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31/01/2010

L’actualité de la crise: discret sommet de la nouvelle gouvernance mondiale à Davos

François Leclerc

Le Forum économique mondial de Davos vient de se terminer, mais ce n’est pas à sa tribune que le plus important aura été dit. Mais bien à l’occasion d’une de ces rencontres privées qu’affectionnent les grands de ce monde, une de ces discrètes réunions dont tout le monde parle mais personne ne sait – sauf les participants – ce qui y a exactement été discuté. Devant nous contenter, à défaut, de reconstituer la liste de ceux-ci, de prendre connaissance de son ordre du jour présumé, déchiffré sur un paper-board par un journaliste profitant d’une porte un instant entre-baillée (sic). Et, faute d’un communiqué final qui de toute façon arrondirait les angles, de soupeser les indiscrétions et confidences recueillies au vol à la sortie de la réunion par les unes et les autres des agences de presse. Le secret, toujours le secret, ce mode-là n’en finira donc jamais ?

Que peut-on tenter d’en comprendre à l’arrivée ?

Ils étaient plusieurs dizaines, venus d’Europe et d’Amérique du Nord, banquiers centraux, dirigeants d’organisations internationales, ministres, conseillers des présidents, présidents de commissions parlementaires, ou plus prosaïquement mégabanquiers (en espérant n’avoir oublié personne). Comme si un véritable sommet réunissant tous les acteurs privés et publics avait été convoqué, avec l’avantage d’être informel, en vue d’arriver enfin à quelque chose. Permettant de se dire plus facilement ses quatre vérités et d’avancer vers un accord global. Il étaient donc tous là ou presque, profitant de leur présence à Davos, sans que l’on sache si leur rencontre avait été organisé à l’avance ou était le résultat, improvisé, de l’offensive menée depuis le début du Forum par les représentants vedettes des mégabanques, Josef Ackermann de la Deutsche Bank et Bob Diamond de Barclays (entourés de très nombreux illustres collègues, ceux de Morgan Stanley et Goldman Sachs brillant seuls par leur absence).

Car l’affaire des mégabanquiers avait été de son côté préparée. Un communiqué d’une discrète mais représentative organisation basée à Washington avait été publié à l’ouverture de Davos, l’Institute of international finance, dont toutes les mégabanques sont membres. Que disait-il ? Pour aller à l’essentiel, il réclamait que les gouvernements accordent dans l’urgence leurs violons. Utilisent la tenue des deux prochains G20, à Toronto en juin et à Séoul en novembre prochain (ce dernier fixé comme date limite), pour se mettre d’accord sur un dispositif unique de réglementation des banques. Déplorant notamment l’absence de normes comptables communes pour la valorisation des actifs, un discret appel du pied aux Européens pour qu’ils adoptent sans plus tarder et faire de complications la complaisante norme américaine qui soulage si bien les bilans de leurs banques.

On croit comprendre qu’il s’agissait ainsi de faire la part du feu, d’éviter que les mesures gouvernementales envisagées ici et là dans le désordre s’additionnent, et que les coûts se cumulent. De couper court à une taxation des transactions financières, dont les mégabanques ne veulent pas entendre parler, dans son principe même, ou à une taxe ayant pour objet de rembourser les aides publiques reçues, l’estimation de leur montant étant un sujet particulièrement glissant, car pouvant mener loin.

Davos ouvert, nos deux porte-paroles des mégabanques ont d’entrée de jeu tonné depuis ses tribunes, brandissant le spectre le risque d’une sur-régulation. Laissant clairement entendre qu’il fallait leur laisser les mains libres et ne pas les assommer financièrement, si l’on voulait qu’elles soient en mesure de contribuer à la relance économique. « Il nous faut des règles cohérentes et globales. Ce n’est pas très judicieux d’émettre de nouvelles idées, de nouvelles propositions, de nouvelles taxes, parce que cela ajoute à l’incertitude » a continué Josef Ackermann, déplorant que cela contribue à « ralentir le processus de stabilisation du secteur financier ». Prétendant même, à l’appui de sa thèse, que « seules quelques banques ont en fait échoué durant la crise », ajoutant que « les banquiers n’étaient pas les seuls à avoir commis des erreurs ».

Il pouvait sembler, dans un premier temps, que la formule d’un fonds d’assurance anti-crise, défendue par les attaquants, était susceptible de rallier tout le monde, ayant des avantages aux yeux de tous: écarter la perspective d’un quelconque remboursement remuant de vieilles histoires, en se tournant vers l’avenir dans une posture positive, ayant l’avantage de permettre l’étalement du versement et la modulation des futures primes, afin qu’elles ne soient pas trop élevées, et – l’espoir n’en ayant pas été abandonné par Josef Ackermann, qui fait campagne à ce sujet – obtenir que les Etats contribuent financièrement à ce fonds. Permettre aussi aux gouvernements de faire valoir qu’ils agissent et mettent à contribution les banques. Ce dispositif entérinant l’idée les crises sont inévitables et qu’il faut donc se préparer dès maintenant à la prochaine.

Accréditant la possibilité de cet accord, on entendait Dominique Strauss-Kahn, au nom du FMI chargé par le dernier G20 de préparer un rapport sur la contribution financière des banques, pour avril prochain, déclarer que cette approche avait été retenue de son côté, et que des propositions assez précises allaient être faites. S’avançant à dire que si un consensus n’existait pas encore autour du projet de fonds d’assurance, celui-ci commençait à être soutenu parmi les membres du FMI.

