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10/05/2009

L'école, inféodée à l'économie?

Entretien avec Samuel Johsua

Vous défendez une école émancipatrice? Pensez-vous qu'elle soit encore une priorité dans les politiques éducatives?
En enseignant la lecture et l'écriture, l'école donne encore les moyens pour comprendre et changer le monde. Mais les objectifs –revendiqués ou non– sont toujours plus de piloter l'école en fonction des services rendus à l'économie. En France, les réformes de Nicolas Sarkozy imposent une école normalisatrice, soumise aux valeurs dominantes de la société, où le respect de l'autorité brute devient vertu cardinale. Derrière le refus d'une société de libertinage –que je ne défends pas–, l'école d'inspiration libérale forme des soldats du travail.

Comment la «marchandisation du savoir» qui menace selon vous l'école est-elle en oeuvre en Europe?
Les politiques considèrent toujours davantage que l'on dépense trop pour l'éducation. D'où des économies budgétaires et la remise en cause d'un mode de gestion qui serait trop coûteux. Il s'agirait alors de le calquer sur celui du marché, en mettant les établissements en concurrence. Cela peut aller de pair avec une privatisation de l'école mais également lorsqu'elle reste en mains publiques. Comme en Angleterre, où les établissements doivent gagner de l'argent.
En France, le statut des enseignants dans le public et donc leur autonomie sont menacés, car on ne considère plus qu'ils sont redevables à leur travail, mais à leur directeur-patron. Le projet que les parents puissent choisir l'établissement public pour leur enfant est également une mise en concurrence des élèves. Car en réalité, les lycées pourront sélectionner leur public en se débarrassant des familles défavorisées.

Le contenu des savoirs est-il également touché?
Les diatribes libérales portent sur «l'inutilité» de certains savoirs, avec en France des polémiques récurrentes sur l'enseignement artistique. Les savoirs sont alors définis en terme d'utilité sociale, ce qui se défend, mais interprétée en un sens étroitement économique, donc du point de vue de l'emploi. On assiste en Europe à une offensive contre la partie commune du savoir dispensée à l'ensemble de la population.

Dans quel but?
Une école qui, idéalement, dispenserait un haut niveau de connaissances à 100% de la population n'est pas adaptée au système capitaliste, qui a besoin de main-d'oeuvre acceptant les emplois sous-qualifiés, réservant aux classes sociales élevées les emplois qualifiés. La population a défendu une formation universelle, aidée un temps par les classes dominantes qui jugeaient une société par trop inégalitaire dangereuse. Mais celles-ci ont désormais abandonné cette cause au profit des besoins du marché, se soumettant à l'économie libérale.

A Genève, le Cycle pourrait retourner à un modèle à sections, dans le but de mieux orienter les élèves dont trop échouent ensuite au collège...
C'est l'abandon de la perspective d'une école universelle, car on fait croire à certains jeunes qu'ils ne sont pas faits pour les études. Les élèves étudiant dans les bonnes filières sont favorisés, mais les autres paient le prix. Beaucoup sont laissés sur le bord de la route. Jusque dans les années 1980, l'Europe défendait une formation générale pour tous jusqu'à 14 ans, puis 16 ans. Sauf en Allemagne et en Suisse. Avec la Begique, ces systèmes hypersélectifs ont conduit aux mauvais résultats de ces pays dans tous les classements internationaux. La Finlande, très peu sélective, championne de ces derniers, donne l'exemple exactement inverse.

La sélection moins précoce empêche-t-elle l'échec scolaire?
Ses causes sont multifactorielles. Et l'école d'il y a quarante ans n'a pas plus réalisé l'idéal émancipateur. Mais je rappelle qu'historiquement, pour scolariser les masses paysannes en France, des moyens gigantesques ont été mobilisés, en terme de ressources financières et humaines. Pour que l'école offre les mêmes chances à tous aujourd'hui, il faudrait engager des moyens du même ordre.
Le Courrier - 09.05.09

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