Nolwenn Weiler
Contrats à durée déterminée en cascade, droits assedic limités, difficultés de logement… Le quotidien des 2 millions de travailleurs saisonniers est bien loin du cliché d’un salarié qui profiterait de la montagne l’hiver et de la mer en été. Richard Dethyre, sociologue et coordinateur du premier Forum social des saisonniers, côtoie depuis plus de 10 ans ces nomades du travail. Alors que s’ouvrent les négociations sur l’assurance chômage, il préconise une amélioration de leur statut, pour les faire sortir de la précarité. Entretien.
Basta ! : Quelle est la différence entre un contrat de saisonnier et un CDD ?
Richard Dethyre [1] : Concentrés dans des secteurs du tourisme et de l’agriculture, les contrats à durée déterminée des saisonniers peuvent être renouvelés plusieurs années de suite, sans aucune prime de fin de contrat. Et avec des droits assedic minorés. De 71% du salaire net pour les autres salariés, on passe à 50% pour les saisonniers. Alors qu’ils cotisent autant que les autres ! De plus, au bout de trois années, un saisonnier peut voir ces droits supprimés. Parce que l’Unedic prévoit des indemnités dites « de remplacement » et non « de complément ».
Cette façon d’indemniser les saisonniers correspond à une vision tronquée de ce qu’ils sont : beaucoup de personnes pensent qu’ils choisissent ce statut, pour pouvoir changer de régions, et profiter de la mer en été et de la montagne en hiver. Mais cette vision correspond plutôt à une période de plein emploi, qui est bel et bien terminée. Aujourd’hui, la plupart des saisonniers ne choisissent pas cette intermittence forcée. Mais on ne les entend pas. On ne leur donne pas parole. Ils ne sont pas syndiqués. Ils sont invisibles. La preuve : au dernier grand Salon du tourisme, qui se tenait à Paris au printemps 2010, il n’y avait aucun saisonnier !
Quelles sont, au quotidien, les difficultés de ces travailleurs ?
Ce sont les difficultés du travail intermittent. Ils ne peuvent pas louer d’appartement, ne peuvent pas obtenir de prêt bancaire, etc. Ils n’ont pas cette sécurité sociale qu’est censé apporter le travail. Il y a aussi des difficultés très spécifiques comme le fait que garer sa voiture à Val d’Isère pendant la saison d’hiver, ça coûte 4.500 euros ! Ce sont souvent des professionnels de grand talent. Ils ont une grande capacité d’adaptation, ils sont capables de changer de lieux, d’équipe, de chef, en étant opérationnels tout de suite. Mais ils sont, globalement, dans une terrible souffrance de ne pas être reconnus pour leur professionnalisme. D’autant que le secteur du tourisme génère un chiffre d’affaire annuel de 145 milliards d’euros !
Finalement, nous sommes le pays le plus visité du monde avec les travailleurs les plus mal lotis. En Espagne, autre pays touristique, un salarié touche 70% de son salaire pendant les périodes creuses, sans risque de perdre un jour ce complément.
Quelles sont les actions urgentes à mener ?
Nous les avons fait émerger lors du premier Forum social des saisonniers où, pour la première fois, ces travailleurs se sont vraiment exprimés. L’urgence, c’est de se manifester lors des négociations entre les partenaires sociaux sur l’assurance chômage qui ouvrent lundi 24 janvier. C’est dans ce cadre que cinq salariés saisonniers ont porté plainte contre l’Unedic, par l’intermédiaire de la Halde, pour prévarication (manquement à ses obligations). Nous allons rendre cette plainte plus visible. Il faut réussir à négocier un statut spécial qui protège les travailleurs saisonniers. Calqué en partie sur celui de l’Espagne, qui fonctionne plutôt bien.
Est-ce que la situation socio-économique actuelle pèse sur ce statut ?
Évidemment. Le chômage de masse permet de faire supporter des conditions toujours pires aux salariés. Cela crée des situations sans rapport de force possible. Une sorte de fatalité s’est installée. Le Forum social des saisonniers est une première étape de sortie de cette situation, mais il faut poursuivre. Parce que la vague libérale, qui n’a que faire des travailleurs, est très forte. Partout où ils le peuvent, les employeurs usent de la culture de l’actionnariat pour laquelle le travail représente un coût et non une richesse.
