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02/04/2010

Entre bidonvilles et brimades policières, la vie des Bulgares de la N3


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Le bâtiment jaune se dresse au bord de la nationale 3 : « Batkor, l’entrepôt à des prix dépôt » proclame l’enseigne. Tous les jours, la même scène s'y déroule : une centaine d’hommes, majoritairement Bulgares, âgés de vingt à soixante ans, attendent sur le parking de louer leur force de travail à des artisans ou des particuliers, qui les embaucheront pour quelques heures ou à la journée pour les plus chanceux. Cette même scène se répète devant de nombreux magasins de la région parisienne. Mais ici, entre Romainville et Bobigny, les riverains assistent, depuis plusieurs mois, à une étrange course poursuite.

Brimades policières à répétition

Au risque d’être percutés par les voitures qui roulent à vive allure sur la quatre voies, des hommes traversent la nationale en courant. D’un côté des voitures de police, de l’autre les ouvriers. Dès que les pandores repartent, la route est traversée dans l’autre sens. Tous ici racontent la même histoire : celle de brimades policières à répétition. Dans un français sommaire, Encho, 42 ans, se fait le porte-parole de ses compatriotes : « Les policiers jettent nos cartes de résident bulgares par terre.Tous les jours, la police vient et nous gaze». Originaire de Plovdiv, près de Sofia, ces hommes sont d’une minorité turcophone discriminée en Bulgarie. Ressortissants européens, ils n’ont besoin d’aucun visa pour entrer en France, mais sont soumis a un régime spécial qui leur impose une autorisation de travailler, sous peine d’être renvoyés au pays. « La Bulgarie, c’est fini, soupire Encho. Il n’y a plus de travail, sinon je ne viendrais pas ici ». Ils ont laissé là-bas leurs femmes et leurs enfants et font régulièrement des allers-retours. Certains depuis de nombreuses années.

Ces dérives policières sont confirmées par des riverains, qui racontent, sous couvert d’anonymat, les humiliations quotidiennes : insultes, papiers d’identité piétinés, jetés dans le caniveau, fouilles brutales contre un mur. Des violences qui durent depuis plusieurs mois, un an pour être précis, date de l’arrivée du nouveau directeur à Batkor. Ce dernier a refusé de répondre à nos questions, mais le documentariste Jean-Pierre Thorn a réussi à le faire parler. Face caméra, il évoque, en vrac, des « menaces de mort » à son encontre, des clients agressés, des vols... Et fini par un terrible « Peut-être qu’il y en a trop »…

« Je t’emmerde, sale pute ! »

Samedi dernier, les violences policières contre les Bulgares turcophones ont franchi un nouveau stade. « Une voiture de la police s’est arrêtée devant mon bar, ils ont gazé tout le monde avec de la lacrymo, raconte la gérante du café l’Arc en ciel, face à Batkor, de l’autre côté de la N3. J’ai contourné le comptoir pour demander ce qu’il se passait. Une femme policier, qui était entrée dans le café m’a dit : « Je t’emmerde, sale pute ! ». Quand je lui ai expliqué que j’étais asthmatique, elle a répondu : « J’en ai rien à foutre de ta gueule ». Sa fille, qui a voulu s’interposer, a subi un « Casse toi la grosse ». Et lorsque la gérante a assuré qu’elle allait porter plainte, la policière lui a jeté un « Rêve ! » ironique. C’est pourtant ce qu’elle a fait. Après une main courante au commissariat de Bobigny, la patronne de l’Arc-en-ciel, soutenue par la Ligue des droits de l’homme, compte également écrire au procureur de la République et déposer une plainte à l’inspection générale des services (IGS, la police des polices).

Certains policiers eux-mêmes semblent excédés. « Le directeur du magasin nous appelle tous les jours, dit l’un d’eux sous couvert d’anonymat. On est obligé de venir. » Depuis quelques jours, les bombes lacrymo ne sont plus de sortie, grâce à la présence quotidienne des associatifs et des syndicalistes. Mais pour combien de temps ?

Trois campements le long du canal

Cette forte présence policière effraie les potentiels employeurs et les journées sans travail se multiplient. Lassés de ces courses poursuites, les Bulgares rentrent « chez eux ». Un bien grand mot pour désigner les bidonvilles qui leur font office de logement : trois campements installés le long du canal de l’Ourcq. D’un côté le RER, de l’autre le train, en dessous le métro. Les baraques de fortune ont été construites avec des planches de bois et des bâches en plastiques récupérés dans les poubelles. A l’intérieur, souvent une moquette a été posée sur le sol en terre. Il n’y a souvent la place que pour un lit. Sans accès à l’eau, les femmes lavent les assiettes sales dans le canal de l’Ourcq.

Ces campements, situés sur une zone qui appartient au Syctom, syndicat intercommunal de traitement des déchets, sont menacés de démolition par de futurs travaux. Des négociations sont en cours entre Urbaser, le sous traitant, et la LDH et la CGT. « C’est une première que nous ayons à négocier avec une entreprise pour ce type de problème, relève Jean-Albert Duigou de l’UL CGT de Bobigny qui espère élargir la négociations aux autres acteurs comme la ville de Paris et de Bobigny, le conseil général du 93. Sans travail, ni logement, les Bulgares se disent désespérés mais n'ont pas le choix : ils resteront ici.

http://www.laissezpasser.info/post/Entre-bidonvilles-et-brimades-polici%C3%A8res%2C-la-vie-des-Bulgares-de-la-N3

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