Patrick Williams
Alors qu'on réfléchit en vain à limiter les bonus, Florence Noiville, dans son livre « J'ai fait HEC et je m'en excuse » prend le problème à la base et explique qu'il est urgent de réformer l'éducation des puissants.
Les grandes écoles fabriquent-elles des tueurs ? Ces vénérables institutions -HEC, Polytechnique et autres Mines- ont-elles façonné les desperados en costars cravates qui sont responsables de la crise ?
C'est la thèse percutante du livre de Florence Noiville « J'ai fait HEC et je m'en excuse » (ed. Stock). Certes on ne s'attendait pas à ce que ces fleurons éducatifs produisent des militants altermondialistes ou des punks à chiens. Mais son constat est sévère.
Selon elle, la seule philosophie qui y règne est « greed is good » (« l'avidité est bonne ») ou ce qu'elle appelle MMPRDC (« Make more profit, the rest we don't care »). Ces écoles tant admirées, rêve de tout parent, formeraient ainsi des as du management et de la finance sans jamais essayer de leur inculquer un minimum de valeurs, de souci éthique.
« On n'y apprend pas à se remettre en cause, explique-t-elle. On en sort gonflé du sentiment de sa propre importance, omubilé par la seule réussite économique. ».
Des élites « déréglées »
L'originalité de son ouvrage ? Alors qu'on réfléchit en vain à limiter les bonus, Florence Noiville, elle, prend le problème à la base, « au moment où les esprits se forment », et explique qu'il est urgent de réformer l'éducation des puissants. Comment espérer réguler le système, comme s'y essaient à nouveau les gouvernements au G20 de Pittsburgh, si les grandes écoles à travers le monde produisent des élites « déréglées » ?
Le mathématicien Denis Guedj ne disait pas autre chose l'an passé quand il dénonçait dans Libération les « jeunes golden génies » de Dauphine qui, encouragés par leurs profs, ont totalement dévoyé les mathématiques en créant des produits financiers aussi rentables que toxiques. Commentaire de Florence Noiville :
« Ces écoles prennent les plus brillants des jeunes des prépas et en font des gens qui non seulement n'apportent rien au corps social mais quelquefois même lui nuisent ! Quel fantastique gachis de cerveaux ! »
Certes ces dernières années, les business schools ont vu fleurir des cours d'alter-management, de business social, de développement durable. Mais pour l'auteur, ces tentatives restent trop minoritaires, alibis sympathiques dédaignés par de nombreux étudiants.
« Beaucoup de ceux que j'ai rencontrés considèrent que l'éthique, c'est du pipeau. Songez qu'un an après la déroute financière, les cours de morale des affaires ne sont toujours pas obligatoires à HEC ! »
« Je n'enseignais qu'aux freaks du campus »
Même son de cloche du côté d'Elisabeth Laville, ancienne HEC et fondatrice de Utopies, un cabinet de conseil en développement durable :
« J'ai donné des cours à HEC en 2000 sur le sujet, mais j'ai arrêté au bout de quelques temps. J'étais déçue que toutes les matières un peu “responsables” ne soient qu'optionnelles. Résultat : je n'enseignais qu'aux “freaks” du campus, ceux qui n'étaient pas trop sûrs de ce qu'ils faisaient là… »
Elle déplore qu'aucun cours n'amène ces futurs managers à s'interroger sur le sens de la vie, sur leur épanouissement personnel. « On attend qu'ils pètent les plombs pour qu'ils se mettent à réfléchir à leur existence… »
« Des gens disciplinés, prompts à se soumettre à toute autorité »
Pourtant, tous ne sont pas aussi pessimistes. Damien Lorton, auteur, sous le nom de Teodor Limann, de « Classé X : petits secrets des classes prépas » (ed. La Découverte), témoigne :
« J'ai rencontré des intelligences très vives à Polytechnique, soucieuses comme tout le monde de morale et du sens de la vie. Le problème est plutôt que le bachotage effrené fabrique des gens disciplinés, prompts à se soumettre à toute autorité. »
On pense à ces traders comme Jérôme Kerviel qui, pris les doigts dans la confiote, se sont défaussés comme des gosses de leurs responsabilités. Récemment, dans « Le Nouvel Observateur », un « ingénieur financier » résumait l'état d'esprit un rien puéril de la profession :
« Pourquoi serions-nous les bouc émissaires de la crise ? Et les banquiers d'affaires ? Ils ont des bonus au moins aussi élevés… ».
Ouh lala, la pauvre victime… A 400 000 euros de bonus par an, mon gaillard, il va falloir réfléchir plus fort pour essayer de gagner notre sympathie. Damien Lorton se dit peu convaincu par une réforme des grandes écoles. Il croit moins aux vertus de l'éducation qu'à celles de la régulation :
« Tant que l'on pourra gagner des sommes faramineuses, certains se laisseront tenter… Si l'on veut influer sur le cours des choses, il n'y a qu'une seule solution : limiter les bonus et les rémunérations. »
La nature humaine ne change pas : ce sont les lois qui changent
Daniel Cohen, auteur du récent et passionnant ouvrage « La Prospérité du vice » (ed. Albin Michel), va dans ce sens :
« Comme Spinoza, je pense que la nature humaine ne change pas : ce sont les lois qui changent. Les financiers d'aujourd'hui ne sont pas plus cupides que ceux d'il y a trente ans. C'est juste les règles qui se sont modifiées. Ou plutôt qui ont disparu. »
Pour transformer le monde, faut-il seulement de nouvelles règles ? Ou l'éducation a-t-elle un rôle à jouer ? Le livre de Florence Noiville a le mérite d'ouvrir le débat. Et nous amène à voir les choses sous un jour nouveau : l'éternelle « réforme de l'école » rabachée chaque année par nos gouvernants ? C'est peut-être d'abord chez HEC et consorts qu'elle devrait avoir lieu !
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