Intervenant pour élargir le débat et plaidant pour son dossier, à propos duquel il doit remettre sa copie en juin prochain, Mario Draghi, en charge du Comité de stabilité financière (FSB), défendait parallèlement la nécessité d’un dispositif international anti-systémique, accompagné de la création d’une « autorité ou agence » chargé de l’appliquer, dotée des moyens correspondants et de la compétence adéquate (sans encore préciser qui pourrait en être bien nommé responsable). Selon lui, ce dispositif formerait un socle plancher, adopté par tous, sur la base duquel chaque pays pourrait s’il le souhaite aller plus loin.

En mettant ce sujet sur la table, il se plaçait sur le terrain de ses interlocuteurs mégabanquiers, dont l’approche était de globaliser toutes les dispositions envisagées par différents organismes et institutions, afin d’optimiser le coût de l’ensemble et de convenir d’un méga-deal portant sur un paquet comportant le fonds d’assurance anti-crise, la réglementation de l’accroissement de leurs fonds propres, n’oubliant pas de comptabiliser les effets négatifs des régulations et restrictions qui pourraient être adoptés sur leur niveau d’activité futur.

Saluant les dernières propositions américaines de restrictions des activités bancaires, pour emprunter immédiatement un autre chemin, Mario Draghi informait de sa préférence pour une augmentation spécifique des fonds propres des banques TBTF (trop grosses pour être laissées choir) et confirmait qu’elle était en cours. Evoquant, pour y parvenir, la solution de l’émission de capital contingent, les fameuses Cocos (obligations convertibles contingentes). Une méthode de renforcement de leurs fonds propres qui a la faveur des banques, car elle leur permettrait d’aller sur les marchés, au lieu de faire appel aux actionnaires ou de diluer leurs positions, où elles pensent pouvoir facilement lever des fonds dans de meilleures conditions financières. Ce qui reste à démontrer, ce nouveau type d’obligation n’ayant pas encore été testé auprès des investisseurs et le Comité de Bâle n’ayant pas tranché pour savoir quels types de Cocos seraient admissibles.

La discussion s’est donc engagée donc, lors de ce sommet public-privé non déclaré, sur le montant global de l’addition que les banques allaient devoir payer, à un titre ou à un autre. Toute technicité mise à part, les débats – qualifiés par l’un des banquiers de « robustes », en sortie de la réunion – peuvent être résumés à une simple querelle de marchands de tapis. « Si ton assurance me coûte tant, il ne faut pas que tu sois trop gourmand pour l’augmentation de mes fonds propres ! J’ai des traders à nourrir et une économie à relancer et tu me compliques déjà la vie avec tes mesures de régulation qui vont restreindre mon business ! ».

Un autre niveau de discussion est venue la compliquer, si l’on décrypte les déclarations des uns et des autres, faisant obstacle au projet de fonds d’assurance pour qu’il soit retenu comme la mesure phare de la réglementation bancaire, comme le souhaitaient les mégabanques. Opposant d’un côté les américains, qui ont maintenant un projet de plan adopté par la Chambre des représentants et pourraient y incorporer un tel projet (c’est d’ailleurs l’intention du Sénat), et les Européens, qui ne savent pas sur quel pied danser mais ne sont pas chauds pour lui. Alistair Darling, le chancelier britannique, mettant en garde contre tout retard du Comité de Bâle apporté à adopter les nouvelles normes et ratios réglementaires, qui lui paraissent essentielles et auxquelles il voudrait s’en tenir. Craignant que les mégabanques jouent la montre. Dominique Strauss Kahn rappelant, à cet égard, qu’il a fallu douze ans à ce Comité pour formaliser Bâle II (dont les dispositions ne sont toujours pas appliquées par les Américains). Rainer Brüderle, le ministre Allemand de l’Economie, s’opposant de son côté frontalement à la création de ce fonds, qui reviendrait à doter les mégabanques d’une « garantie tout-risque » et à renforcer l’aléa moral dont elles bénéficient au lieu de le réduire (ce qui est parfaitement exact, mais ne dit pas comment le combattre).

On continue donc de tourner en rond et il a fallu une certaine dose d’optimisme à Josef Ackermann pour affirmer à la fin du sommet de Davos que «sur de nombreux aspects, un terrain d’entente commun avait été trouvé ». Plus modestement, certains ont parlé d’un exercice de brain storming réussi. Larry Summers, principal conseiller économique de Barack Obama, s’en tirant en déclarant : « C’est une bonne chose chaque fois que les représentants des secteurs privé et public de différents pays parviennent à un meilleur niveau de compréhension». Brian Moynihan, patron de Bank of America, reconnaissant que « nous devons avoir de nombreuses discussions, afin d’être certains que nous faisons les choses qui sont nécessaires en matière de réforme. » Ce qui n’est pas spécialement le signe qu’un consensus est en vue. La question étant posée de savoir pour qui travaille le temps.

Depuis Washington, Neil Barofsky, le contrôleur indépendant chargé de contrôler l’exécution du TARP (le plan de sauvetage des banques Américain), a répondu dans son rapport trimestriel qui vient d’être rendu public : « Nous conduisons toujours sur la même route sinueuse de montage, mais cette fois-ci dans une voiture plus rapide », évoquant la perspective d’une « crise, similaire ou même plus grave, dans deux, cinq ou dix ans ». Constant qu’il est « difficile de voir en quoi l’un ou l’autre des problèmes fondamentaux du système a été réglé à ce jour ». Remarquant que « L’Etat a fait plus que soutenir le marché du crédit immobilier: par de nombreux moyens, il est devenu le marché immobilier », car « l’Etat fédéral et les organismes qu’il soutient garantissent ou émettent désormais presque tous les nouveaux emprunts nouveaux immobiliers ou les titres adossés à ces prêts ».

Demain sera un autre jour.

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