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En prison pour dette en Amérique

Aujourd'hui, aux Etats-Unis, on incarcère des gens qui n'ont pas payé leurs dettes, alors que la peine de prison pour dette a été abolie en 1933.
Le quotidien Minneapolis Star-Tribune raconte ces arrestations, en hausse dans tous les Etats-Unis, souvent dues à la pauvreté. Au cours des quatre dernières années, dans le Minnesota, le recours aux mandats d'arrêt contre les personnes endettées a fait un bond de 60%, avec 845 cas en 2009.
L'article indique que parfois le montant de la dette ne dépassait pas 85 dollars.
Le moyen utilisé pour forcer les pauvres à rembourser, c'est le mandat d'amener. Les travailleurs ne sont pas effectivement incarcérés pour dette mais pour n'avoir pas répondu à la convocation du tribunal.
Cependant, les auteurs des poursuites, les sociétés de recouvrement et leurs représentants légaux, se servent manifestement du système pour forcer la main aux particuliers par l'intimidation, le harcèlement ou la crainte, souvent pour des sommes d'argent dont ils ne sont même pas redevables.
En Illinois et dans le sud-ouest de l'Indiana, certains juges incarcèrent des personnes qui ont oublié de s'acquitter d'une dette sur décision du tribunal. Dans les cas extrêmes, indique le Star-Tribune, les gens restent en prison jusqu'à ce qu'ils aient versé une partie de la somme due.
En janvier dernier, un juge a condamné un homme de Kenney, Illinois, à une peine de prison "indéterminée" tant qu'il n'aurait pas réuni les 300 dollars qu'il devait à un grossiste en bois de charpente.
Ce couvreur indépendant s'était brisé le dos et le cou et constituait un dossier pour invalidité. Au bout de trois heures de garde à vue, sa femme avait réussi à le faire libérer en empruntant 300 dollars sur sa carte de crédit.
Joy Uhlmeyer a été arrêtée alors qu'elle rentrait chez elle en voiture après avoir passé Pâques avec sa mère âgée.
A la suite d'un divorce coûteux en 2006, elle avait un découvert de 6.200 dollars sur sa carte de crédit Chase. Elle a été arrêtée et a passé la nuit en garde à vue dans une cellule glaciale. Puis, elle a été emmenée dans une voiture de police, menottes aux poignets, au centre-ville de Minneapolis pour la rédaction du PV. Au bout de 16 heures, on lui a pris les empreintes digitales et c'est là qu'elle a enfin pu savoir pourquoi elle était en détention. Elle ne s'était pas présentée à une audience du tribunal prévue par Resurgence Financial, une société dont elle n'avait jamais entendu parler.
Elle raconte dans le Star-Tribune:

"Ce qui est vraiment enrageant dans tout ça, c'est le manque total d'information. Je n'arrêtais pas de me dire: 'si un mandat d'arrêt a été émis pourquoi donc n'ai-je pas été prévenue?'".

Derrière ces cas et des tas d'autres dans tout le pays, se trouvent des organismes de recouvrement et de rachats de dettes. Mais derrière ces intermédiaires se cachent les banques principales - Chase, Citigroup, etc. – qui sont les principales bénéficiaires du secteur du recouvrement. Des dizaines de milliers de procès sont couramment intentés dans les tribunaux des états par les grandes agences de recouvrement. Une fois qu'un jugement est prononcé, une date de comparution est fixée. Toutefois, si pour une raison quelconque un client ne se présente pas à l'audience à la date prévue, on peut délivrer un mandat d'amener à la suite d'un "jugement par défaut".
Dans de nombreux cas, les consommateurs n'ont pas été prévenus des poursuites dont ils font l'objet.
L'étude de la Legal Aid Society de New York (association d'aide juridique, NDT) montre que les organismes de recouvrement n'ont pas informé les créditeurs présumés qui, dans de nombreux cas, n'ont aucune preuve officielle qu'une plainte a été déposée contre eux.
Le rapport indique également que les agences de recouvrement ont engagé 450.000 poursuites à New York seulement, gagnant des jugements par défaut contre beaucoup de travailleurs. Quand ces affaires passent au tribunal, seulement 1% des débiteurs sont représentés par un avocat. Le Star-Tribune signale qu'il n'existe pas de statistiques nationales concernant les débiteurs qui ont été arrêtés.

