Alain Accardo
Beaucoup de bonnes âmes se sont émues de la révélation que les États-Unis, à des fins d’expérimentation médicale in vivo, avaient entrepris, entre 1946 et 1948, d’inoculer des maladies sexuellement transmissibles à de malheureux guatémaltèques tiré(e)s des prisons, des bordels, des asiles d’aliénés, des casernes et autres géhennes du Guatemala.
Pour ces derniers, l’inoculation de la syphilis et de la blennoragie à des populations étrangères vulnérables n’avait d’autre but que de faire profiter ensuite les contaminés d’un nouveau médicament, la « pénicilline », le tout premier antibiotique, qu’on avait introduit récemment dans la thérapeutique et dont on souhaitait mieux connaître les effets sur les maladies vénériennes.
Ainsi, loin d’être une manifestation de mépris raciste pour de pauvres sous-humains laissés pour compte, le pourrissement méthodique et contrôlé de leurs relations sexuelles s’inscrivait-il dans l’immense et généreuse croisade entamée par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale pour entraîner le reste du monde sur la voie du bonheur à l’américaine.
Le Guatemala n’est pas le seul à leur avoir servi de terrain d’expérience. C’est en effet très exactement à cette époque-là qu’ils ont entrepris de mettre en œuvre, dans le cadre du fameux « Plan Marshall », leur rêve d’hégémonie mondiale au moyen d’injections massives de dollars, de chewing-gum, de Coca-Cola, de DDT, de pin-ups et autres ingrédients de l’american way of life qui allaient rapidement transformer les pays occidentaux en satellites de Washington, leurs administrations en bureaux d’affaires des trusts et leurs populations en troupeaux robotisés de consommateurs conditionnés par les banques et les agences de publicité.
Systématiquement, quasi scientifiquement, les Américains ont entrepris de ranimer le semi-cadavre exsangue de l’Europe et de lui insuffler une vie nouvelle à leur image. À grand renfort de packs de bière, de pop-corn, de jeans, de chaussettes en nylon, de films en technicolor et de 45-tours en vinyle, ils ont fait entrer à marche forcée les culs-terreux du Vieux Monde dans un Eldorado qui, aux dires du général Marshall, ne devait plus jamais connaître « la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos ». Cette gigantesque opération de transfusion, que les peuples européens ont payée de leur décervelage, a entraîné là encore l’inoculation aux cobayes indigènes de divers micro-organismes particulièrement virulents, dont les effets conjugués constituent la pathologie spécifique du régime capitaliste.
Pour ne citer que quelques-uns parmi les plus agressifs de ces agents infectieux, tous culturellement transmissibles, mentionnons le tréponème de la soif de profits, le gonocoque de la spéculation financière, la bactérie de l’hostilité aux services publics, le spirochète de l’évasion fiscale (dit aussi peste des îles Caïman), le bacille du gaspillage ostentatoire, le vibrion du despotisme managérial, le diplocoque de la haine des pauvres, le microbe de la phobie anti-syndicale, le streptocoque flagellé du carriérisme du cadre, le spirille de l’amoralité du trader, le sarcopte galeux du journalisme de marché et, peut-être le plus mortel de tous, le staphylocoque doré de la connerie bourgeoise (avec son mutant gangréneux de la prétention petite-bourgeoise).
Tous ces germes d’une extrême contagiosité sont devenus pénicillino-résistants à mesure qu’ils se sont répandus sur la planète. En France comme ailleurs, la pandémie, appelée par euphémisme « mondialisation libérale », poursuit ses ravages. Des petits groupes de chercheurs très actifs essaient actuellement de mettre au point un vaccin révolutionnaire anticapitaliste capable d’éradiquer le mal. Réussiront-ils avant qu’il soit trop tard et que le monde soit irrémédiablement infecté ?
http://blog.agone.org/post/2010/11/03/L-infection
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