Arnaud Bihel
Le sommet de Cancún sera l'occasion d'avancer sur les détails du REDD+, mécanisme de préservation des forêts. Mais la « ruée sur le REDD » a d'ores et déjà commencé, remarque l'ONG Friends of the Earth. Et pour cause : les projets peuvent se montrer profitables pour les banques, les compagnies pétrolières ou agroalimentaires – beaucoup moins pour les populations concernées.
REDD+, pour « Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts dans les pays en développement ». Ce mécanisme de préservation des forêts est, de l'avis des négociateurs, le point le plus avancé des discussions internationales sur le climat. Et, même si ses détails ne sont pas encore arrêtés, des dizaines de projets reprenant les principes généraux du REDD sont déjà mis en application sur le terrain, du Brésil à l'Indonésie en passant par le Nigéria. Ce qui permet à l'ONG Friend of The Earth International (FoE) de porter un regard critique sur ses conséquences, dans un rapport publié à l'occasion du sommet de Cancún – où se poursuivent, entre autres sujets liés au climat, les négociations sur le REDD.
Sur le fond, les mécanismes du REDD permettent des transferts de fonds effectifs des pays du Nord vers ceux du Sud pour financer des programmes limitant ou compensant la déforestation (1). Le flux pourrait atteindre 30 milliards de dollars par an. De tels programmes peuvent être efficaces si les projets sont élaborés avec soin ; et certains le sont, reconnaît le rapport. Mais ce système n'est-il pas « trop beau pour être vrai » ? C'est ce que pense FoE, constatant que la « ruée vers le REDD » a déjà commencé, « avec des investisseurs – dont des banques, des compagnies d'énergie et des traders de carbone - pleinement engagés à la recherche de profits ».
Une « privatisation progressive des ressources naturelles »
Des profits en terme d'image pour des firmes pollueuses, que des actions de préservation ou de reforestation permettent de verdir à peu de frais. Mais aussi des intérêts financiers. FoE s'attarde ainsi, parmi d'autres exemples, sur le projet Rimba Raya, en Indonésie. Là, deux géants de l'énergie, Shell et Gazprom, et la Fondation Clinton, ont investi dans 100 000 hectares de tourbières et de forêt. L'objectif du projet est de prévenir l'émission de 75 millions de tonnes de CO2 dans les 30 prochaines années. Un projet explicitement considéré comme « source de profit » : il pourrait permettre de générer 750 millions de dollars... dont seuls 25 millions seraient directement reversés aux communautés locales.
De fait, les mécanismes du REDD permettent « à des multinationales et autres gros investisseurs de réaliser des gains confortables, mais apportent un bien moindre bénéfice – voire de sérieux désavantages – aux peuples indigènes et autres communautés dépendantes de la forêt », dénonce le rapport.
Ce sont des millions de personnes dans le monde qui dépendent directement de la forêt ; les « services liés à l'écosystème » comptent pour 89% du « PIB des pauvres » - les revenus des familles pauvres vivant en zone rurale et forestière. Et FoE s'inquiète d'une « privatisation progressive des ressources naturelles » au dépens de ceux qui en vivent. Dans la plupart des cas, les projets de type REDD n'intègrent pas la consultation des peuples indigènes. Et, quand une telle consultation est prévue sur le papier, elle est la plupart du temps ignorée dans les faits.
Forêt ou huile de palme ?
Tout accord sur le REDD doit donc comporter « d'importants garde-fous humains et sociaux », avertit FoE. Mais d'autres questions sont en suspens. Comme celle de l'origine des fonds de compensation du REDD. Doit-il s'agir d'argent public ? Ou d'argent privé, alimenté par le marché du carbone ? La majorité des Etats penche pour la seconde option. C'est d'ailleurs l'approche proposée par la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Costa-Rica, initiateurs du REDD en 2005. Mais FoE, vivement opposé à tout système de marché du carbone, met en garde : « cela encouragerait les pays industrialisés à compenser leurs émissions plutôt que vraiment les réduire ». D'autant que le marché du carbone volatile, imprévisible, ne nous met pas à l'abri d'une « répétition de la crise des suprimes ».
Autre point encore en discussion : faut-il considérer les plantations agroalimentaires – telle celles de palmiers à huile - comme de la reforestation ? La tendance semble être à une réponse positive, s'inquiète encore FoE. De quoi, à nouveau, pervertir les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique.
Greenpeace révélait quelques jours plus tôt un accord passé entre la Norvège et l'Indonésie. Djakarta pourrait ainsi classer de larges zones de forêt en « espace dégradé », afin de recevoir un milliard d'aides pour les réhabiliter. Mais les grandes compagnies agroalimentaires envisagent de se servir de cette réhabilitation pour planter... des palmiers à huile (2).
Réhabiliter la forêt peut-il être synonyme de promotion de l'agriculture intensive ? Cette question invite à définir précisément ce qu'est une forêt. Et, dans le fond, à garder en tête l'enjeu des négociations sur le climat. Car, FoE juge nécessaire de le rappeler, « l'objectif est d'atténuer le réchauffement climatique. Pas de faire de l'argent ».
(1) Le programme est ainsi présenté par l'ONU : « Le mécanisme de Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts dans les pays en développement (REDD+) vise à inciter les pays boisés en développement à protéger leurs ressources forestières, à en améliorer la gestion et à en faire une utilisation judicieuse, contribuant ainsi à la lutte mondiale contre le changement climatique. Il se base sur les efforts visant à conférer une valeur au carbone stocké dans les forêts sur pied. Outre la déforestation et la dégradation des forêts, la “REDD+” aborde le rôle de la conservation, de la gestion durable des forêts et du renforcement des stocksde carbone. À long terme, les paiements perçus en échange d’une réduction et d’une élimination avérées des émissions, via un mécanisme de marché ou par des fonds, incitent les pays associés au mécanisme REDD+ à investir davantage dans le développement sobre en carbone, pour un avenir plus sain et plus respectueux de l’environnement. »
(2) Greenpeace avait pointé du doigt cet été la stratégie d'expansion du géant agro-industriel Sinar Mas.
http://www.lesnouvellesnews.fr/index.php/civilisation-articles-section/environnement/796-a-qui-profite-le-redd
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