Je soupçonne les sociétés de recouvrement de ne pas vouloir ébruiter ces arrestations parce que ces pratiques seraient largement condamnées", explique Robert Hobbs, directeur adjoint du National Consumer Law Center à Boston (association de défense des consommateurs)
"Aux Etats-Unis, nous avons institué de fait la prison pour dette, ce qui est largement anticonstitutionnel", dit Judith Fox, professeur de droit à la faculté de Notre Dame. "Dans certains endroits, les gens ont tellement peur de se faire arrêter qu'ils se précipitent pour rembourser des sommes d'argent qu'ils ne doivent peut-être même pas", ajoute-t- elle.

Haekyung Nielsen, 27 ans, de Bloomington, Minnesota, a raconté au Star-Tribune que la police s'était présentée chez elle avec un mandat d'arrestation deux semaines après son accouchement par césarienne.
Une société de recouvrement lui avait envoyé, alors qu'elle était à la clinique, une injonction du tribunal pour une vieille dette de carte de crédit. "Envoyer quelqu'un pour m'arrêter deux semaines après une importante opération pour laquelle il faut au moins huit semaines pour se remettre était tout bonnement incroyable", dit-elle.
Le journal de Minneapolis signale également la tendance à demander une caution dont le montant est fixé par le tribunal.
Le Star Tribune a rencontré le juge Robert Blaeser, du tribunal civil d'Hennepin County, qui explique qu'attacher une caution à un problème d'impayé facilite la procédure. Les créditeurs, dans la plupart des cas des compagnies de cartes de crédit, ont alors la possibilité de réclamer l'argent aux tribunaux.
Ils citent le cas de Vee, un ouvrier des travaux publics, arrêté en février dernier alors qu'il ramenait sa fille de l'école. Quand on lui passait les menottes, Vee raconte que sa fille, qui est asthmatique, s'est mise à avoir des difficultés de respiration à cause du stress. "Tout ce que je pensais c'était si elle allait bien et si elle avait son inhalateur", dit il.
Depuis la prison, Vee a appelé son propriétaire qui a promis de verser sa caution. Celle-ci s'élevait à 1.875,06 dollars, le montant exact de ce qu'il devait.
C'est la justice qui avait récupéré la somme impayée pour le compte de la compagnie de carte de crédit, mais Vee – comme bien d'autres – est encore traumatisé par cette expérience. Il lui reste encore à rembourser des factures de soins médicaux et de carte de crédit et 40000 dollars pour un ancien prêt immobilier.
Il dit que la vue d'une voiture de police dans son rétroviseur le fait trembler. "Les policiers vont-ils m'arrêter à nouveau? Tant que je ne serai pas parvenu à éponger mes dettes, la menace existera" dit-il.
La menace juridique d'un mandat d'amener à l'encontre de débiteurs n'est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c'est cette entreprise énorme, largement capitalisée et agressive du rachat des dettes et de récupération des impayés. Ces intermédiaires permettent aux compagnies de cartes de crédit et aux grandes banques qui les financent d'abord d'annuler la dette, par ex, la déclarer dans les pertes, puis revendre cette dette à une agence de recouvrement. D'après les statistiques du tribunal qu'a consultées le Star-Tribune, trois sociétés de recouvrement - Unifund, CCR Partners Portfolio Recovery Associates et Debt Equities LLC— totalisent 15% de l'ensemble des mandats d'arrestation pour dette lancés dans le Minnesota depuis 2005.
Ces agences de recouvrement cotées rachètent des dettes anciennes pour une bouchée de pain (parfois, alors qu'il y a eu prescription) et utilisent des équipes d'avocats pour recouvrer les impayés. Dans de nombreux cas, la dette est invérifiable. Le National Consumer Law Center estime qu'un procès sur dix intenté par les agences de recouvrement repose sur des renseignements erronés.
Le Star-Tribune indique que les 10 plus grandes sociétés de recouvrement du Minnesota ont encaissé plus de 223 millions de dollars à la suite de procès entre 2005 et 2009.
Cela représente des dizaines de milliers d'individus à qui on a arraché leur dernier dollar de façon discrétionnaire. La prison n'est que la mesure la plus extrême utilisée à cette fin.
Pendant ce temps, les sociétés de recouvrement sont largement récompensées pour les services qu'elles rendent au secteur financier, aux grandes banques et aux compagnies de cartes de crédit. En effet, les bénéfices des sociétés de recouvrement n'ont jamais été aussi élevés.
"Portfolio Recovery Associates" a empoché, l'an dernier, 44 millions de dollars, ce qui correspond à une marge bénéficiaire nette de 16% pratiquement inédite.
Au cours des trois premiers mois de 2010, Portfolio a réalisé des bénéfices encore plus spectaculaires, avec un revenu net en hausse de 47%. Ce ne sont pas les seuls.
"Encore Capital Group", la compagnie de gestion des comptes de créances de San Diego, a augmenté son revenu net de 21 %, c'est-à-dire de 0,44 dollars par action. Ces sociétés ont considérablement augmenté leurs bénéfices dans toutes les branches – la sous-traitance du recouvrement, les centres d'appel, les recouvrements juridiques et le traitement des faillites.

