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13/10/2011

CopWatch, le site que le ministre de l'Intérieur veut faire interdire

C'est un site qui veut surveiller les actions policières, de manière à prévenir les dérives autoritaires. Ce n'est pas du goût du ministre de l'Intérieur : Claude Guéant a demandé à la justice de l'interdire.

Le ministre de l'Intérieur a mis quelques jours à prendre la mesure de la chose, mais désormais, la guerre semble déclarée. En déposant le 7 octobre un référé auprès du tribunal de grande instance de Paris, visant à faire bloquer l'accès à CopWatch (« surveillance de flic »), un site qui publie dans un but citoyen photos et données précises sur des policiers du Nord et d' Île de France, Claude Guéant a décidé de frapper fort. Il demande ni plus ni moins à la justice de contraindre les fournisseurs d'accès à Internet à filtrer onze URL (adresses) du site, jugeant le fichage opéré « scandaleux et insupportable » et les propos tenus par CopWatch Nord-Paris IDF « diffamatoires et injurieux, mettant en péril la sécurité des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie ». L'audience en référé a eu lieu aujourd'hui et en attendant le verdict du TGI de Paris, vendredi 14 à 17 heures, le parquet s'est prononcé pour le filtrage des onze URL incriminées.

Depuis son lancement, le 20 septembre, CopWatch Nord-Paris IDF met en effet à disposition une base de données sur plus de quatre cent cinquante policiers, parfois identifiés nommément : « N'aime pas les “minorités ethniques” » ; « Porte la marque néo-nazi “thor steinar” pendant l'exercice de ses fonctions » ; « N'hésite pas à taper dans les cellules de garde à vue. » Tout ces détails dans un but : faire la lumière sur les agissements de la police et répertorier précisément ses dérives autoritaires, violentes ou racistes.

Phénomène nouveau dans l’Hexagone, le copwatching est largement répandu aux Etats-Unis. Il est apparu en Californie à Berkeley en 1990, sous l'impulsion de quelques « patrouilles-vidéo » décidées à mettre en lumière les brutalités dont la police du comté se rendait régulièrement coupable. Héritage des Black Panthers et du mouvement des droits civiques dans les années 60, le copwatching a connu son premier grand fait d'armes avec l'affaire Rodney King à Los Angeles, en 1991 : arrêté pour excès de vitesse, ce citoyen noir américain est tabassé par quatre policiers. Un inconnu, qui se trouve là par hasard, filme la scène en cachette, ce qui vaudra un procès aux policiers, débouchant contre toute attente sur leur acquittement. S'ensuit alors six jours d'émeutes raciales. Depuis, le phénomène du copwatching s'est largement structuré sur tout le territoire américain : chaque ville ou presque dispose de sa vigie citoyenne comme à Portland, Austin, NYC, Santa Cruz, Phoenix, Berkeley, ou encore Tucson et Denver. En tout, il existe aujourd'hui soixante-quinze groupes de Copwatch aux Etats-Unis dont les informations récoltées sont rassemblées au sein d'une base de données comportant des fiches sur 212 000 policiers !

En comparaison, le mouvement en France n’en est qu’à ses prémices. Très radical dans ses positions, CopWatch Nord-Paris IDF est l'œuvre d'internautes anonymes mais dont tout porte à croire – les valeurs, la virulence des critiques émises vis-à-vis des forces de l'ordre et de l'autorité de la police en général – qu'ils se situent à l'extrême gauche de l'échiquier politique. Quant à leur identité, les intéressés se sont évidemment protégés à l’avance pour éviter la traque, prévisible, des autorités, comme le relevait récemment Le Parisien : une adresse IP brouillée qui indique un code 123.123.123 volontairement fantaisiste, un hébergeur nommé RiseUp.net (« Levez-vous ») situé à Seattle aux Etats-Unis et connu pour offrir ses services à des groupes d’extrême gauche et libertaires, en garantissant un anonymat complet via des techniques de brouillage.

Dans une récente interview à Owni , l’un des membres de CopWatch Nord-Paris IDF expliquait que toutes les informations et données collectées avaient requis des années de travail : « Nous avons filmé sur le terrain, fait des filatures à la sortie des commissariats et épluché les procès-verbaux des copains passés en garde à vue. » Les liens avec l’extrême droite mis en évidence pour certains policiers ont pu l’être grâce à une traque numérique habile, en devenant amis avec eux sur Facebook (les intéressés ont accepté les demandes des membres de CopWatch, qu’ils ne connaissaient pas), puis en récoltant photos et preuves sur leur profil. Exemple avec ce policier un peu trop naïf, qui affiche ses accointances sur son profil.

Filmer les policiers, est-ce légal ? Comme le déclare ce délégué syndical de l'UNSA dans cette vidéo, rien n'empêche quiconque de filmer un policier dans l'exercice de ses fonctions si aucune interdiction n'a été posée au préalable. En réalité, aucun article de loi n'existe sur le sujet, à l’exception de deux arrêts de la cour de cassation datant de 2000 et 2001, et signalés par Slate, qui précisent que « la diffusion d'images de policiers dans l'exercice de leur fonction est autorisée dès lors qu'elle illustre un événement d'actualité ». Une manif, des expulsions d'un camp de réfugié ou la chasse aux vendeurs à la sauvette, autant de cas couverts par le qualificatif d' « actualité ». Le droit à l'image ne s'appliquant que sur la vie privée, toute photo ou vidéo prise dans un espace public se révèle licite. Même Facebook, utilisé par les copwatchers pour récolter des informations sur les profils des policiers, ne fait pas partie du domaine privé. Seul l'anonymat est requis dans certains cas, assez évidents : pour les policiers engagés dans la lutte antiterroriste, les interventions criminelles, les investigations financières ou les interventions du RAID.

Qualifié d’« antiflic » par le syndicat de police Alliance, CopWatch s'inscrit pourtant dans un objectif de fichage précis et ordonné, et plus seulement dans la diffusion d'images prises à la sauvette, avec le souci déclaré d'« avoir une vue d’ensemble des pratiques policières ». Gage de crédibilité, les informations comme les photos et les vidéos sont recoupées, authentifiées, avant d’être mises en ligne, dans une démarche citoyenne. Reste que certains propos tenus sur le site, volontiers vindicatifs, ont donné du grain à moudre à ses pourfendeurs (« Policiers, nous vous identifierons tous un à un. Que votre impunité trouve une fin… » ; «… Nous considérons [vos] institutions comme la fosse commune de l'humanité, le charnier de l'évolution, la mise à mort quotidienne de la déontologie et de l'éthique. »).

Si la décision de censure des onze URL venait à être confirmée, ce serait une grande première en France, qui pourrait ouvrir la voie à d’autres interdictions et filtrages. En attendant, CopWatch a assuré sa survie : grâce à l’aide bénévole de nombreux internautes, des dizaines de sites miroirs ont été mis sur pieds pour palier un éventuel blocage. La possibilité de répliquer à l’infini le site – manipulation à la portée de l’internaute lambda – sous l’effet de la menace d’une censure, baptisé effet Streisand, rend d’ores et déjà caduque une hypothétique décision de filtrage par l'autorité judiciaire.
Jean-Baptiste Roch

http://www.telerama.fr/medias/le-copwatching-sous-surveillance,74048.php

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