La scène se passe sur l’Agora d’Athènes, où Socrate vient de rencontrer Ploutocratès.
SOCRATE – Salut, Ploutocratès, je suis heureux de te voir tout fringant ; ton absence hier à la conférence de Gorgias a fait courir le bruit que tu étais malade. Je constate qu’il n’en est rien.
PLOUTOCRATÈS – Salut, Socrate, effectivement je ne suis pas venu hier parce que je suis très pris en ce moment et même un peu débordé, à cause des événements. J’ai passé l’après-midi avec mes camarades de la section socialiste de l’Acropole, à préparer la campagne pour expliquer aux masses le plan d’austérité du gouvernement Papandréou. En avez-vous parlé hier, au symposium ?
S. – Pouvions-nous ne pas en parler ?
P. – Alors, quelle était l’ambiance ?
S. – Au risque de te chagriner, je dois te dire que la politique du pouvoir a été condamnée par la plupart des présents. A l’exception de Calliclès qui, comme d’habitude, a fait de la provocation, et de Ménon la vieille baderne très jugulaire-jugulaire, tout le monde a trouvé que le parti socialiste se faisait, une fois de plus, l’exécuteur des basses œuvres du capitalisme.
P. – Ça ne m’étonne pas de la part d’une bande d’intellos gauchistes, toujours à couper les cheveux en quatre et à chevaucher les nuées théoriques, comme dirait Aristophane. Comment peut-on à ce point manquer de bon sens, être dépourvu de réalisme ? Vous vous refusez à comprendre que notre pays est en faillite et que pour éviter de sombrer, nous devons accepter de faire des sacrifices, pour restaurer notre crédit. Quand quelqu’un vous doit de l’argent, vous êtes bien contents qu’il paie sa dette, n’est-ce pas ? Eh bien, aujourd’hui c’est l’Etat, c’est-à-dire nous, les citoyens, qui devons de l’argent ; il est donc normal que nous remboursions nos créanciers et que nous acceptions de nous serrer un peu la ceinture. C’est clair, non ?
S. – Assurément, vieux sophiste, mais ce que tu oublies de mentionner dans ton raisonnement, c’est que seule une partie des richesses créées par le travail de tous a servi à satisfaire les besoins réels de la population. Le reste, des sommes colossales, est allé rémunérer généreusement le capital, remplir les coffres des actionnaires privés, des banquiers, des spéculateurs, grossir des comptes numérotés dans des paradis fiscaux, entretenir des clientèles électorales, alimenter toutes ces bourgeoisies du commerce, de l’industrie, de la finance et de la politique, qui s’engraissent du travail collectif selon le bon principe de gouvernance « socialisons les pertes et privatisons les profits », appliqué par tous les gouvernements successifs, y compris par vous, les prétendus socialistes amis du peuple. Que nos gouvernants, s’ils veulent faire preuve de justice, commencent par sanctionner les naufrageurs de l’économie nationale, et fassent rendre gorge aux pilleurs du Trésor public, aux évadés fiscaux, aux concussionnaires et aux prévaricateurs de tout acabit. Nous devons de l’argent à des banquiers, la belle affaire ! C’est de l’argent qu’ils ont volé à la collectivité. Remboursons-nous en nous inspirant de notre glorieux ancêtre, le sage législateur Solon, qui empêcha les Eupatrides, l’aristocratie foncière de l’époque, d’étrangler la paysannerie d’Athènes, en décrétant, en – 594, la seisachtheia, la sisachthie ou abolition des dettes. Et si, malheureusement, Solon n’a pas osé faire la réforme agraire qui, en s’attaquant aux inégalités entre grands propriétaires et petits tenanciers, aurait mis fin à l’endettement chronique de ceux-ci auprès de ceux-là, n’hésitons plus quant à nous à nationaliser les banques et à rendre à la nation grecque tous les moyens de production de sa richesse. Par Zeus et tous les dieux de l’Olympe, faisons enfin une vraie révolution, soyons de vrais socialistes ! Si Papandréou avait seulement le dixième de l’étoffe d’un Solon, il préférerait regagner la confiance des travailleurs plutôt que celle des marchés !
P. – Décidément, Socrate, tu files un méchant coton. Ne t’étonne pas si un jour tu es traîné en justice pour incivisme !
S. – Franchement, de moi ou de vous, les sociaux-démocrates, je ne sais qui a le plus à craindre du tribunal de l’Histoire !…
http://blog.agone.org/post/2010/06/02/La-sisachthie-ou-l-abolition-des-dettes
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