WSWS

Note perso:

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Après les subprimes, les saisies immobilières, les rachats de leurs maisons à vil prix, voilà que les pauvres ont encore sur le dos les pitbulls de la finance.
Des pauvres qui, quand ils ont encore un toit au-dessus de la tête, sont pris à la gorge entre les remboursements de prêts, les factures de l'eau, du gaz, de l'électricité, du chauffage sans cesse en augmentation – et qui doivent parfois renoncer à ces services, à moins qu'on ne vienne carrément leur couper le compteur pour facture impayée.
Evidemment, tout cela pourrait s'arranger un jour ou l'autre si les débiteurs avaient un emploi stable ou si l'Etat leur versait des indemnités de chômage décentes.
Ce serait trop simple. Quand on prend aux pauvres, on prend tout, sinon, ce n'est pas drôle.
Et donc, en lieu et place des emplois stables, que trouvent-ils? Des emplois précaires, mal payés et souvent à temps partiel (je parle évidemment de ceux qui ont un emploi, le taux de chômage réel étant d'environ 20%).
Si on ajoute à cela les cotisations à verser aux assurances privées pour les soins de santé, assorties des factures énormes liées à un traitement quelconque non pris en charge par l'assurance, on se demande comment certains ne sont pas encore à la rue avec les autres.
Les requins de la finance, qui ne manquent pas d'imagination, on le voit, puisqu'ils ont tout de même réussi à se faire renflouer avec l'argent public, destiné en partie aux pauvres, justement (à qui on sucre les prestations sociales sous prétexte de "caisses vides"), et qui continuent de mener grand train, eh bien, disais-je, ces requins se sont dit qu'il restait encore des sous à racler et que les pauvres ne pouvaient tout de même pas s'en tirer à si bon compte en oubliant de payer leurs dettes.
Encore une fois les escrocs se retrouvent avec une mine d'or à exploiter et encore une fois, les élus ne trouvent rien à redire à ces arnaques qui vont encore davantage enfoncer la population – qu'ils sont censés protéger, mais, bon, on constate que c'est complètement accessoire de nos jours.
Le gouvernement US (quel qu'il soit), qui a laissé se développer les subprimes, alors qu'un enfant capable de faire une soustraction pouvait se rendre compte que le système n'était pas viable, qui a donné sans contrepartie des milliards pour renflouer les banques et autres institutions financières, ferme aujourd'hui les yeux sur cette entreprise de coercition menée par des monstres avec la complicité de la justice.

Les valeurs de l'oligarchie ont l'odeur de l'argent.

http://blog.emceebeulogue.fr/post/2010/07/20/Comment-faire-payer-leurs-dettes-aux-pauvres:-les-mettre-en-prison