À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

22/07/2010

De la mise en scène des catastrophes

Une intéressante affaire, révélée par AmericaBlog (média fondé par l’avocat, conseiller politique et activiste John Aravosis), embarrasse la société British Petroleum.
En observant à la loupe une photographie du centre de commande de Houston, dédié à gérer la catastrophique fuite de pétrole qui a lieu en ce moment même dans le Golfe du Mexique, il a été possible de démontrer que le contenu de certains des moniteurs de contrôle montrés sur l’image été modifiés.

Le pétrolier britannique, pris la main dans le sac, a admis la manipulation et rapidement remplacé l’image retouchée par le cliché d’origine, que voici :

Au jeu des sept erreurs, on peut constater que trois écrans de l’image d’origine qui affichaient des images illisibles ou qui étaient vides ont été remplis avec des images empruntées aux autres écrans.

Le lendemain, AmericaBlog a fait état de la découverte de détails suspects dans un autre cliché diffusé par BP pour illustrer l’opération « Top Kill », qui a eu lieu il y a déjà deux mois et qui consistait à colmater la fuite en injectant des tonnes de boue puis de ciment dans le conduit.

En agrandissant suffisamment l’image, on remarque sans difficulté un détourage à la hache de l’écran vidéo-projeté, au dernier plan.
Cette fois, il est difficile de dire si le but de la manœuvre était de modifier le contenu de l’image projettée ou (très vraisemblable à mon avis) s’il s’agissait juste de rendre cet écran projetté lisible en modifiant son rapport entre contraste et luminosité.

Ce qui est intéressant dans ces images « fausses », c’est que leur inauthenticité n’a strictement aucun intérêt en termes de manipulation, du moins à un premier niveau, puisqu’il s’agit d’interventions cosmétiques qui ne vont, a priori, pas modifier profondément notre perception de l’actualité que ces clichés illustrent. Rien à voir, par exemple, avec l’inquiétante multiplication des missiles iraniens sur un célèbre cliché diffusé par l’AFP (et fourni par le régime iranien) ou de l’augmentation virtuelle du public venu applaudir silvio Berlusconi sur la place du dôme, ou autres manipulations récemment mises à jour.

À un second niveau, ces images ne sont pas si neutres.
Diffusées sur le site de British Petroleum, en grande résolution et gratuitement (à condition de ne pas être utilisées dans des articles hostiles au détenteur du copyright, est-il spécifié), ces images ont une fonction précise, qui est celle d’illustrer la lutte contre la plus grande marée noire de l’histoire. Il ne s’agit donc pas d’information ni de documentation mais de communication pure et dure.
L’image reproduite ci-dessus, par exemple, ne semble pas avoir été retouchée. En revanche elle est mise en scène : les trois écrans qui se trouvent au sol semblent n’avoir aucune justification pratique et ne doivent leur emplacement absurde qu’à la manière dont ils meublent l’image.

L’image suivante, qui évoque un poste de contrôle de vidéo-surveillance ou le cockpit d’un avion très moderne, multiplie les écrans de manière tout aussi absurde puisque la même image est répétée cinq fois.
BP veut nous convaincre de son professionnalisme et de sa détermination en nous fournissant des images généreuses en lumières et en couleurs, des images soignées, qui font écho à d’autres images, à certains films de guerre ou encore à l’iconographie de la conquête spatiale. Le but, je pense, est d’évoquer les hautes technologies, et de ne surtout pas ressembler à une équipe d’employés du tertiaire en pleine séance de brainstorming.
Ces images me rappellent beaucoup la salle de contrôle du NORAD dans le film Wargames.

La plupart des personnes qui figurent sur les images diffusées par BP sont montrées de dos, ce qui symbolisele travail et l’humilité — si les recettes de la peinture bourgeoise du XIXe siècle sont toujours valables.
Aucune ressource n’est négligée, même les écrans travaillent, y compris à double-emploi. Les compositions sont équilibrées, stables, ce qui suggère une ambiance réfléchie et concentrée : le problème n’est pas pris à la légère, les rares visages qui sont tournés vers l’objectif arborent une mine soucieuse, personne ne sourit, mais pour autant, les ingénieurs ne paniquent pas.
Bien entendu, rien de surprenant dans ce « storytelling », ni dans cet appel à un imaginaire de fiction pour traiter de questions d’actualité, puisque du pur point de vue de la compagnie pétrolière, la catastrophe écologique se double d’une catastrophe communicationnelle qu’il faut gérer aussi.
Espérons que leurs priorités restent les bonnes.

Je trouve amusant que ce soit des dispositif technologiques d’affichage qui soient retouchés. L’écran est synonyme d’accès à l’information et, depuis l’existence d’interfaces informatiques sur écran, de capacité à agir. Pas un moniteur ne doit être illisible ou sous-employé.
Le souci de ne pas présenter d’écrans désœuvrés existe au cinéma depuis plus de trente-cinq ans. Pour son film Westworld (1973), Michael Crichton avait occupé les écrans du centre de contrôle du (catastrophique) parc d’attraction par des animations nuériques programmées par l’artiste John Whitney. Il s’agissait à l’époque de montrer l’activité intense des machines, mais à présent ces images n’évoquent plus l’activité des ordinateurs, elles rappellent au contraire les repose-écrans, inventés dix ans plus tard pour empêcher les ordinateurs de s’abimer en affichant perpétuellement une même image.

(illustrations : British Petroleum pour les six premières images, puis Wargames et WestWorld )

http://www.hyperbate.com/dernier/?p=11968

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