Après la mort de Karim Boudouda, des affrontements entre forces de l’ordre et jeunes du quartier de la Villeneuve ont éclaté ce week-end à Grenoble. Pour les médias et l’opinion publique, la Villeneuve devenait aussitôt un « quartier chaud » ou « sensible » et se trouvait confronté à une stigmatisation généralisée. Mais peut-être est-ce une erreur, un jugement trop hâtif. Une habitante et militante associative du quartier nous a fait part de son expérience. Désireuse de garder l’anonymat nous l’appellerons Madame X. Arrivée à la Villeneuve dès la création du quartier en mai 1972, elle a vu l’environnement évoluer, la fuite des classes moyennes, le chômage croissant, la paupérisation... Aujourd’hui elle réfute la caricature ambiante de la Villeneuve, c’est un « quartier différent » où « on a le moyen d’y vivre et d’y vivre bien ». Condamnant très fermement la violence des agitateurs elle s'inquiète des conséquences pour la Villeneuve.
Le quartier de la Villeneuve voit le jour en 1972. Dans les années 1960, le contexte de croissance démographique encourage les mairies d’Echirolles et de Grenoble à construire une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP), à la frontière de ces deux villes. Pour notre militante dès le départ « la mixité était voulue ». En effet, à ses débuts la Villeneuve se caractérise par une mixité sociale importante. Cadres, employés, ouvriers et chômeurs cohabitent. Les équipements publics sont aussi présents, il s’agit de faciliter l’accès à la santé, à l’éducation, mais aussi aux loisirs et au sport pour les plus jeunes. Cependant, la vie à Villeneuve devient de plus en plus difficile au cours des années. « Le quartier en quarante ans, il a évolué comme la société ».
En 1983, le changement de municipalité voit l’éviction de l’Union de gauche au profit de la droite. A partir de ce moment la Villeneuve est devenu un quartier « fourre-tout » selon Madame X, et la mixité sociale - primordiale pour l’équilibre de la cité - à été mise à mal. « On a mis des populations en situation précaire, on les empêchait de s’intégrer ». Dès ce moment la fuite des classes moyennes engendre une paupérisation du quartier. Le climat social se détériore rapidement. Faute aussi à la conjoncture économique des années 1980. Les trente glorieuses ne sont devenues qu’un triste souvenir et le chômage fait ses premiers effets. De plus, la Villeneuve est un quartier jeune et la barrière de l’emploi pousse à l’exclusion sociale, au repli sur soi, et même parfois à la délinquance. Madame X ne peut que constater les difficultés d’embauche : « on se retrouve avec une génération, deux, puis trois qui ne travaillent pas ».
Pour cette militante de la première heure il n’est pas question de se résigner : « moi j’espère encore, je fais encore partie de ceux qui veulent croire. Il y a un projet de rénovation urbaine ». A Villeneuve le milieu associatif est très présent. Il travaille au plus proche des habitants. « La qualité de vie reste » rappelle la grenobloise. A la Villeneuve « on a le moyen d’y vivre et d’y vivre bien ». « On a par exemple une régie de quartier qui emploie une centaine de personnes, une entreprise d’insertion qui fait un vrai travail ». Comme souvent il suffit « d’une quinzaine de jeunes », d’une minorité d’agitateurs pour attirer les médias en créant un véritable désordre public. La Villeneuve est un quartier de 15 000 habitants. La colère des habitants à l’heure du constat - voitures brûlées, commerces détruits – infirme l’idée d’un « quartier violent ». Karim Boudouda était originaire de ce quartier et les jeunes qui ont manifesté leur colère n’acceptent pas les conditions de décès de leur ami. Madame X qui « connait l’imam » qui a prononcé une prière au mort vendredi soir, tient à préciser que son discours n’est en rien responsable de l’embrasement qui a suivi.
Il serait plus juste, si l’on cherche à dissocier les coupables des innocents, de parler « des » Villeneuves comme le propose ce rapport de l’Agence d’urbanisme de Grenoble paru en mars 2003 et intitulé : « Habiter et vivre à la Villeneuve : diagnostic ». Madame X s’inquiète de la « stigmatisation » du quartier. La diffusion de préjugés sur la Villeneuve ne fera qu’accroître le sentiment d’exclusion. Ce phénomène concernera la cité en général, aujourd’hui les commerces craignent une désertion du quartier notamment à la galerie des Arlequins, zone particulièrement soumise aux violences. Mais la peur de la violence à résolu la militante à souhaiter « la présence de la police ». Elle se reconnait « pragmatique », admettant par exemple le succès de l’installation de caméras dans le tram.
La Villeneuve se caractérise par une architecture très particulière. Elle représentait dans les années 1970 un urbanisme innovant, complexe aussi. La violence est une forme d’expression de la précarité, certes regrettable mais toujours combattable. Comme Madame X la majorité des habitants du quartier souhaitent une présence policière. Mais c’est une solution par défaut, car ici on craint le cycle de la violence. La réponse est surement ailleurs et les associations promettent de continuer à travailler. Aujourd’hui c’est surtout ce phénomène de ghettoïsation qu’il faut corriger.
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