Andreï Fediachine
Le dernier sommet d’automne de l’UE à Bruxelles les 28 et 29 octobre a finalement accepté de corriger le traité martyr de Lisbonne consacrant la réforme de l’UE (la constitution nominale de l’UE). En effet, près de 10 ans, à compter de 2001, se sont avérés nécessaires pour satisfaire tous les 27 membres de l’Union, et, après beaucoup d’efforts, on n’y est parvenu que le 1er décembre 2009. En d’autres termes l’accord existe depuis moins d’un an, ce qui ne représente pas un délai conséquent pour l’entrée en vigueur de la Constitution européenne. On a à peine eu le temps de s’y habituer qu'il faut déjà la remanier.
Ce n’est pas parce que l’accord est "inconfortable" pour tous, mais parce qu’il gène "les plus égaux", l’Allemagne et la France. Or il n’était encore jamais arrivé que les deux principaux donateurs de la communauté soient incapables de convaincre les partenaires qu’une chose incompatible à leurs yeux, le fût également pour les autres.
En fait, la décision d’apporter des modifications a été prise lors de la dernière réunion de Deauville, une semaine auparavant. On y annonçait l’aspiration à renforcer la discipline financière de l’Europe, la réglementation juridique dans le traité de Lisbonne d’un mécanisme permanent d’aide financière au profit des membres de la zone euro (cette notion apparaît pour la première fois), voire la déchéance du droit de vote en UE des pays commettant des infractions financières (dépassant les plafonds établis de la dette nationale ou du déficit budgétaire).
Tous ces points devraient être approuvés, à l’exception du dernier. L’UE créera un mécanisme permanent de régularisation anticrise et appliquera sélectivement des pénalités aux pays dépassant le plafond de déficit et de dette. La privation du droit de vote a été considérée comme une mesure trop radicale. Berlin et Paris ont facilement accepté de l'alléger, ce qui signifie que c’était un "gambit" afin que l’exercice ne ressemble pas trop à un dictat franco-allemand.
"Le coffre" pour les pauvres sera inclus dans la constitution européenne
Même avant la crise financière, l’UE avait des fonds pour prêter de l’argent aux pays en retard. Le problème est qu’il n’existait aucune base juridique pour leur octroi. On n’imaginait probablement pas que les crises de l’euro de telle envergure puissent survenir. D’où la nécessité de modifier la constitution.
Il s’agit avant tout de la réglementation constitutionnelle (dans le traité de Lisbonne) de la création d’un fonds financier permanent destiné au soutien des membres de la zone euro, dont les problèmes budgétaires menacent "d’engloutir" la monnaie commune, ce qui aurait des conséquences économiques catastrophiques.
Ce "fonds d’urgence" d’aide aux pays en retard naîtra du Fonds européen temporaire de stabilité financière, créé cette année afin de sauver la Grèce en faillite (une aide de 110 milliards d’euros a été accordée) et de stabiliser les budgets divisés par trois de l’Espagne, de l’Irlande, du Portugal etc. (le fonds global s’élève à près de 500 milliards d’euros). Ce fonds cessera d’exister en 2013. Et l’approbation des modifications du traité de Lisbonne a été précisément prévue pour fin 2012-2013. Le fonds sera créé à partir des budgets du Fonds monétaire international (FMI), de l’UE et des banques privées.
L’Allemagne avait besoin de la réglementation de la banque paneuropéenne de soutien car les mesures financières, destinées à sauver les gaspilleurs comme la Grèce, n’avaient aucune base juridique. Le règlement de l’UE ne cite aucune disposition relative à la nécessité de secourir les pays en infraction par la le rachat de leur dette étrangère. L’opposition d’Angela Merkel avait menacé la chancelière de la déférer devant la Cour constitutionnelle pour avoir accepté d’aider la Grèce. Les Allemands qui ont automatiquement transféré tout leur amour des pfennigs sur les centimes de l'euro ont également été indignés par le fait que la Grèce ait " touché " à leur portefeuille. Cela a généralement des conséquences néfastes aux élections.
Nicolas Sarkozy a accepté de soutenir la chancelière, mais seulement après l’abandon par cette dernière de la condition d’instaurer des sanctions automatiques contre tous les pays de la zone euro qui dépassent le plafond du déficit (3% du PIB) et de la dette nationale (60% du PIB). "La culpabilité", à la demande de Sarkozy, sera évaluée au cas par cas, compte tenu des circonstances.
Et c’est bien légitime. De quel automatisme peut-on parler lorsque le déficit des Français atteint 8% et la dette nationale 78% du PIB. Les Britanniques – 11,5% et 68% respectivement. Le déficit de l’Irlande s’élève à 14%, plus de 13% pour la Grèce, 11% en Espagne, plus de 5% en Italie, en Belgique, en Pologne, au Portugal, en République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie. L’Allemagne elle-même accuse un déficit de 3,3% avec une dette nationale de 73%. Seuls les sœurs scandinaves, le Danemark (2,7%), la Finlande (2,2%) et la Suède (0,5%, record de l’Europe), et le Luxembourg (0,7%) restent "disciplinés."
