Note de la traductrice : Les grands médias étasuniens sont passés maîtres en matière d’informations partiales et de désinformation généralisée dans le but d’imposer la propagande officielle et d’anesthésier la vox populi.
La recette est simple : les médias dominants sont rachetés par des grands groupes financiers, qui, eux-mêmes, s’achètent les bons services de journalistes grassement payés qu’ils tiennent par la barbichette (enfin, pour faire poli). Les manants, eux, sont abreuvés d’infos inutiles - en général mensongères, ou qui occultent la cause des problèmes - et d’images tapageuses, voire nocives.
Ce qui s’est passé pour le tremblement de terre à Haïti devrait ouvrir les yeux et faire se poser des questions aux sceptiques.
Mais, sur ce coup-là, c’est moi qui le suis. Ils sont forts ces médias : ils arrivent à faire tout gober sans que la majorité de la population ne remette en cause la véracité de propos pourtant bien peu crédibles.
Voici deux articles sur le sujet, publiés par Dissident Voice
Horreur à HAITI
Ce que NOUS apprennent les médias
par John Chuckman
C’est un flot continu, ces images de gens terrorisés, ces gens aux membres brisés, et ces morts boursouflés, au point que beaucoup d’entre nous ne supportent plus d’en voir ou d’en entendre davantage. On en vient à se demander : que sommes-nous censés faire de ces informations ?
Créer la pression sur les gouvernements pour que l’aide continue d’arriver massivement ? Peut-être, mais il n’y a pas pénurie d’aide à Haïti. Il y a toutefois un énorme problème dans la capacité limitée d’Haïti à absorber cette aide.
Qu’il s’agisse des ports maritimes, petits et inefficaces, de l’unique aéroport, petit et inefficace, du manque de routes praticables, et de l’inertie du gouvernement - tous ces aspects qu’on retrouve dans tous les pays aussi pauvres qu’Haïti – il faut du temps aux gens de l’extérieur pour arriver, déposer leur cargaison, et organiser un réseau de distribution à partir de rien.
C’est sûr, les reportages et les images ne servent à rien en matière de prévention. Il s’agit d’une catastrophe naturelle, donc, qui ne peut être ni prévue, ni évitée. On pourrait toujours répondre que les investissements suite à la catastrophe pourraient améliorer la situation au cas où il y aurait un nouveau tremblement de terre. Mais ce genre d’images et de reportages qui sont diffusés seront oubliés depuis longtemps quand les gouvernements du monde se décideront à reconstruire (s’ils le font).
Et donc, pour moi, la question qui se pose est : que sommes-nous censés faire de ces informations ?
Cela me rappelle une autre catastrophe, une qui s’est produite au cours de ces dernières années. Ce n’était pas une catastrophe "naturelle" mais l’œuvre délibérée des extrêmement puissants. Dans cette autre catastrophe, un million de personnes environ sont mortes, environ 5 fois plus que le nombre de morts à Haïti aujourd’hui. J’ignore combien sont devenus infirmes, mais ce doit être un chiffre énorme.
Cette autre catastrophe a engendré plus de deux millions de réfugiés qui fuyaient pour sauver leur peau, la plupart dans des pays pauvres mais généreux, car ils n’étaient pas les bienvenus par les riches et puissants, et surtout pas par le pays responsable de ce chaos.
Pour ce qui est des images et des reportages, la plupart de ceux qui étaient diffusés en Amérique du Nord étaient expurgés. Beaucoup d’entre eux, si ce n’est la majorité, étaient malhonnêtes, de toute évidence n’informant pas sur l’importance de l’horreur de la situation. Un groupe de reporters courageux avait réalisé des reportages tout aussi terribles que ceux nous recevons d’Haïti, où on voyait, entre autres, des dizaines d’enfants affreusement mutilés.
Mais ces images n’avaient pas été diffusées en Amérique du Nord, n’étaient pas publiées dans le New York Times ou d’autres journaux "de référence".
