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04/02/2010

La santé en mal de statistiques

Ilka Vari-Lavoisier

Voici une série de cartes et graphiques accompagnant le dossier sur les systèmes de santé paru dans « Le Monde diplomatique » de février 2010. Pour mieux comprendre les enjeux du mouvement global de réformes engagé depuis quelques années, mais aussi les difficultés d’en appréhender les contours. Le premier constat est simple, et implacable : selon le pays dans lequel vous vivez, votre durée de vie varie du simple au double. Dans les conditions sanitaires qui prévalent en 2010, un citoyen zimbabwéen ne vit en moyenne que 34 ans en bonne santé, contre 72 années pour un citoyen norvégien. Les cartes ci-dessous, ainsi que celles publiées dans deux précédents billets, « Géographie de l’enfance » et « Eau, assainissement et santé », donnent une idée de l’ampleur des efforts qui restent à fournir pour aboutir à un système de santé digne de ce nom.

Depuis le 1er janvier, les hôpitaux français ont l’obligation de publier dix indicateurs reflétant « la qualité et la sécurité des soins [1]. » Confirmant la volonté gouvernementale de procéder à une évaluation quantitative de la qualité des services publics [2], ce décret rappelle que l’établissement de statistiques reflète les projets politiques — et ne manque pas de les influencer en retour. Ces données, censées résumer la « qualité de la prise en charge des patients », devront également être publiées par les hôpitaux de façon « comparative » — ce qui invite à faire le point : peut-on vraiment comparer les « performances » des structures de soins ?

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Dépenses de santé en dollars en parité de pouvoir d’achat (PPA) par habitant

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Dépenses de santé en pourcentage du PIB

A l’échelle mondiale, et malgré toutes ses limites [3], l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a au moins le mérite de contribuer à la collecte de données sur la situation sanitaire.

Comme le diagnostic précède le traitement, disposer d’informations précises sur les causes de mortalité d’une population (notamment les régions les plus touchées, les groupes à risques...) est un préalable à la conception de politiques efficaces. En Inde, par exemple, l’absence de données fiables sur la prévalence du VIH/sida grève la capacité des autorités à mettre en œuvre des mesures adaptées. Estimer l’ampleur de la pandémie représente pourtant un enjeu scientifique (suivre la progression de la maladie), sociopolitique (contribuer l’émergence de cette problématique dans le débat public) [4] — mais, plus encore, médical : briser les non-dits serait le premier jalon de campagnes de prévention efficaces. Or, parce que les tabous persistent, les dépistages restent rares, les séropositifs s’ignorent, et contribuent à la propagation de l’épidémie sans le savoir.

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En dépit des progrès réalisés, l’état lacunaire des données sur nombre d’enjeux sanitaires et, plus encore, la diversité des contextes dans lesquels interviennent les systèmes de soins, limitent la pertinence de toute comparaison de leurs « performances » — à l’échelle internationale comme nationale. Les données sont souvent anachroniques : dans ce que l’OMS présente comme « les derniers chiffres disponibles », il n’est pas rare d’en trouver qui datent de... 1998, 2000 ou 2002 !

Les méthodes de calcul posent aussi question. Du fait des disparités entre la gravité des cas traités par les différents hôpitaux, les indicateurs en vigueur, en France, depuis le 1er janvier 2010, se concentrent sur les moyens et non sur les résultats. Par exemple, en matière de « sécurité », ils ne prennent pas en compte le nombre de décès imputables aux maladies nosocomiales (contractées à l’hôpital), mais la « consommation de produits hydro-alcooliques » par les soignants — avec l’évidente limite que des moyens mal employés ne présagent pas de la qualité des soins dispensés.

L’évaluation des systèmes de santé achoppe de façon récurrente sur cette tension entre approches « quantitatives » et « qualitatives » [5]. Désincarnée, la première amputerait notre appréhension du ressenti des patients. La seconde s’enorgueillit de plus d’humanité, mais ne semble pas à même de fonder des comparaisons entre contexte différents. La « satisfaction des usagers », par exemple, est largement influencée par leurs attentes envers les autorités [6].

Variant fortement entre Etats, comme entre classes sociales [7], la conception du rôle du service public façonne les jugements portés sur les infrastructures de santé. Et rappelle à quel point les systèmes de soins sont enracinés dans des contextes socioculturels singuliers [8] — tout en participant d’« écosystèmes » plus larges.

S’« il ne suffit pas de dépenser plus pour vivre vieux », encore faut-il comprendre pourquoi et en tirer les conséquences. En fait, l’impact des dépenses consacrées à la santé dépend des autres pans du service public. Les infrastructures de base (comme l’accès à l’eau potable), bien sûr, mais aussi la capacité des Etats à rémunérer les fonctionnaires (dont le personnel médical) ou la qualité de certaines activités non marchandes (comme une partie des services à la personne) ont ainsi une influence significative sur l’état de santé d’une population.

