Anne-Cécile Robert
« Depuis le traité de Maastricht en 1992, l’Europe ne sait plus ce qu’elle est (1) », explique le politologue Pierre Haroche. L’échec du traité constitutionnel en 2005 et la laborieuse ratification du traité de Lisbonne ont renforcé les doutes sur le projet européen, difficilement identifiable et loin des peuples. La « crise de légitimité démocratique » de l’Union est désormais patente, comme le reconnaissent les chercheurs fédéralistes Thierry Chopin et Lukas Macek, qui estiment que le statu quo institutionnel et politique « n’est plus tenable (2) ». Raison principale : « La disproportion flagrante entre le caractère éminemment politique des choix que les institutions doivent désormais assumer et la faiblesse du lien direct entre ceux-ci et la volonté des citoyens exprimée lors des élections. » On ne saurait mieux résumer ce qu’il est convenu de nommer d’une expression fort laide le « déficit démocratique ».
Si les juristes et politologues étudient depuis longtemps les institutions européennes, leurs préoccupations se cristallisent désormais sur cet épineux problème. Pour Haroche, issue de l’univers diplomatique, l’Union peine à se conformer aux lois de la démocratie inventées dans un cadre national. Son étude souligne l’importance du compromis dans le système communautaire. Or la démocratie a besoin de contradictions, voire de conflits, qui sont ensuite tranchés par les décisions politiques des dirigeants sélectionnés par les électeurs. A Bruxelles, ce n’est pas possible car le débat droite-gauche compte moins que l’opposition entre partisans et adversaires de la construction européenne elle-même : « Dans le cadre du modèle du consensus permissif, écrit ainsi Haroche, le public n’est pas invité à soutenir les décisions européennes au nom des choix politiques qu’elles représentent mais en tant que compromis qui apportent une solution supranationale aux problèmes. » D’où le caractère fondamentalement dépolitisant de la vie politique bruxelloise, tout entière orientée vers l’intégration européenne perçue comme un objectif transcendantal.
Chacun admettant que l’Union ne fonctionne pas de manière démocratique, certains essaient, non de remédier à cette situation, mais de la justifier au nom du caractère spécifique de l’organisation conçue par Jean Monnet. Professeur de droit et directeur à la Commission européenne, Nikos Scandamis analyse ainsi la « gouvernance européenne », qu’il oppose à la notion de « gouvernement » liée à l’exercice de la démocratie dans le cadre national (3). L’étude est émaillée de références peu rassurantes à la « complexité », d’où émerge une dialectique entre la souveraineté et le marché profitable surtout au second.
Militant altermondialiste, Frédéric Viale rappelle que les institutions européennes ne reposent pas sur le principe classique de séparation des pouvoirs dans lequel les instances législative, exécutive et judiciaire se contrôlent mutuellement (4). Elles instaurent, au contraire, un système de confusion des pouvoirs où Etats membres (Conseil européen et conseil des ministres), Commission et Parlement participent à l’élaboration des mêmes règles juridiques sous le regard d’une Cour de justice de Luxembourg elle aussi dotée d’un rôle normatif. Le tout fait, en outre, intervenir — de manière peu « transparente » — lobbies de tout poil, comités d’experts et « société civile ». Aux yeux de Viale, cette construction est un « monstre politique » hostile à l’idée même de société.
Chopin et Macek estiment toutefois que des solutions existent, notamment dans la recherche d’une « politisation de l’Union européenne ». Celle-ci doit devenir un véritable objet de débat, soumis aux clivages partisans et sanctionné par les électeurs. Cependant, les méthodes proposées par les auteurs pour atteindre ce but tournent à l’incantation. Il en est ainsi de l’adoption d’un mode de scrutin uniforme pour l’élection du Parlement européen (serpent de mer systématiquement rejeté par les Etats membres depuis 1951) ou de la nécessité pour les dirigeants d’intervenir davantage dans les médias et de sortir de leurs bureaux de Bruxelles pour voyager dans les Etats membres... Surtout, les auteurs butent sur la contradiction fondamentale de leur projet : la politisation de l’Union européenne nécessiterait la mise en débat de ses objectifs fondamentaux. Or l’Union repose sur la construction d’un marché commun libéral dont le principe ne peut pas, selon eux, être contesté, sauf sur des détails. Là réside d’ailleurs sa « crise d’identité », estime Haroche. Ce problème ne semble pas effrayer Scandamis, qui se place sous le patronage énigmatique d’Edgar Morin : « La difficulté de penser l’Europe, c’est de penser l’identité dans la non-identité. »
Si les juristes et politologues étudient depuis longtemps les institutions européennes, leurs préoccupations se cristallisent désormais sur cet épineux problème. Pour Haroche, issue de l’univers diplomatique, l’Union peine à se conformer aux lois de la démocratie inventées dans un cadre national. Son étude souligne l’importance du compromis dans le système communautaire. Or la démocratie a besoin de contradictions, voire de conflits, qui sont ensuite tranchés par les décisions politiques des dirigeants sélectionnés par les électeurs. A Bruxelles, ce n’est pas possible car le débat droite-gauche compte moins que l’opposition entre partisans et adversaires de la construction européenne elle-même : « Dans le cadre du modèle du consensus permissif, écrit ainsi Haroche, le public n’est pas invité à soutenir les décisions européennes au nom des choix politiques qu’elles représentent mais en tant que compromis qui apportent une solution supranationale aux problèmes. » D’où le caractère fondamentalement dépolitisant de la vie politique bruxelloise, tout entière orientée vers l’intégration européenne perçue comme un objectif transcendantal.