En fait, ces reporters qui filmaient et qui écrivaient des articles terribles sont devenus la cible des forces qui étaient à l’origine de ces atrocités.
Je parle, évidemment, de l’invasion de l’Irak, un événement dont le nombre considérable de morts et l’importance des dégâts est comparable au largage d’une bombe thermonucléaire sur une grande ville.
Evidemment, l’ironie amère est que cette catastrophe était à la fois évitable et aurait même pu être stoppée dès le début. Je suis pratiquement sûr que la publication et la diffusion d’images et d’articles comparables à ceux que nous recevons d’Haïti aurait fait cesser cette brutalité diabolique. Ici, certes, une couverture médiatique honnête et choquante aurait changé les choses, pas à Haïti.
Et il y a eu, récemment, une autre catastrophe, plus petite, mais quand même terrible, et elle était complètement évitable. Au cours de celle-ci, 1400 personnes sont mortes, parmi lesquelles 400 enfants, et un grand nombre d’infrastructures d’une population relativement pauvre ont été détruites. Les dégâts ne peuvent même pas être réparés parce que les responsables de ces atrocités poursuivent le siège contre leurs victimes, ne permettant la livraison d’aucun moyen matériel.
Ici non plus, vous n’avez probablement pas vu le genre d’images ou lu le genre d’articles qui nous parviennent d’Haïti. Certains reportages étaient accessibles – je me rappelle un de ces malheureux qui essayait d’éviter de mettre les pieds sur le sang qui ruisselait dans une rue étroite – à nouveau, l’œuvre de reporters incroyablement courageux, mais on ne voyait le résultat de leur travail que sur des sites internet plutôt confidentiels. Aucune de leurs œuvres n’a été publiée ou diffusée par la presse de l’establishment en Amérique du Nord. Ces événements se sont produits dans un endroit appelé Gaza.
Si vous pensez que la presse est objective, si vous pensez que la presse ne sert pas servilement les intérêts des puissants, vous feriez bien de vous poser des questions.
John Chuckman
ARTICLE ORIGINAL
http://dissidentvoice.org/2010/01/the-horror-of-haiti/
John Chuckman habite au Canada et est ancien "chief economist" d’une grande compagnie pétrolière canadienne.
Traduction : emcee Des Bassines et du Zèle
Note de la traductrice : "Que sommes-nous censés faire de ces informations" : très bonne question.
Super reportage télévisé, mauvais journalisme
Les échecs des médias à Haïti
par Robert Jensen
Anderson Cooper, le journaliste vedette de CNN, raconte une scène de rue chaotique à Port-au-Prince. Un garçon a été touché à la tête par une pierre lancée depuis un toit par un pillard. Cooper l’aide à aller jusqu’au bord de la route et réalise alors que le garçon est étourdi et qu’il est incapable de s’enfuir. Posant sa caméra numérique (mais toujours filmé par une autre caméra de CNN), Cooper relève le garçon et le soulève pour le faire passer par-dessus une barrière pour le mettre à l’abri, c’est ce qu’on espère, du moins. "Nous ne savons pas ce qui est arrivé à ce petit garçon" dit Cooper dans son reportage. "Tout ce que nous savons actuellement, c’est qu’il y a du sang dans les rues."
Ca, c’est du super reportage télévisé, mais ce n’est pas du grand journalisme. En réalité, c’est du journalisme irresponsable.
Cooper poursuit en expliquant qu’il n’y a pas beaucoup de pillages dans la ville et que la violence de cette scène que les téléspectateurs viennent de voir est, semble-t-il, inhabituelle.
La question qui vient logiquement à l’esprit, c’est : si cet incident n’est pas représentatif de ce qui se passé là-bas, pourquoi donc, CNN l’a-t-il diffusé ? Etant donné que les Haïtiens se sont généralement organisés en comités de quartiers pour se venir en aide mutuellement en l’absence d’un gouvernement central, cette scène violente n’est-elle pas un incident isolé qui déforme la réalité ?