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Infirmières et sages femmes

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Où manque-t-on de médecins ?

Ainsi par exemple, une enquête du gouvernement chinois a révélé que, sur les 111 cliniques publiques créées dans le district rural de Pékin, à Tongzhou, seules 44 fonctionnent, les autres manquant de médecins. Plus troublant, une récente étude de Jean-Claude Berthélemy et Juliette Seban [9] démontre que, dans les pays en développement, la construction de nouveaux dispensaires n’améliore pas l’espérance de vie des nouveaux-nés chez les 5 % les plus démunis de la population. La scolarisation primaire des filles y a, en revanche, un impact décisif sur la santé infantile et maternelle. De son coté, le journal médical The Lancet affirme la corrélation entre faible taux de chômage, régulation du marché du travail et espérance de vie en bonne santé...

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Espérance de vie en bonne santé

Il semble donc vain de tenter de distinguer la qualité des systèmes de soins d’un ensemble d’infrastructures, pourtant rarement conçues comme relevant de la santé publique. Que faire alors d’une donnée — comme l’espérance de vie — qui ne semble pas tant refléter les performances des systèmes de soins que les conséquences d’un ensemble de politiques publiques allant de l’accès à l’eau potable à la régulation du marché du travail, en passant par l’éducation ou la capacité de l’Etat à redistribuer les fruits de l’impôt ?

Parallèlement, on prend conscience que des indicateurs inadaptés favorisent la conception de politiques déconnectées des besoins réels des populations. Même le timide rapport Stiglitz [10] souligne les conséquences désastreuses induites par l’attention démesurée accordée à des « mesures défectueuses », telles que le produit intérieur brut (PIB).

Pourtant, l’espérance de vie semble refléter l’efficacité et la cohérence des politiques publiques, dans les domaines les plus fondamentaux, de façon assez « synthétique ». Plus précisément, la comparaison de l’espérance de vie en bonne santé des 5 % les plus favorisés de la population avec les 5 % les plus démunis est la résultante d’un ensemble de données socio-économiques aux conséquences sanitaires avérées [11]. Et permet d’embrasser, d’un regard, les conséquences les plus révoltantes des inégalités sociales. L’« invention » parfois discutable de nouveaux indicateurs ne dispense pas, en tout état de cause, de réfléchir à ceux qui déjà indiquent la capacité des Etats à garantir, à tous leurs citoyens, un égal droit à la vie.

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Prévalence de la tuberculose en 2007

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Ressources extérieures dans le financement des systèmes de santé nationaux

Ilka Vari-Lavoisier est étudiante à l’Ecole normale supérieure (ENS) et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Cartes et graphiques : Philippe Rekacewicz.

Notes

[1] Lire Lætitia Clavreul, « Transparence des hôpitaux : débat sur l’efficacité des indicateurs de qualité », Le Monde, 5 janvier 2010.

[2] Lire André Grimaldi, Thomas Papo et Jean-Paul Vernant, « Traitement de choc pour tuer l’hôpital public », Le Monde diplomatique, février 2008.

[3] Lire notamment Jean-Loup Motchane, « Quand l’OMS épouse la cause des firmes pharmaceutique », Le Monde diplomatique, juillet 2002.

[4] Patralekha Chatterjee, « AIDS in India : police powers and public health » (« Le SIDA en Inde : le pouvoir de la police et la santé publique »), The Lancet, Londres, 11 mars 2006.

[5] Roland Gori, « De la société de la norme à une conception managériale du soin », Connexions, janvier 2009.

[6] Neil Sirven (sous la dir. de)., « Comparability of Health Care Responsiveness in Europe » (« Comparaisons de la sensibilité aux soins médicaux en Europe », PDF), Document de travail de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), septembre 2008.

[7] Vicente Navarro et al., « Politics and health outcomes » (« Politiques et conséquences sur la santé publique »), The Lancet, Londres, septembre 2006.

[8] Berard Dervaux, Hervé Leleu, Vivian Valdmanis, « Preferences Over Health Care System’s Objectives : Do Types of Countries Differ ? » (« Les préférences nationales en matière d’objectifs des systèmes de soins : vers une typologie ? »), Document de travail du LABORES (Laboratoire de recherches économiques et sociales, CNRS/CRESGE), juillet 2003.

[9] « Dépenses de santé et équité dans l’accès aux services de santé dans les pays en développement », Revue d’économie du développement, juin 2009.

[10] Joseph E. Stiglitz, Amartya Sen, Jean-Paul Fitoussi, Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, septembre 2009.

[11] Lire Pierre Rimbert, « L’injustice sociale tue », La Valise diplomatique, 2 septembre 2008.

http://blog.mondediplo.net/La-sante-en-mal-de-statistiques

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