Un point de vue de Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS.
Le racisme ordinaire a retrouvé une certaine liberté d’expression en France depuis que le président de la République et le ministre de l’Immigration ont lancé le prétendu « grand débat sur l’identité nationale ». L’affaire qui a agité le microcosme parisien à la fin du mois de mars en est une illustration parmi d’autres. Les propos du chroniqueur du Figaro, Éric Zemmour (« Les Français issus de l’immigration (sont) plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… c’est un fait»), étonnent peu. L’auteur est connu pour ses opinions de type raciste (Voir notamment ici). Qu’un haut magistrat comme Philippe Bilger, avocat général à la cour d’assises de Paris, ait pris sa défense est en revanche beaucoup plus surprenant et inquiétant.
Qu’attendrait-on d’un tel haut fonctionnaire de la justice, sinon qu’il aide à prendre de la hauteur, qu’il élève le débat ? Or, voici ce qu’il nous dit : 1) il ne sert à rien de regarder les statistiques officielles, « dont la finalité presque exclusive est de masquer ce qui crève les yeux et l’esprit », 2) il suffit de voir à quoi ressemblent les couloirs du palais de justice de Paris pour savoir que les trafiquants de drogue sont effectivement « noirs et arabes » et ainsi confirmer « la justesse de cette intuition» (celle de Zemmour). Deux affirmations étranges.
Certes, les statistiques pénales ne disent rien sur la couleur de peau des personnes. Elles distinguent seulement les personnes de nationalité française et celles de nationalité étrangère. Mais c’est une première information intéressante. Le magistrat aurait pu indiquer, par exemple, que le dernier volume de la statistique judiciaire (2008) donne 9 871 personnes condamnées pour trafic, commerce ou transport de drogue, dont 78% de Français et 22% d’étrangers. Parmi ces étrangers condamnés, un quart sont des ressortissants d’un des trois pays du Maghreb, la plupart étant en réalité Marocains (ce qui n’a rien de surprenant puisque le cannabis est la drogue la plus consommée en France et que le Maroc est le principal producteur de cannabis alimentant le marché français). On voit que ces données fournissent une première base de discussion, au besoin très critique, qui mérite mieux qu’un effet de manches méprisant.
Admettons de considérer à présent la couleur de peau. Peut-on dire qu’il suffit de regarder les couloirs du palais de justice de Paris pour savoir qui sont les trafiquants de drogue en France ? L’affirmation laisse pantois. Premièrement, Paris n’est pas représentatif de toute la France. Les immigrés et leurs enfants français sont en effet très inégalement répartis sur le territoire. Par exemple, les deux tiers des descendants d’Afrique subsaharienne vivent dans la seule région parisienne (source : Insee). Comment peut-on ignorer cela ? Deuxièmement, il faut rappeler que n’arrive en justice qu’une partie, hélas, probablement très minoritaire, des trafiquants (puisque la consommation de drogue se porte très bien par ailleurs). Comment savoir si ceux qu’on a attrapés sont représentatifs de l’ensemble ? Il existe au contraire des indices laissant penser que les « gros bonnets » ont plus souvent la peau blanche. Voir par exemple le témoignage d’un ancien agent des douanes sur le site du groupe Claris. Au total, si M. Bilger peut ainsi facilement « voir » les revendeurs de cannabis de la région parisienne, il ne « sait » pas pour autant qui sont les trafiquants de drogue en France.
Enfin, quel est l’objet fondamental de ce débat et où se trouve la polémique ? S’agit-il simplement de dire que certaines formes de délinquance qui sont concentrées dans les quartiers pauvres sont le fait de ceux qui les habitent, en majorité des jeunes descendants d’immigrés ? Non bien sûr, car cela, chacun en serait d’accord. Ce que M. Zemmour suggère en disant « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes », c’est que ce qu’il appelle « les races » sont un facteur d’explication de la délinquance. Voilà ce qu’il ne faut pas cautionner. On ne peut que regretter amèrement la banalisation de l’usage de catégories dites « ethniques» comme si elles étaient en elles-mêmes explicatives de quoi que ce soit. Si l’on prétend qu’il existe une relation entre la couleur de la peau et la délinquance, alors il faut expliquer la nature de cette relation, ou bien se taire. Car, faute d’explications, on ne fait que renforcer les préjugés racistes de ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.
http://www.humanite.fr/Les-gros-bonnets-de-la-drogue-ont-le-plus-souvent-la-peau-blanche
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