Ainsi, des secteurs comme les musées ou les stations-service emploient de plus en plus de saisonniers. On adapte la main-d’œuvre aux périodes de pleine activité. Celui qui doit payer l’addition, c’est le salarié. Il y a une inversion dans la nature du contrat de travail. Il devient une assurance pour l’employeur de maintenir ses marges au lieu d’être une garantie pour le salarié.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
Richard Dethyre [1] : Concentrés dans des secteurs du tourisme et de l’agriculture, les contrats à durée déterminée des saisonniers peuvent être renouvelés plusieurs années de suite, sans aucune prime de fin de contrat. Et avec des droits assedic minorés. De 71% du salaire net pour les autres salariés, on passe à 50% pour les saisonniers. Alors qu’ils cotisent autant que les autres ! De plus, au bout de trois années, un saisonnier peut voir ces droits supprimés. Parce que l’Unedic prévoit des indemnités dites « de remplacement » et non « de complément ».
Cette façon d’indemniser les saisonniers correspond à une vision tronquée de ce qu’ils sont : beaucoup de personnes pensent qu’ils choisissent ce statut, pour pouvoir changer de régions, et profiter de la mer en été et de la montagne en hiver. Mais cette vision correspond plutôt à une période de plein emploi, qui est bel et bien terminée. Aujourd’hui, la plupart des saisonniers ne choisissent pas cette intermittence forcée. Mais on ne les entend pas. On ne leur donne pas parole. Ils ne sont pas syndiqués. Ils sont invisibles. La preuve : au dernier grand Salon du tourisme, qui se tenait à Paris au printemps 2010, il n’y avait aucun saisonnier !
Quelles sont, au quotidien, les difficultés de ces travailleurs ?
Ce sont les difficultés du travail intermittent. Ils ne peuvent pas louer d’appartement, ne peuvent pas obtenir de prêt bancaire, etc. Ils n’ont pas cette sécurité sociale qu’est censé apporter le travail. Il y a aussi des difficultés très spécifiques comme le fait que garer sa voiture à Val d’Isère pendant la saison d’hiver, ça coûte 4.500 euros ! Ce sont souvent des professionnels de grand talent. Ils ont une grande capacité d’adaptation, ils sont capables de changer de lieux, d’équipe, de chef, en étant opérationnels tout de suite. Mais ils sont, globalement, dans une terrible souffrance de ne pas être reconnus pour leur professionnalisme. D’autant que le secteur du tourisme génère un chiffre d’affaire annuel de 145 milliards d’euros !
Finalement, nous sommes le pays le plus visité du monde avec les travailleurs les plus mal lotis. En Espagne, autre pays touristique, un salarié touche 70% de son salaire pendant les périodes creuses, sans risque de perdre un jour ce complément.
Quelles sont les actions urgentes à mener ?
Nous les avons fait émerger lors du premier Forum social des saisonniers où, pour la première fois, ces travailleurs se sont vraiment exprimés. L’urgence, c’est de se manifester lors des négociations entre les partenaires sociaux sur l’assurance chômage qui ouvrent lundi 24 janvier. C’est dans ce cadre que cinq salariés saisonniers ont porté plainte contre l’Unedic, par l’intermédiaire de la Halde, pour prévarication (manquement à ses obligations). Nous allons rendre cette plainte plus visible. Il faut réussir à négocier un statut spécial qui protège les travailleurs saisonniers. Calqué en partie sur celui de l’Espagne, qui fonctionne plutôt bien.
Est-ce que la situation socio-économique actuelle pèse sur ce statut ?
Évidemment. Le chômage de masse permet de faire supporter des conditions toujours pires aux salariés. Cela crée des situations sans rapport de force possible. Une sorte de fatalité s’est installée. Le Forum social des saisonniers est une première étape de sortie de cette situation, mais il faut poursuivre. Parce que la vague libérale, qui n’a que faire des travailleurs, est très forte. Partout où ils le peuvent, les employeurs usent de la culture de l’actionnariat pour laquelle le travail représente un coût et non une richesse.
Ainsi, des secteurs comme les musées ou les stations-service emploient de plus en plus de saisonniers. On adapte la main-d’œuvre aux périodes de pleine activité. Celui qui doit payer l’addition, c’est le salarié. Il y a une inversion dans la nature du contrat de travail. Il devient une assurance pour l’employeur de maintenir ses marges au lieu d’être une garantie pour le salarié.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
Notes
[1] Il est l’auteur de Avec les saisonniers, une expérience de transformation du travail dans le tourisme social, paru aux éditions La Dispute en 2007, et coordinateur du premier Forum social des saisonniers, qui s’est tenu à Aubagne, en décembre 2010.
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