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11/10/2011

L'imposture sondagière. Entretien avec Alain Garrigou

De nombreuses polémiques ont cours entre sondeurs et sociologues. Pourquoi est-il si difficile de critiquer les sondages ?

Il y eut des polémiques marquantes entre sociologues et sondeurs. Ou, plutôt, des critiques sévères des sociologues à l’égard des sondeurs. Ces derniers ont d’abord essayé de se mettre les premiers « dans la poche ». Ils avaient tout à gagner à une polémique, même dure, car elle leur donnait du crédit scientifique. Du moins si elle se déroulait avec la visibilité des médias. Cela a conduit la plupart des sociologues à refuser ces échanges asymétriques où les uns défendent une conception exigeante de la science et les autres leur chiffre d’affaires. Les sondeurs ont donc d’abord été conciliants et souvent aimables. Ils faisaient volontiers des avances en soulignant l’intérêt de la critique. Cela a changé. Aujourd’hui, ils font la guerre. En outre, pour les scientifiques, il n’est pas si facile d’aller à l’encontre du sens commun devant le public profane. Aller dire que l’opinion publique n’existe pas toujours ni également et que les sondages produisent souvent des artefacts risque fort de n’être pas compris et d’attirer l’accusation d’antidémocratie. Comme si la science était démocratique…
Il y a donc des coups à prendre et peu de profits à attendre. Mais le silence est encore plus probable, le silence du « cimetière » s’entend, celui de la censure des médias. Certains journalistes et surtout des patrons de presse ne veulent pas contrarier les sondeurs avec lesquels ils travaillent depuis de nombreuses années, qu’ils tutoient, qui leur apportent gratuitement des informations et des analyses, leur suggèrent des sujets d’enquête, leur donnent des tuyaux. Alors la critique des sondages, à quoi bon ?

Dans votre ouvrage, vous parlez de « sondomanie », de « l’ivresse des sondages », comment expliquez-vous cette « addiction » toujours plus importante aux sondages, malgré leurs erreurs successives ?

L’ivresse des sondages, ce titre vient de l’épistémologue Abraham Kaplan qui raconte l’histoire de l’ivrogne cherchant ses clefs à la lueur d’un réverbère non point parce qu’elles sont là mais parce qu’il y a plus de lumière. En sociologie, Charles Wright Mills a parlé d’inhibition méthodologique, c’est-à-dire de la propension à utiliser les méthodes notamment quantitatives parce qu’elles existent et non parce qu’elles sont adaptées au problème. Mais cela est une propension générale des sociétés contemporaines qui ont besoin de la mesure pour évaluer toutes choses. Tant pis si elle est fausse ou inappropriée. Les sondages électoraux sont aussi importants parce que c’est le seul terrain sur lequel faire des vérifications « en grand ». Or les corrections des données brutes* peuvent être énormes (pour Jean-Marie Le Pen, les intentions de vote sont aujourd’hui multipliées par plus de 2) mais cela sert utilement la croyance en la fiabilité alors que sur les autres sujets, ils ne font pas de correction. Qu’importe donc l’exactitude pourvu qu’il y ait des chiffres. Il en va des sondages comme des chiffres d’audimat qui servent à calculer les tarifs publicitaires ou des indices financiers : ils contribuent à définir la valeur des choses, des actifs ou des hommes.
La politique s’apparente en cela à l’univers du marketing où il faut tout évaluer, tester pour prendre des décisions. Et d’ailleurs, les entreprises de sondages font l’essentiel de leur activité dans le secteur économique. Les sondages qui paraissent dans la presse sont souvent vendus à perte, car la politique est aussi un faire-valoir publicitaire et statutaire. Les sondages contribuent à sa marchandisation avec d’immenses conséquences. Contrairement à la météo qui n’a pas les moyens de changer le temps qu’il fera, ils ont des effets parce qu’ils agissent sur les croyances comme les informations financières agissent sur les cours de bourse. Ici, casser le thermomètre change la température du malade.
Bien sûr, les sondages sont devenus un instrument de pouvoir. Quand ils sont associés à des lois sur le financement public des partis et que les banques ne prêtent qu’aux candidats « faisant » 5 % au moins dans les intentions de vote, on imagine les tentations. Cela devient même une condition pour l’accès aux médias. La sondomanie prospère sur un paradoxe et une tromperie : il faut sonder à satiété pour confisquer la démocratie en restaurant des mécanismes censitaires et ploutocratiques.

Face à cette banalisation des sondages, vous remarquez d’ailleurs que le taux de non-répondants augmente. Pour quelles raisons ?

En effet, le taux de non-répondants augmente, c’est-à-dire le nombre de ceux qui sont injoignables et ceux qui refusent de répondre aux enquêteurs. Il faut dix appels téléphoniques pour réaliser un questionnaire complet. C’est un indice de la plus faible coopération du public car trop de sondages tue les sondages. Par contre, les non-réponses sont toujours aussi faibles : un tout petit pourcentage, même pour des questions difficiles. Il y a souvent de quoi s’étonner de ces sondés qui ont une opinion sur tout. Pour comprendre, il faut voir comment sont effectuées les enquêtes dans les centres de téléphonie. Tout est fait pour que les sondés répondent car les enquêteurs sont payés aux pièces. Et tant pis si les sondés répondent n’importe quoi ou un peu au hasard. Ils répondent souvent par compassion pour des enquêteurs qui doivent bien vivre. Et le travail d’enquêteur est très dur.
Aussi les sondages produisent-ils souvent des réponses légitimistes ou au faible degré de réalité. Finalement, on dit qu’ils se trompent au regard de la seule épreuve dont ils disposent, c’est-à-dire l’élection, alors que, plus souvent, ils affabulent. Mais il est tellement difficile d’aller à l’encontre de ce bruit de fond que le sens critique est très émoussé. Qui peut se vanter d’être indemne quand il est si facile de se féliciter d’un « bon sondage » et de rejeter un « mauvais sondage ». Les dirigeants politiques sont caricaturaux en invoquant ou révoquant les sondages selon leurs intérêts, mais ils ne font que porter à son extrême une logique à laquelle tout le monde participe peu ou prou.

La croyance aux sondages a de nombreux effets sur la vie politique, mais quels sont ses effets sur le travail scientifique ?

Incontestablement, l’image publique de la science est atteinte par cette parodie de science qui consiste à croire que les hommes font ce qu’ils disent et disent ce qu’ils font. En partie sans doute mais pas comme l’acceptent sans sourciller les sondeurs. Quand on sait qu’en outre, ils refusent de donner leurs données brutes et donc leurs corrections dans le cas des sondages électoraux, on est dans une opacité aux antipodes de la science. Ils participent à la régression de la culture scientifique comme les parasciences qui progressent dans le monde actuel. J’ai réagi en partie au nom de la défense d’une vraie science car on ne peut se contenter de l’indifférence voire du mépris de beaucoup de chercheurs qui ont, il est vrai, bien des raisons de se replier sur la vie de laboratoire et de renoncer à la parole publique. La critique doit tenir, ce me semble, d’une sainte colère contre l’imposture sondagière.

http://www.scienceshumaines.com/l-imposture-sondagiere-entretien-avec-alain-garrigou_fr_15518.html

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