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20/03/2009

Méthode Sarkozy : un fait divers, une loi

Dernière trouvaille du Président après une bagare dans un lycée, la création du délit d' « appartenance à un groupement ».

Un étudiant attaqué par un groupe de jeunes après une manif à Paris le 28 mars 2006 (Thierry Roge/Reuters).

Fait divers médiatique ? Réponse juridique. La méthode est désormais bien rôdée : à chaque événement spectaculaire de l'actualité, Nicolas Sarkozy propose d'introduire un nouveau délit dans le code pénal. Dernier épisode du feuilleton : la bagarre survenue dans un lycée de Gagny et, dans la foulée, la création du délit d' « appartenance à un groupement ». Efficace ? Voire, il existe déjà...

Un nouveau délit de « groupement » ? Trois ans de prison

L'idée semble avoir germé dans les esprits fertiles des conseillers élyséens : un nouveau délit, puni de trois ans de prison, qui permettrait de poursuivre les sauvageons avant même qu'ils n'aient commis la moindre infraction. Nicolas Sarkozy l'a annoncé lors d'une visite mercredi au lycée de Gagny (Seine-Saint-Denis). Là où une bagarre entre bandes a fait douze blessés dans l'établissement, le 11 mars dernier. Le président veut réprimer

« le fait de faire partie, en connaissance de cause, d'un groupement, même formé de façon temporaire, poursuivant le but de commettre des atteintes volontaires contre les personnes ou certains biens ».

Quels biens ? « Cela n'est pas encore défini, répond Guillaume Didier, porte-parole du ministère de la Justice, la Direction des affaires criminelles et des grâces travaille à la rédaction du texte. » Mais le président de la République a indiqué que l'intrusion dans un établissement scolaire pourrait devenir un délit, alors qu'elle n'est qu'une simple infraction pénale.

Un délit qui existe déjà dans le code pénal

A quoi pourrait servir ce nouveau délit ? « L'idée, précise le magistrat Guillaume Didier, est d'avoir un dispositif pour réprimer les gens qui forment une bande dans le but de commettre des infractions. Mais attention, on ne va pas réprimer dix personnes qui vont faire un pique-nique en écoutant du rap. » On respire. En réalité, conteste le sociologue Laurent Mucchielli, ce nouveau délit existe déjà :

« C'est un effet d'annonce de Nicolas Sarkozy. Il y a déjà dans le code pénal tout ce qu'il faut pour réprimer avec, par exemple, le délit d'association de malfaiteurs. »

Pour ceux qui auraient oublié le code pénal, »l'association de malfaiteurs » est ainsi définie :

« Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. »

Précision : ce délit est en général associé à d'autres, comme circonstance aggravante des faits poursuivis. A l'exception de la législation anti-terroriste, peu de justiciables se retrouvent donc devant un tribunal sur ce seul chef. Encore moins les mineurs. Mieux : pour la porte-parole du Procureur de la République de Paris, Isabelle Montagne, l'annonce présidentielle va permettre de résoudre un dilemme juridique :

« Notre difficulté est de traiter les faits juridiquement. En clair, il faut deux choses : identifier les auteurs et leur accrocher une infraction individuellement. Dans les rixes entre bandes, la police arrive après les faits. Il y a un problème d'imputabilité des faits. Avec ce nouveau délit, le simple fait de participer à une bande permettrait de les incriminer. »

Est-on en train de créer un délit préventif ? Façon Minority Report et sa police « precrime » ?

Marwan Mohammed, sociologue, n'est pas loin de le penser, comme il l'a longuement expliqué dans un entretien au Monde :

« C'est la création d'un délit de mauvaise fréquentation sur le modèle de la législation antiterroriste. C'est une logique hypersécuritaire, que je n'ai vue pour l'instant que dans les pays avec des groupes hyperviolents comme en Amérique centrale. »

Est-ce la meilleure réponse aux violences urbaines commises par les jeunes ?

Nicolas Sarkozy avait bien préparé le terrain de sa visite à Gagny, grâce à une déclaration tonitruante de Michèle Alliot-Marie. Mardi matin sur Europe 1, veille du déplacement, la ministre de l'Intérieur lance un chiffre repris en boucle :

« Vous avez aujourd'hui en France 222 bandes recensées. Ces 222 bandes sont à 79% en région parisienne et elles comportent environ 2500 individus qui sont des permanents de ces bandes, 2500 autres qui sont des occasionnels, parmi eux vous avez 47% de mineurs. »

Effet garanti. Place Beauvau, on affirme que ces estimations proviennent de la SDIG, sous-direction de l'information générale (ex-RG). Sans plus de précision. Les anciens Renseignements généraux refusent de répondre à nos questions. Là encore, les observateurs comme Marwan Mohammed, auteur de « Bandes de jeunes » (La Découverte), doutent :

« Deux cent vingt-deux bandes, cela me semble très largement en deçà de la réalité. Sur sept cent cinquante zones urbaines sensibles, en imaginant même qu'il y ait une bande dans seulement une zone sensible sur deux, on arrive déjà à beaucoup plus. Je n'ai jamais réussi à obtenir les détails sur les calculs. Juste des doutes, surtout avec le contexte politique. »

Un rapport du parquet de Paris contredit l'Elysée

Les deux rédacteurs du récent rapport « Le Phénomène des bandes à Paris », un commissaire de police et un membre de la Protection judiciaire de la jeunesse, expriment le même scepticisme. Ce rapport a été commandé par Jean-Claude Marin. Mais le procureur de la République n'en retient, aujourd'hui, que les aspects répressifs.

S'il note une augmentation significative des « affrontements entre bandes » (plus 29% en 2007), le texte insiste sur la volatilité du « phénomène » :

« Les bandes ne semblent pas des groupes constitués et intangibles. Il n'y règne aucune obligation d'y appartenir ou de s'y maintenir. Il ne faut pas les confondre avec l'organisation d'un trafic de drogue, par exemple, qui est très hiérarchisé avec chef, porteurs, revendeurs, guetteurs.... La bande n'a pas d'organisation, ce qui n'empêche pas les jeunes d'appartenir aux deux types de groupe. »

Dans ces conditions, les magistrats auront encore plus de mal à appliquer le nouveau délit de « groupement ». Enfin, au chapitre « Ajuster la réponse judiciaire », insistant sur le rôle décisif des dispositifs de prévention, le rapport cite une expérience australienne :

« Une stratégie innovante reposant sur le modèle australien du Family Group Conferencing, fondé sur la restitution du pouvoir à la famille et adapté, avec succès, dans plusieurs législations europeennes et internationales (Belgique en 2006), est a même de prendre en compte, au plus près, le phénomène :

L'adaptation du principe consiste dans la participation du mineur et de sa famille, même élargie, à un ou plusieurs entretiens avec un groupe mandaté d'intervenants formés : policier, travailleur social, médecin, psychologue, bailleur social... constitué au sein d'une association habilitée ou émanant de la PJJ, sur un programme spécifique, pour lutter contre le sentiment d'impunité, faire accéder le mineur, en quête d'identité, au principe de réalité et restituer son autorité à la famille. »

Une proposition que Nicolas sarkozy n'a pas dû lire.

Photo : un homme attaqué par un groupe de jeunes après une manif à Paris 28 mars 2006 (Thierry Roge/Reuters).

Rue89 - 20.03.09

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