces banques, en attendant mieux. Le plan de sauvetage portugais, après l’irlandais, comporte certes un financement destiné aux banques de ces pays – venant alors en substitution de celui de la BCE – mais il s’est déjà révélé insuffisant dans le cas de l’Irlande.
L’impasse dans laquelle se trouve la BCE n’est pas uniquement le produit d’un enchaînement fatal, fait de ses mesures d’injection de liquidité et des achats d’obligations souveraines destinés à parer au plus pressé. C’est, pour aller au fond des choses, l’expression de la faillite d’un système financier reposant sur un endettement grandissant ainsi que sur l’étroite interdépendance de tous ses acteurs. Avec comme clé de voûte une banque centrale qui n’est pas outillée pour faire face à ce déséquilibre. Ou, pour le dire autrement, sur le bon fonctionnement d’une machine à produire de la dette sur laquelle reposait une bonne partie de la prospérité du système financier, et qui pour le coup fait défaut dans son ensemble.
Ce que la crise européenne de la dette publique et privée conjointe est en train de démontrer, c’est que ce qui est en priorité à redouter n’est pas la reprise des jeux dans le grand casino, comme on pouvait le dénoncer. C’est la constatation qu’un engrenage et levier essentiel du système est grippé, et qu’il ne peut pas être réparé avec les moyens envisagés. Aux Etats-Unis, le même phénomène prend une autre forme, mais il est similaire. L’Etat n’est pas en mesure de digérer son sauvetage du système financier, sauf à pratiquer des coupes budgétaires qui sanctionneront le déclin du pays et rendront structurelle l’aggravation de la crise sociale.
Il en ressort deux conséquences :
1/ La croissance économique reposant sur l’endettement est pour partie compromise, ne pouvant pas retrouver les sommets atteints. Elle est donc désormais condamnée à rester réduite dans les pays occidentaux. L’équation sur laquelle repose leur désendettement n’a alors plus de solution.
2/ En menaçant la solidité financière des Etats, le système s’est mis lui-même en danger, car il est en train de perdre son point d’appui financier : la dette souveraine dont le remboursement est désormais entaché d’incertitude.
La situation que nous connaissons a un côté fin de fête avec d’une part une monnaie internationale de référence dont les années sont nécessairement comptées, et de l’autre des obligations souveraines qui ne sont plus le roc sur lequel le système pouvait s’appuyer pour faire levier.
Avec une bourse toujours incertaine, des matières premières dont le cours monte et baisse sans crier gare, sans autre raison qu’une spéculation orchestrée par un nombre très réduit d’intervenants, et un marché monétaire sur lequel les possibilités spéculatives du carry trade connaissent de premières menaces avec l’élévation de barrières réglementaires au sein des pays émergents (même l’OCDE l’admet du bout des lèvres), les marchés cherchent où placer leurs gigantesques liquidités, les obligations devenues à leur tour suspectes. Le marché des obligations sécurisées, que les banques émettent en ce moment à tour de bras afin de renforcer leurs fonds propres, n’étant pas en mesure de répondre à l’offre…
Annoncée comme résultant d’une surproduction de biens et de services associée à un chômage structurel grandissant, la crise aboutit à une surproduction de capitaux, également à la recherche de leur emploi en quelque sorte…
Le système financier est donc menacé par une singulière situation dont il est lui-même à l’origine. Il a réussi à conserver la maitrise de ses instruments spéculatifs à fort rendement, mais il a lui même sapé le socle qui lui est nécessaire afin de se reposer sur des actifs de qualité, avec un moindre rendement mais de tout repos. Il est parvenu à largement se défausser de sa dette, mais celle-ci ne peut être comme espéré digérée et menace de se représenter à lui.
Que peut faire dans l’immédiat la BCE ? La stratégie qu’elle défend repose sur trois piliers : éviter que les créanciers privés de la dette publique ne soient atteints par une décote, obtenir que les Etats se substituent à elle pour intervenir sur le marché obligataire (via leur fond de stabilité européen), et parvenir à ce qu’ils adoptent un régime de sanctions automatiques en cas de dépassement de leurs limites de déficit, afin de résorber la dette publique par eux-mêmes. Les plans de sauvetage qu’ils adoptent ayant vocation à financer les banques via les Etats qui en bénéficient afin que la BCE puisse stopper ses injections massives de liquidité sous la forme actuelle.
Ce programme reporte sur les Etats européens la totalité du poids d’une dette que les plus faibles ne parviennent pas à supporter, déjà entrés dans la zone des tempêtes ou pouvant vite y être entraînés. Sa réalisation implique de facto une mutualisation de la dette sous une forme ou sous une autre. Faute de celle-ci, la BCE n’aura comme choix que de laisser éclater la zone euro – aux risques et périls de tous – ou de manger son chapeau.
Dans ce dernier cas, elle affrontera alors la situation que rencontrent déjà la Banque d’Angleterre et la Fed, qui ne s’en dépêtrent pas, bien maigre consolation ! La crise européenne de la dette n’est qu’une version particulière de la crise générale de la dette que connaît le capitalisme financier.

Blog Jorion

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails