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31/05/2011

Le triomphe des riches

Denis Clerc 


On s'en doutait un peu, mais la confirmation est officielle : en France, les inégalités se creusent. Mais elles ne se creusent pas par le bas, par l'accroissement de la part des pauvres dans la population. Elles se creusent par le haut, les riches devenant sans cesse plus riches. Les chiffres que vient de publier l'Insee dans sa publication annuelle sur « Les revenus et le patrimoine des ménages » [1] sont sans appel.
Dans le bas de la pyramide sociale, la proportion des personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passée de 14,5 % à 13 % entre 1996 et 2008 (dernière année connue). Comme le seuil de pauvreté est calculé chaque année en fonction du niveau de vie médian (celui qui est juste au milieu de la distribution, moitié des personnes disposant de moins, moitié de plus), cette baisse implique que, au moins entre 1997 et 2001 (années durant lesquelles a eu lieu la totalité de la baisse constatée), le niveau de vie du bas de la pyramide sociale a progressé plus vite que la médiane. Cela s'explique principalement par la diminution du taux de chômage, qui, durant ces années-là, est passé de 11 % à 8 %. En effet, avec le chômage, le revenu des personnes concernées diminue fortement, surtout si, au sein du ménage, il n'y a pas d'autre adulte en emploi (cas des familles monoparentales ou des personnes isolées notamment). De ce fait, plus d'un tiers des chômeurs (35 %) disposent d'un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Or, entre 1996 et 2002, la progression de l'emploi a été particulièrement forte, passant de 23,1 à 24,8 millions (+ 1,7 million en six ans) et le nombre de chômeurs a reculé de 600 000, alors que, au cours des six années suivantes (2002 à 2008), la progression du nombre d'emplois a été bien moindre (+ 1,1 million) et la diminution du nombre de chômeurs quasiment nulle (− 100 000). La pauvreté étant en partie liée au chômage, la réduction de ce dernier durant la première partie de la période a donc permis de voir la pauvreté reculer, tandis que, durant la deuxième partie de la période, stabilité du chômage et stabilité de la pauvreté sont allées de pair.
Certes, le chômage n'est pas le seul déterminant de la pauvreté. On peut le constater en suivant la situation des familles monoparentales. La proportion d'entre elles qui disposent d'un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté a sensiblement progressé entre 2004 et 2008, passant de 26 % à 30 %. Pourtant, durant cette période, la part des parents ayant un emploi dans ce type de familles s'est un peu accrue (passant de 62,8 % à 64,6 % pour les familles monoparentales ayant un ou deux enfants et restant stable pour les familles monoparentales ayant trois enfants ou plus). Deux phénomènes se conjuguent dans ce cas. D'une part, la qualité des emplois occupés s'est dégradée : temps très partiel ou emplois temporaires entrecoupés de période de chômage peu ou pas indemnisé. D'autre part, un nombre croissant de parents quittent complètement le marché du travail et n'ont plus alors comme ressources que l'aide sociale (RSA principalement).
Proportionnellement moins de pauvres en 2002 qu'en 1996, et, depuis, une quasi-stabilité, liée au chômage qui ne recule plus, aux retraits du marché du travail et à la proportion croissante de personnes isolées et de familles monoparentales. Mais il faut compléter le tableau par quelques touches plus sombres, concernant l'intensité de la pauvreté. Ce dernier terme désigne l'écart qui existe entre le niveau de vie médian des personnes pauvres et le seuil de pauvreté : ainsi, le seuil de pauvreté en 2008 était de 949 euros, mais ceux qui vivaient avec moins que ce montant n'étaient pas dans la même situation selon qu'ils disposaient de 500 euros ou de 900 euros. L'intensité de la pauvreté permet en quelque sorte de rendre compte de la gravité de la pauvreté. En 1996, cette intensité était de 19,2 %. Cela signifiait que la moitié des pauvres disposaient d'un niveau de vie inférieur d'au moins 19,2 % au seuil de pauvreté de l'époque. Six ans après (2002), elle s'était réduite à 16,6 %. La pauvreté n'avait pas seulement reculé, elle était devenue moins intense. Encore six ans après (2008), l'intensité était revenue à 18,5 % : proportionnellement, pas plus de pauvres qu'en 2002, mais leur pauvreté s'est accentuée.
Dans le haut de la pyramide, c'est un paysage bien différent que l'on peut découvrir. Dans le dixième le plus aisé de la population, on dispose en 2008 d'un niveau de vie très confortable, puisqu'il est d'au moins 3 000 euros par mois[2]. Jusqu'en 2003, le niveau de vie de ce dixième aisé évoluait à peu près au même rythme que celui du dixième le plus modeste. Lequel, on l'a vu, progressait un peu plus vite que la médiane : durant cette période, la société évoluait « en sablier », selon les termes d'Alain Lipietz : les plus modestes et les plus aisés voyaient leur niveau de vie évoluer plus rapidement que celui des couches intermédiaires. Mais à partir de 2003, changement de paysage : les plus modestes ont vu leur niveau de vie suivre celui des couches intermédiaires, tandis que les plus aisés connaissaient un envol de leur niveau de vie. Ces derniers disposaient en 2003 de 23,4 % des revenus totaux des ménages après impôts. En 2008, de 24,3 %. Alors que le niveau de vie moyen de ce dixième le plus favorisé était, en 2003, en moyenne 6,07 fois supérieur au niveau de vie moyen du dixième le plus modeste, en 2008, l'écart est de 6,67 : un dixième de plus[3] ! La différence peut paraître minime, mais elle correspond à une accentuation de l'écart moyen de 5 000 euros par an au bénéfice des plus aisés. Explication de l'Insee : « Les revenus du patrimoine du dernier décile [le dixième le plus aisé, nldr] augmentent de 11 % par an en moyenne, expliquant la quasi-totalité de l'accroissement spécifique de leur niveau de vie. » Le bouclier fiscal n'a joué qu'un rôle sans doute très mineur dans cette affaire : ce qui est en cause, c'est l'accroissement constant des dividendes et des loyers, les uns et les autres profitant essentiellement au dixième le mieux loti, au détriment du dixième le moins bien loti en ce qui concerne les loyers.
On se gardera de faire ici le moindre commentaire politique. Mais les dates auxquelles se sont produites les modifications d'évolution − que ce soit dans l'arrêt de la réduction de la pauvreté, dans l'intensité croissante de la pauvreté ou dans la part croissante des revenus des plus aisés − ne sont sans doute pas seulement le fruit du hasard.

http://www.alternatives-economiques.fr/le-triomphe-des-riches_fr_art_633_54195.html

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