Chacun admettant que l’Union ne fonctionne pas de manière démocratique, certains essaient, non de remédier à cette situation, mais de la justifier au nom du caractère spécifique de l’organisation conçue par Jean Monnet. Professeur de droit et directeur à la Commission européenne, Nikos Scandamis analyse ainsi la « gouvernance européenne », qu’il oppose à la notion de « gouvernement » liée à l’exercice de la démocratie dans le cadre national (3). L’étude est émaillée de références peu rassurantes à la « complexité », d’où émerge une dialectique entre la souveraineté et le marché profitable surtout au second.
Militant altermondialiste, Frédéric Viale rappelle que les institutions européennes ne reposent pas sur le principe classique de séparation des pouvoirs dans lequel les instances législative, exécutive et judiciaire se contrôlent mutuellement (4). Elles instaurent, au contraire, un système de confusion des pouvoirs où Etats membres (Conseil européen et conseil des ministres), Commission et Parlement participent à l’élaboration des mêmes règles juridiques sous le regard d’une Cour de justice de Luxembourg elle aussi dotée d’un rôle normatif. Le tout fait, en outre, intervenir — de manière peu « transparente » — lobbies de tout poil, comités d’experts et « société civile ». Aux yeux de Viale, cette construction est un « monstre politique » hostile à l’idée même de société.
Chopin et Macek estiment toutefois que des solutions existent, notamment dans la recherche d’une « politisation de l’Union européenne ». Celle-ci doit devenir un véritable objet de débat, soumis aux clivages partisans et sanctionné par les électeurs. Cependant, les méthodes proposées par les auteurs pour atteindre ce but tournent à l’incantation. Il en est ainsi de l’adoption d’un mode de scrutin uniforme pour l’élection du Parlement européen (serpent de mer systématiquement rejeté par les Etats membres depuis 1951) ou de la nécessité pour les dirigeants d’intervenir davantage dans les médias et de sortir de leurs bureaux de Bruxelles pour voyager dans les Etats membres... Surtout, les auteurs butent sur la contradiction fondamentale de leur projet : la politisation de l’Union européenne nécessiterait la mise en débat de ses objectifs fondamentaux. Or l’Union repose sur la construction d’un marché commun libéral dont le principe ne peut pas, selon eux, être contesté, sauf sur des détails. Là réside d’ailleurs sa « crise d’identité », estime Haroche. Ce problème ne semble pas effrayer Scandamis, qui se place sous le patronage énigmatique d’Edgar Morin : « La difficulté de penser l’Europe, c’est de penser l’identité dans la non-identité. »
(1) Pierre Haroche, L’Union européenne au milieu du gué. Entre compromis internationaux et quête de démocratie, Economica, coll. « Etudes politiques », Paris, 2009, 112 pages, 18 euros.
(2) Thierry Chopin et Lukas Macek, « Après Lisbonne, le défi de la politisation de l’Union européenne », Les Etudes du Centre d’études et de recherches internationales (CERI), n° 165, Paris, mai 2010, 42 pages, 50 euros.
(3) Nikos Scandamis, Le Paradigme de la gouvernance européenne. Entre souveraineté et marché, Bruylant, Bruxelles, 2009, 230 pages, 35 euros.
(4) Frédéric Viale, L’Horreur européenne, Tatamis, Vincennes, 2010, 226 pages, 18 euros.
Sem comentários:
Enviar um comentário