Comment changer un accord immuable?
Tout s’avère relativement simple. Quand il le faut. L’Union Européenne est une chose étonnante. On ne trouve nulle part ailleurs de système autorégulé et autopréservé aussi solide qui arrive à s’en sortir quelle que soit la crise, et les crises n'ont pas manqué.
En principe, le traité de Lisbonne relatif à la réforme, signé en 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009 n’est pas sensé être changé. Si on y apporte des amendements, ils doivent être coordonnés et approuvés par tous les 27 pays, la Commission européenne, puis ratifiés par leurs parlements et le Parlement européen.
Seule l’idée que "Lisbonne" allait de nouveau être livré à la merci des législateurs, ou, pire encore, des référendums nationaux, donnait des sueurs froides à la majorité des membres de l’UE. Cette dernière n’aurait jamais survécu à une nouvelle série de référendums.
La constitution européenne de 2007-2009 a déjà été "torturée" par les référendums. Elle a été refusée en 2005 par la France et par les Pays-Bas. L’Irlande avait organisé le référendum à deus reprises. Lisbonne annule également le procédé consensuel de vote et instaure un nouveau système sous la forme d’une "majorité double" qualifiée, privant ainsi les pays récalcitrants d’Europe de l’Est du droit de veto. Ce procédé entrera en vigueur à partir de 2014. Selon lui, la décision est considérée comme approuvé au-delà de 55% des votes des pays d’UE représentants plus de 65% de la population. De plus, le poste présidentiel de l’UE devient permanent avec un mandat de deux ans et demi.
Le traité de Lisbonne subira désormais ce qu’on appelle à Bruxelles "la procédure de révision simplifiée". L’administration de la Commission européenne et du président de l’UE devra, et ce avant le prochain sommet de l’UE en décembre, consulter tous ses membres et élaborer des recommandations de ratification.
Un bref amendement sera probablement ajouté à l’accord en exigeant seulement l’assentiment des pays membres et des ratifications par les parlements, au lieu du réexamen de l’accord dans son intégralité. Sans recourir au référendum. Un tel amendement pourrait être rédigé en tant qu’avenant à la disposition relative à l’adhésion de la Croatie à l’UE fin 2012. Seule l’amendement nécessitera d’être ratifié dans ce cas.
Il s’avère que "l’enlèvement d’Europe" et sa réadaptation n’est pas une chose si difficile. A condition que Berlin et Paris s’en chargent tous les deux.
http://www.alterinfo.net/Sommet-de-l-UE-le-nouvel-enlevement-d-Europe_a51315.html
Ce n’est pas parce que l’accord est "inconfortable" pour tous, mais parce qu’il gène "les plus égaux", l’Allemagne et la France. Or il n’était encore jamais arrivé que les deux principaux donateurs de la communauté soient incapables de convaincre les partenaires qu’une chose incompatible à leurs yeux, le fût également pour les autres.
En fait, la décision d’apporter des modifications a été prise lors de la dernière réunion de Deauville, une semaine auparavant. On y annonçait l’aspiration à renforcer la discipline financière de l’Europe, la réglementation juridique dans le traité de Lisbonne d’un mécanisme permanent d’aide financière au profit des membres de la zone euro (cette notion apparaît pour la première fois), voire la déchéance du droit de vote en UE des pays commettant des infractions financières (dépassant les plafonds établis de la dette nationale ou du déficit budgétaire).
Tous ces points devraient être approuvés, à l’exception du dernier. L’UE créera un mécanisme permanent de régularisation anticrise et appliquera sélectivement des pénalités aux pays dépassant le plafond de déficit et de dette. La privation du droit de vote a été considérée comme une mesure trop radicale. Berlin et Paris ont facilement accepté de l'alléger, ce qui signifie que c’était un "gambit" afin que l’exercice ne ressemble pas trop à un dictat franco-allemand.
"Le coffre" pour les pauvres sera inclus dans la constitution européenne
Même avant la crise financière, l’UE avait des fonds pour prêter de l’argent aux pays en retard. Le problème est qu’il n’existait aucune base juridique pour leur octroi. On n’imaginait probablement pas que les crises de l’euro de telle envergure puissent survenir. D’où la nécessité de modifier la constitution.
Il s’agit avant tout de la réglementation constitutionnelle (dans le traité de Lisbonne) de la création d’un fonds financier permanent destiné au soutien des membres de la zone euro, dont les problèmes budgétaires menacent "d’engloutir" la monnaie commune, ce qui aurait des conséquences économiques catastrophiques.