Cooper essaie de rattraper le coup en précisant qu’une telle violence n’est pas courante, mais que si cela devait le devenir, et bien, ce serait terrible – "c’est pour montrer ce qui pourrait se passer ensuite".
Mais les téléspectateurs vont sans doute davantage se souvenir de ces images dramatiques que des tentatives maladroites de les replacer dans leur contexte. Malheureusement, ce mélange qu’ont fait CNN et Cooper de bonne télévision et de piètre journalisme n’est pas une exception ; les infos télévisées tombent régulièrement dans le piège de mettre l’accent sur des scènes dramatiques qui attirent l’œil au détriment d’informations irréfutables mais plus complexes.
L’absence de contexte historique et politique essentiel s’applique également à la presse écrite. Les faits, l’analyse et l’opinion dont les citoyens US ont besoin pour comprendre ces événements sont rarement fournis.
Par ex, au cours de cette semaine, nous avons entendu les journalistes répéter inlassablement qu’Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental. Est-il venu à l’esprit des rédacteurs en chef de charger les journalistes de se demander pourquoi ? Ces souffrances que subit actuellement Haïti ont pour origine une catastrophe naturelle, mais ces souffrances ont été aggravées par les politiques épouvantables des deux siècles derniers et dont la plus grande responsabilité incombe non seulement aux élites d’Haïti, mais également aux responsables politiques US.
Les journalistes ont bien dit que c’est à la suite d’une révolte d’esclaves qu’a été créée la République indépendante d’Haïti en 1804 et ont indiqué en passant comment les exigences de "réparations" de la France (pour compenser la perte de leurs biens, les esclaves) avait ruiné l’économie d’Haïti pendant plus d’un siècle. Certains journalistes ont même signalé qu’étant une société esclavagiste, les US avaient soutenu la politique cruelle de la France et n’avaient pas reconnu l’indépendance d’Haïti avant la Guerre de Sécession.
Quelques allusions ont parfois été faites concernant l’invasion de l’île par les Etats-Unis au cours de la présidence du "libéral" Woodrow Wilson, une occupation qui avait duré jusqu’en 1934, et le soutien que le gouvernement US avait apporté aux deux dictatures cruelles des Duvalier (les infâmes “Papa Doc” et “Baby Doc”) qui avaient ravagé le pays entre 1957 et 1986. Mais on a rarement eu d’explications sur les conséquences de ces politiques sur les problèmes actuels d’Haïti.
Plus flagrante encore, c’est l’absence d’explications sur les relations plus récentes entre Haïti et les US, surtout le soutien des Etats-Unis aux deux coups d’état (1991 et 2004) contre un président élu démocratiquement. Jean-Bertrand Aristide avait gagné haut la main les élections de 1990 en exprimant les aspirations de la population pauvre d’Haïti, et son programme économique agaçait à la fois les élites haïtiennes et les responsables politiques US.
Si l’administration de Bush père avait formellement condamné le coup d’état militaire de 1990, elle avait apporté un soutien tacite aux généraux. Le président Clinton avait ensuite aidé Aristide à reprendre le pouvoir à Haïti en 1994, mais seulement après avoir forcé le leader haïtien à accepter la politique économique favorable au secteur privé exigée par les Etats-Unis.
Quand Aristide avait été réélu également en 2000, continuant à soutenir les Haïtiens ordinaires, l’administration de GW Bush avait bloqué l’attribution de prêts essentiels pour son gouvernement et avait soutenu les forces réactionnaires brutales qui attaquaient le parti d’Aristide.
La conclusion triste de cette politique s’est produite en 2004, quand l’armée US a littéralement kidnappé Aristide et l’a fait quitter le pays de force. Aristide réside actuellement en Afrique du Sud, empêché par les US de retourner dans son pays, où il a encore beaucoup de partisans et pourrait être utile pour l’organisation des secours. Combien de personnes qui ont été témoins de l’héroïsme de Cooper largement diffusé sur CNN savent que les responsables politiques aux US ont activement déstabilisé la démocratie à Haïti et se sont opposés au mouvement politique le plus populaire du pays ?
