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29/03/2010

Derrière les barbelés du « camp Besson »

Marie Barbier

D'une capacité de 240 places, le centre de rétention du Mesnil-Amelot 2 doit entrer en fonction aujourd'hui. Visite guidée d’un complexe sécuritaire high-tech au service du ministère de l’Immigration.

Le Mesnil-Amelot 2

Chambres truffées de caméras, détecteurs de mouvements, portes automatisées, policiers retranchés derrière des interphones, double enceinte de barbelés... Bienvenue dans le plus grand camp d’enfermement des étrangers de France : le nouveau centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot qui doit entrer en fonction aujourd’hui.

A quelques mètres des pistes de l’aéroport international Roissy-Charles-de-Gaulle (Val de Marne) et à un kilomètre du premier centre de rétention qui compte déjà 140 places, le « Mesnil-Amelot 2 », comme on l’appelle déjà, pourra «accueillir» jusque 240 sans papiers en attente d’une éventuelle expulsion. Le plus grand complexe jamais construit depuis le CRA de Vincennes, ravagé par un incendie en juin 2008 après le décès d’un Tunisien de 41 ans. Dénonçant une nouvelle étape dans l’« industrialisation de la rétention », les associations n’hésitent pas à qualifier ce nouveau centre de « camp d’internement pour étrangers ». Et redoutent les effets d’une violence institutionnalisée : automutilations, grèves de la faim et tentatives de suicides, dont ils seront les seuls témoins, puisque les journalistes y sont persona non grata.

Face à cette criminalisation des migrants, des voix s’élèvent. « Il existe une disproportion complète entre ce qu’on leur reproche et la dureté de la politique menée à leur égard » s’indigne ainsi Damien Nantes, chargé de la rétention à la Cimade, association qui sera habilitée à apporter une aide juridique aux étrangers retenus dans ce centre. Une pétition a déjà recueilli près de 30 000 signatures. A 13h30, une manifestation silencieuse exceptionnelle se tiendra devant le centre.

Les bâtiments administratifs : accessibles seulement via interphones

A l’entrée du centre, le rez-de-chaussée des bâtiments administratifs regroupe les intervenants (Office français de l’immigration et de l’intégration, infirmerie et Cimade) ainsi que les salles de visites pour familles, avocats et consulats. Au premier étage, les agents de la police aux frontières contrôlent le centre grâce à des écrans de vidéo surveillance. Lorsque les retenus voudront se rendre dans ces locaux administratifs, ils devront solliciter les policiers via un interphone, afin que ceux-ci activent l’ouverture d’une « porte hachoir ». Un système qui fait craindre à la cimade, des autorisations au compte goutte, des incidents graves ou des traitements punitifs.

Les « unités de vie » : des lieux sous haute surveillance et sans intimité

Le centre compte six « unités de vie » où sont logés les retenus. Chaque unité, composée de deux bâtiments, de vingt places chacun, a son propre réfectoire et son espace de promenade. Les unités sont séparées entre elles par de grandes palissades grillagées rendant impossible pour les retenus le passage d’une unité à l’autre. Dans les chambres, le mobilier est vissé au sol pour empêcher tout risque de détérioration. Clémence Richard, de la Cimade, qui a pu visiter les locaux y a vu « le paroxysme de la déshumanisation » : isolement des retenus dans chaque module de vie, portes vitrées ne empêchant toute intimité dans les chambres, caméras de surveillance. « Le risque est que les grèves de la faim, les automutilations et les tentatives de suicide se multiplient », regrette cette intervenante qui rappelle que les personnes placées en rétention sont déjà « dans une situation de grande anxiété».

Les pistes de décollage : un avion passe au dessus du centre toutes les minutes

A quelques mètres des pistes de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, le Mesnil-Amelot 2 se situe dans un couloir aérien très dense : en moyenne, un avion passe toutes les minutes au-dessus du centre. Au point que le terrain était jugé inconstructible jusqu’en juillet 2008, date d’une délibération du conseil municipal modifiant le Plan d’Exposition au Bruit pour permettre la construction du CRA. Outre les conséquences sur la santé, ces nuisances sonores ne seront sûrement pas sans effets sur des retenus déjà fortement stressés par leur possible expulsion.

Les clôtures de sécurité : quadrillage sécuritaire

Une double enceinte entoure l’ensemble du centre : hauts grillages, barbelés, haies épineuses et chemin de ronde. L’intérieur et les alentours sont truffés de caméras de surveillance et de détecteurs de mouvements. Adepte des euphémismes, le ministre de l’Immigration continue à parler de «prestations hôtelières» pour les centres de rétention qui ont pourtant toutes les caractéristiques du monde carcéral.

Le « village judiciaire » : une « justice d'exception » à l'intérieur du centre

A partir de juillet 2010, les audiences du juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de Meaux seront délocalisées à l’intérieur du Mesnil-Amelot 2. Attenant au centre, le village judiciaire comptera deux salles d’audience. « Pourquoi les étrangers seraient jugés en dehors des palais de justice ? » s’interroge Marianne Lagrue, du Syndicat des avocats de France qui dénonce la création d’une «justice d’exception». Pour Patrick Henriot, du Syndicat de la magistrature, ces salles d’audience délocalisées « contreviennent à l’un des impératifs d’un procès équitable : la publicité des débats » : « Ceux qui auront le courage d’aller jusqu’au centre ne pourront accéder aux salles d’audience qu’après un contrôle d’accès par badge et détecteur volumétrique ». Éloigné de tout regard, le JLD devra travailler à flux tendu : un centre de 240 places représente quarante arrivées par jour en moyenne, soit autant de « dossiers » à traiter. Dans ces conditions, les associations craignent un traitement « expéditif et superficiel » des dossiers.

L'« unité familiale » : deux bâtiments réservés aux enfants et à leurs parents

Au sein du Mesnil-Amelot 2, deux « unités de vie », soit 40 places, sont réservées aux familles. Du jamais vu. « Soit le gouvernement gaspille l’argent public et ne compte pas remplir ces places, soit il envisage de lancer une chasse à l’enfant à grande échelle », s’inquiète Richard Moyon, du Réseau éducation sans frontières. La législation interdit l’expulsion des mineurs mais autorise, depuis 2005, leur placement en rétention sous prétexte de ne pas séparer les familles. Cet enfermement n’est pas sans conséquences : irritabilité, troubles du sommeil et de l’alimentation, mutisme... La défenseure des enfants elle-même préconise « l’assignation à résidence des familles avec enfants plutôt que le centre de rétention ».

Un centre hors la loi

Selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers, la capacité d’accueil des centres de rétention ne peut dépasser 140 places. Pour contourner cette législation, le ministère de l’Immigration a fait construire deux centres limitrophes, de 120 places chacun. En 2008, le contrôleur général des lieux de privation de liberté s’inquiétait de «la fiction de «plusieurs centres» placés en un même lieu». Une inquiétude reprise par la Cour des comptes en 2009 : «Le nouveau projet du Mesnil-Amelot va entraîner une concentration massive de retenus dans le secteur, avec de grands risques d’effets néfastes». Pour la haute juridiction, «il peut être considéré qu’au-delà de 80 places, le CRA devient une sorte «d’usine à éloigner» peu propice à l’attention individuelle que doit recevoir chaque retenu». Plusieurs associations, dont la Cimade, ont déposé un recours contre l’ouverture du Mesnil-Amelot 2 devant le conseil d’État. Sa décision devrait être rendue dans les prochaines semaines.

http://www.laissezpasser.info/post/%C2%ABcamp-Besson%C2%BB

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