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30/11/2010

Mexique(s) insurgé(s)

Franck Gaudichaud

Annonciatrice des grandes révolutions du XXe siècle, celle qui éclate au Mexique sept ans avant la prise du Palais d’hiver par les bolcheviks marque le début du « court XXe siècle » décrit par l’historien britannique Eric Hobsbawm. C’est la première fois, dans l’histoire latino-américaine, que des petits paysans, des sans-terres, des métis et des indigènes imposent leur revendication : « De la terre pour tous ! » Un appel qui continue aujourd’hui à faire écho sur tout le continent.
Pendant dix ans (1910-1920), le révolutionnaire Emiliano Zapata et des milliers de chefs régionaux se battent tout à la fois contre un régime militaire corrompu et une bourgeoisie libérale qui tente de prendre le pouvoir. Sans toutefois parvenir à opérer la jonction avec le mouvement ouvrier naissant (1). Le « zapatisme » demeure néanmoins une référence pour les mouvements sociaux contemporains, notamment dans le Chiapas de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN).
Accoucheuse du Mexique moderne, la révolution fête cette année ses cent ans. Au même moment, le pays célèbre le bicentenaire de son indépendance. Parmi les publications qu’a suscitées ce double événement, la réédition du récit de Jesús Silva Herzog, universitaire et militant politique décédé en 1985  (2). Grand classique de l’historiographie mexicaine, édité pour la première fois en français en 1968. Ecrit par un observateur engagé du combat contre la dictature de Porfirio Díaz (1876-1910), l’ouvrage reproduit de nombreux documents qui témoignent de ce processus où se croisent, et parfois s’affrontent, les revendications et les classes sociales : paysannes avec Zapata et Pancho Villa, ouvrières avec Pascual Orozco, bourgeoises (et libérales) avec Francisco Madero puis Venustiano Carranza... Silva Herzog célèbre une épopée en faveur de la terre, de la liberté et des réformes sociales, dans un élan utopique qu’accentue le fait que le livre s’achève au moment où commencent l’institutionnalisation... et le reflux.
Pourtant, le cycle de révoltes ne s’arrête pas avec la proclamation de la Constitution de 1917 ou les mesures radicales du président Lázaro Cárdenas dans les années 1930. La journaliste Laura Castellanos raconte ce Mexique demeuré « en armes » (3) : des guérillas qui tentèrent de poursuivre la lutte pour la terre ou le socialisme face à un pouvoir confisqué par une nouvelle classe dominante, au cours de la période 1943-1981. Le lecteur découvre ainsi les nombreux héritiers de Zapata : Rubén Jaramillo, dans l’Etat de Morelos ; Genaro Vásquez et Lucio Cabañas dans le Guerrero ; des dizaines de jeunes militants guévaristes dans la sierra de Chihuahua ; et d’autres, bien d’autres, dans les villes. En tout, une quarantaine d’organisations armées ont agi dans le pays. Si les premiers foyers de guérilla apparaissent dans les campagnes, organisés autour de paysans pauvres, la guérilla urbaine se structure en réseaux plus souples autour de petits groupes d’étudiants, sans véritable base sociale. Cette nouvelle génération se lève « après la répression de grands mouvements sociaux mexicains, tels ceux des cheminots, des syndicalistes en général, des enseignants ou des médecins qui, à un moment donné, ont eu des liens étroits avec le Parti communiste mexicain (PCM) (4) ». A chaque fois, elle se heurtera à la « guerre à mort » comme seule réponse d’un Etat prétendument démocratique.
Or l’impunité et la répression perdurent, ainsi que l’a rappelé l’assassinat de militants des droits humains à Oaxaca, en avril 2009, ou les actes de harcèlement dont a récemment été victime Castellanos. Probablement à cause de ses reportages, dont son éditeur explique qu’ils constituent « une référence pour tous ceux qui luttent pour le droit à la vérité sur les événements de ce que l’on appelle la “guerre sale” (5) ».
 
(1) Adolfo Gilly, La Révolution mexicaine, 1910-1920. Une révolution interrompue ?, Syllepse, Paris, 1995, 304 pages.
(2) Jesús Silva Herzog, Histoire de la révolution mexicaine, traduit de l’espagnol par Raquel Thiercelin-Mejias, Lux, Montréal, 2009, 317 pages, 20 euros.
(3) Laura Castellanos, Le Mexique en armes. Guérilla et contre-insurrection, 1943-1981, Lux, 2010, 464 pages, 23 euros.
(4) Entretien avec Laura Castellanos sur le site de la revue ContreTemps, juillet 2010, www.contretemps.eu
(5) La « guerre sale » désigne les modes de répression illégaux (assassinats, interventions paramilitaires, enlèvements, torture...) pratiqués par les Etats contre des mouvements sociaux et politiques. Cf. « Laura Castellanos victime de harcèlement », Luxediteur.com, 27 mai 2010.
 
http://www.monde-diplomatique.fr/2010/09/GAUDICHAUD/19662

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