On comprend bien que, pendant les premières journées de reportages sur le tremblement de terre, les médias se soient essentiellement intéressés à la catastrophe qui venait de se produire. Mais plus d’une semaine plus tard, quelle excuse ont les journalistes ?
Les responsables des informations télévisées ne devraient-ils pas exiger que les Etats-Unis admettent la responsabilité de notre contribution dans cette situation ? Alors que les responsables politiques se disent émus par la pauvreté à Haïti et se lamentent sur l’absence d’un gouvernement capable d’organiser le pays pendant cette catastrophe, les journalistes ne devraient-ils pas leur poser la question de savoir pourquoi ils n’ont pas soutenu Haïti dans le passé ? Quand ils voient que Bill Clinton et George Bush ont été désignés comme responsables de l’aide humanitaire, les journalistes ne devraient-ils pas poser les questions évidentes, à défaut d’être courtoises, sur la part de responsabilité de ces anciens présidents aux souffrances des Haïtiens ?
Quand les journalistes de grands medias osent rappeler ce passé politique, ils ont tendance à l’expurger des aspects les plus abjects de la politique des Etats-Unis, dégageant les gens au pouvoir aux Etats-Unis de toute responsabilité dans cette politique de "relations maudites entre les deux pays", comme l’a dit un journaliste du Washington Post. Quand les journalistes expliquent que les problèmes d’Haïti résultent d’une sorte de "dysfonctionnement politique", comme l’a qualifié le Post, il n’est pas étonnant alors, que les lecteurs gobent les arguments ouvertement réactionnaires de chroniqueurs qui dénoncent les problèmes d’Haïti comme provenant de sa "tradition de pauvreté" (Jonah Goldberg, Los Angeles Times) ou d’"influences culturelles réfractaires au progrès" qui a ses racines dans le vaudou (David Brooks, New York Times).
On peut être informé grâce aux médias indépendants aux US (Democracy Now, par exemple, a proposé des reportages approfondis) ou en lisant la presse étrangère (comme cette analyse politique de Peter Hallward dans Le Guardian). Quand les journalistes des médias commerciaux aux Etats-Unis fourniront-ils le même genre de compte–rendu honnête ?
Les médias d’infos, évidemment, ont le droit de faire leurs propres choix éditoriaux sur ce qu’ils veulent traiter. Mais nous, les citoyens, sommes en droit d’en attendre davantage.
Robert Jensen
ARTICLE ORIGINAL :
http://dissidentvoice.org/2010/01/great-televisionbad-journalism/
Robert Jensen enseigne le journalisme à l’Université du Texas d’Austin. Il a écrit : Citizens of Empire : The Struggle to Claim Our Humanity and Getting Off : Pornography and the End of Masculinity (South End Press, 2007). Son dernier ouvrage est : All My Bones Shake : Seeking a Progressive Path to the Prophetic Voice. Voir son site.
Site où est également paru ce billet : http://thirdcoastactivist.org/
Traduction emcee Des Bassines et du Zèle
Note annexe de la traductrice :
Tout est dit.
A propos du billet du Guardian de Peter Hallard, je dirai qu’en effet, son texte est bien documenté et très intéressant. Ce qui est inquiétant, c’est la négation des faits et la violence de la réaction de nombreux intervenants dans les commentaires.
Non seulement nous sommes prêts à tout gober, mais nous défendons bec et ongles des gens qui nous mentent délibérément.
C’est déprimant.
Ce n’est pas ainsi que les choses vont changer.
Ni pour Haïti, ni pour tous ceux qui sont dans le collimateur des puissants. Et pour ces derniers, il semblerait que la liste s’allonge de jour en jour. Nous y compris.
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