Fabienne Gallaire
Vous avez sûrement déjà lu (et notamment sur Slate.fr) les résultats d'études de psychologie expérimentale. Qui observent le plus souvent les scientifiques? Des étudiants américains, volontiers volontaires. Que peut-on en déduire des résultats de ces études?
- Self Portrait (Magnify) / Kapungo via Flickr CC License by -
C'est une remarque qui fait sourire depuis longtemps les spécialistes du comportement humain: plus ça va et plus on apprend de choses sur la façon de penser... des étudiants américains en première année de fac de psycho. Pourquoi? Tout simplement parce que ce sont eux qui se portent volontaires pour les expériences.
Cet amusement fataliste sur le biais d'échantillonnage prend une toute autre proportion à la lecture d'une étude parue récemment dans le journal Brain and Behavioral Sciences, et qui se penche de façon transversale sur les résultats de la psychologie expérimentale.
Les trois auteurs canadiens y décrivent l'ethnocentrisme de leur discipline, et apportent des statistiques éloquentes pour étayer leur propos. En effet, plus de 95% des expériences sont menées dans les pays occidentaux (les deux tiers aux États-Unis), qui ne représentent pourtant qu'un huitième de la population mondiale.
Les moins représentatifs
Entre 60 et 80% de ces sujets sont de jeunes étudiants à l’université, avec tout ce que cela implique en termes d’homogénéité sociale et générationelle. Les résultats joyeusement universels de la psychologie sont donc tirés du comportement d’individus occidentaux, éduqués, industrialisés, riches, et vivant en démocratie (en anglais: Western, Educated, Industrialised, Rich and Democratic d'où le sigle WEIRD, mot qui signifie «bizarre»), ce qui suffit à remettre en cause la validité des généralisations à tout le genre humain.
Mais après tout, peut-être les résultats sont-ils identiques lorsqu’on réplique les expériences dans des contextes culturels différents? Eh bien, pas nécessairement.
La conclusion de ces analyses transversales est qu’on sait très mal prédire quel trait psychologique se retrouvera ou non dans des cultures différentes, et lequel présentera d’importantes variations. Il faut donc se garder de généraliser sans confirmation empirique, ce qui relève finalement du bon sens.
Mais l’article va plus loin, puisqu’il analyse une grande variété de traits psychologiques et comportementaux allant des illusions d’optique au sens de la justice en passant par l’orientation dans l’espace ou la perception du caractère d’autrui, et en conclut non seulement que la généralisation des résultats obtenus chez les Weird n’est pas plus justifiée qu’une autre, mais qu’elle l’est beaucoup moins!
En effet, pour beaucoup des paramètres étudiés, les sujets occidentaux ne se situent pas dans le gros du peloton des différentes cultures, mais à l’un ou l’autre des extrêmes: beaucoup plus individualistes, par exemple, mais aussi plus anthropocentriques pour les représentations animales, plus vengeurs dans les jeux d’économie comportementale... Pas de doute: les occidentaux sont effectivement bizarres, des outliers non-représentatifs des sept autres huitièmes de la population mondiale. Voilà qui fausse les résultats obtenus, et restreint tout simplement les domaines de recherche aux sujets perçus comme pertinents en Occident: on aborde par exemple rarement les aspects psychologiques des structures familiales, des rituels, ou encore des relations aux différents types d’animaux.
La non-représentativité des Weird se retrouve aussi pour les autres lettres du sigles: la façon de penser des sujets américains éduqués et riches n’est pas celle des autres parties de la population des États-Unis, et c’est un résultat qui se retrouve lorsqu’on compare des classes sociales différentes, même pour de très jeunes enfants.
Et même au sein d’un pays industrialisé, on s’est ainsi aperçu que la façon dont les enfants classent les animaux entre eux est loin d’être constante: un enfant urbain ne pense pas la nature comme un enfant rural.
S'orienter vers des études transculturelles
Les auteurs proposent un certain nombre de pistes pour tenter de rééquilibrer cet incroyable biais des représentations scientifiques, mais ne nous leurrons pas: pour d’évidentes raisons de coût et de commodité, personne ne s’attend à ce que l’échantillonnage des sujets de toute la psychologie comportementale et l’économie expérimentale change du jour au lendemain. On peut cependant espérer que les programmes de recherche se tourneront davantage vers des échantillonnages diversifiés au-delà des campus universitaires, dans les quartiers populaires ou les espaces ruraux. À plus long terme, il s’agirait aussi de développer les études comparatives transculturelles particulièrement sur des thèmes peu exploités en Occident, une entreprise à laquelle des disciplines proches, comme l’anthropologie, peuvent beaucoup apporter.
La question de la portée des recherches risque désormais d’être abordée de façon plus explicite par les chercheurs, et idéalement les résultats obtenus dans des cultures non-occidentales et non-industrialisées, pour étonnants qu’ils puissent être, ne seront plus considérés par défaut comme l’exception à la règle générale établie dans l’hémisphère Nord.
Car après tout, il y a fort à parier que même un citoyen américain lambda objecte à voir sa façon de penser déduite de l’étude, aussi méticuleuse soit-elle, de jeunes plutôt privilégiés tout juste sortis du nid.
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