Ce "fonds d’urgence" d’aide aux pays en retard naîtra du Fonds européen temporaire de stabilité financière, créé cette année afin de sauver la Grèce en faillite (une aide de 110 milliards d’euros a été accordée) et de stabiliser les budgets divisés par trois de l’Espagne, de l’Irlande, du Portugal etc. (le fonds global s’élève à près de 500 milliards d’euros). Ce fonds cessera d’exister en 2013. Et l’approbation des modifications du traité de Lisbonne a été précisément prévue pour fin 2012-2013. Le fonds sera créé à partir des budgets du Fonds monétaire international (FMI), de l’UE et des banques privées.
L’Allemagne avait besoin de la réglementation de la banque paneuropéenne de soutien car les mesures financières, destinées à sauver les gaspilleurs comme la Grèce, n’avaient aucune base juridique. Le règlement de l’UE ne cite aucune disposition relative à la nécessité de secourir les pays en infraction par la le rachat de leur dette étrangère. L’opposition d’Angela Merkel avait menacé la chancelière de la déférer devant la Cour constitutionnelle pour avoir accepté d’aider la Grèce. Les Allemands qui ont automatiquement transféré tout leur amour des pfennigs sur les centimes de l'euro ont également été indignés par le fait que la Grèce ait " touché " à leur portefeuille. Cela a généralement des conséquences néfastes aux élections.
Nicolas Sarkozy a accepté de soutenir la chancelière, mais seulement après l’abandon par cette dernière de la condition d’instaurer des sanctions automatiques contre tous les pays de la zone euro qui dépassent le plafond du déficit (3% du PIB) et de la dette nationale (60% du PIB). "La culpabilité", à la demande de Sarkozy, sera évaluée au cas par cas, compte tenu des circonstances.
Et c’est bien légitime. De quel automatisme peut-on parler lorsque le déficit des Français atteint 8% et la dette nationale 78% du PIB. Les Britanniques – 11,5% et 68% respectivement. Le déficit de l’Irlande s’élève à 14%, plus de 13% pour la Grèce, 11% en Espagne, plus de 5% en Italie, en Belgique, en Pologne, au Portugal, en République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie. L’Allemagne elle-même accuse un déficit de 3,3% avec une dette nationale de 73%. Seuls les sœurs scandinaves, le Danemark (2,7%), la Finlande (2,2%) et la Suède (0,5%, record de l’Europe), et le Luxembourg (0,7%) restent "disciplinés."
Comment changer un accord immuable?
Tout s’avère relativement simple. Quand il le faut. L’Union Européenne est une chose étonnante. On ne trouve nulle part ailleurs de système autorégulé et autopréservé aussi solide qui arrive à s’en sortir quelle que soit la crise, et les crises n'ont pas manqué.
En principe, le traité de Lisbonne relatif à la réforme, signé en 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009 n’est pas sensé être changé. Si on y apporte des amendements, ils doivent être coordonnés et approuvés par tous les 27 pays, la Commission européenne, puis ratifiés par leurs parlements et le Parlement européen.
Seule l’idée que "Lisbonne" allait de nouveau être livré à la merci des législateurs, ou, pire encore, des référendums nationaux, donnait des sueurs froides à la majorité des membres de l’UE. Cette dernière n’aurait jamais survécu à une nouvelle série de référendums.
La constitution européenne de 2007-2009 a déjà été "torturée" par les référendums. Elle a été refusée en 2005 par la France et par les Pays-Bas. L’Irlande avait organisé le référendum à deus reprises. Lisbonne annule également le procédé consensuel de vote et instaure un nouveau système sous la forme d’une "majorité double" qualifiée, privant ainsi les pays récalcitrants d’Europe de l’Est du droit de veto. Ce procédé entrera en vigueur à partir de 2014. Selon lui, la décision est considérée comme approuvé au-delà de 55% des votes des pays d’UE représentants plus de 65% de la population. De plus, le poste présidentiel de l’UE devient permanent avec un mandat de deux ans et demi.
Le traité de Lisbonne subira désormais ce qu’on appelle à Bruxelles "la procédure de révision simplifiée". L’administration de la Commission européenne et du président de l’UE devra, et ce avant le prochain sommet de l’UE en décembre, consulter tous ses membres et élaborer des recommandations de ratification.
Un bref amendement sera probablement ajouté à l’accord en exigeant seulement l’assentiment des pays membres et des ratifications par les parlements, au lieu du réexamen de l’accord dans son intégralité. Sans recourir au référendum. Un tel amendement pourrait être rédigé en tant qu’avenant à la disposition relative à l’adhésion de la Croatie à l’UE fin 2012. Seule l’amendement nécessitera d’être ratifié dans ce cas.
Il s’avère que "l’enlèvement d’Europe" et sa réadaptation n’est pas une chose si difficile. A condition que Berlin et Paris s’en chargent tous les deux.
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