Pour la première fois depuis vingt ans, la vieille guérilla, qui avait combattu la junte militaire, a remporté l’élection présidentielle. L’heure est désormais à la réconciliation.
L’ancienne guérilla salvadorienne a obtenu le 15 mars une victoire historique. Pour la première fois depuis qu’il a déposé les armes, il y a vingt ans, signant des accords de paix qui ont mis fin à la guerre civile, le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN) a conquis la présidence de la république du Salvador [la guerre civile qui a opposé de 1980 à 1992 l’extrême droite de l’ARENA et la guérilla marxiste du FMLN a fait 100 000 morts. Les Etats–unis s’étaient engagés au côté de la junte militaire en place.] Dès la confirmation du résultat serré – 51,27 % des voix contre 48,73 % pour la droite –, le candidat de gauche, le journaliste Mauricio Funes, est apparu en public, escorté par les vieux commandants de la guérilla. "Ce soir, nous devons éprouver un sentiment d’espoir et de réconciliation, celui-là même qui a rendu possibles les accords de paix. Nous avons signé un nouvel accord de paix et de réconciliation du pays avec lui-même. Pour cette raison, j’invite désormais les différentes forces sociales et politiques à construire ensemble l’avenir. Ce jour restera comme celui du triomphe des citoyens qui ont cru en l’espoir et vaincu la peur", a-t-il déclaré, la voix cassée par la fatigue et l’émotion.
Funes portait un veston sombre et une chemise blanche sans cravate. Quant aux vieux commandants de la guérilla, ils avaient revêtu leurs guayaberas* rouges. En plus d’avoir réussi à vaincre l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA, conservateur), le FMLN a surmonté son propre immobilisme. Malgré un parcours politique irrégulier, la vieille garde de la guérilla a accepté de présenter comme candidat un homme jeune, modéré, dont le discours est émaillé d’appels au dialogue et à la réconciliation nationale. Et c’est cet homme qui les a conduits à la victoire. Pendant toute la campagne, la droite dure, qui a gouverné ce pays depuis que les armes se sont tues, n’a cessé d’accuser le FMLN de vouloir vendre le Salvador à Hugo Chávez [le président de gauche du Venezuela] et au communisme international. Mais dans le discours qu’il a prononcé alors qu’il se savait déjà président Funes n’a pas fait le moindre clin d’œil au président du Venezuela. Bien au contraire. Le regard complice a été adressé aux Etats-Unis, un pays où vivent et travaillent plus de 2,5 millions de Salvadoriens. "Je souhaite une politique indépendante, a affirmé le gagnant. Je veux l’intégration de l’Amérique centrale et le renforcement des rapports avec les Etats-Unis."
Conscient de vivre un moment historique, il a ajouté : "C’est la soirée la plus heureuse de ma vie. Et je veux que ce soit aussi la soirée d’un grand espoir pour le Salvador." Il s’est appuyé sur son expérience d’ancien correspondant de CNN pour faire un discours équilibré, avec la bonne dose d’émotion et l’accent immédiat d’un chef d’Etat. Il a rendu hommage aux Forces armées du Salvador [de sinistre mémoire] pour leur comportement pendant la journée électorale. Il était amusant d’observer les vieux commandants guérilleros, l’air sérieux, écoutant leur jeune et médiatique dirigeant parler de l’armée – leurs anciens ennemis – et de Dieu.
Funes a aussi trouvé une petite place dans son discours pour citer quelques mots de l’archevêque Oscar Romero, assassiné par balle en 1980 devant l’autel de la cathédrale de San Salvador [par les escadrons de la mort, les groupes paramilitaires d’extrême droite]. "Mgr Romero a dit que l’Eglise avait une préférence pour les pauvres. C’est ce que je vais faire : favoriser les pauvres et les exclus", a affirmé le nouveau président. La sensation de changement était palpable. Toutefois, la dureté de la campagne électorale avait engendré une certaine tension après la fermeture des bureaux de vote. A 17 h 53, les chaînes de télévision retransmettaient déjà en direct le décompte de certaines tables électorales, à San Salvador, à San Miguel,… Ce n’étaient que quelques tables, mais la joie qui s’en dégageait, la régularité avec laquelle on voyait s’afficher les bulletins du FMLN, la manière dont le président du bureau de vote levait chaque bulletin sous l’ovation des gens amassés autour de l’urne en carton, tout concourait à donner le sentiment que le pays vivait un moment historique.
Les citoyens, de gauche comme de droite, ont montré une fois de plus qu’ils étaient à la hauteur de l’événement. Pendant un mois, les politiques ont mené une campagne sordide et violente. Et pourtant, hier, les Salvadoriens ont voté civiquement et pacifiquement. Ils ont su faire du 15 mars 2009 un jour historique. Les tirs ne retentiront plus que dans les livres d’histoire.
Le Grand Soir - 16.03.09
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