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01/03/2010

Les prisons états-uniennes : Privatisations à perpète

Martin Petit

Alors que le gouvernement Charest jongle avec l’idée de favoriser l’ouverture de centres de détention privatisés, la dynamique adoptée par cette « industrie » aux États-Unis révèle de plus en plus de cas troublants qui poussent plusieurs administrations publiques à reprendre le contrôle de leurs prisons. Ces exemples devraient servir de pistes de réflexion et de débat contre l’avancée du privé dans un autre domaine où les profits et l’intérêt public demeurent clairement incompatibles [1].
Aux États-Unis, dans les années 1980, plusieurs états ont procédé à la privatisation d’établissements de détention. Auparavant, le secteur privé s’était introduit dans les services auxiliaires tels que les soins médicaux, les services alimentaires, la formation technique offerte aux détenues ainsi que le transport des détenus.

En décembre 2000, on comptait 119 000 détenues dans 153 établissements. Les deux entreprises les plus importantes sont la Corrections Corporation of America (CCA) au premier rang et la Wackenhut Corrections Corporation (WCC) au second.

Pour arriver à privatiser les établissements de détention, les mêmes arguments sont toujours avancés : économies et gestion plus efficace.
Économies ?
Selon cet argument, les prisons privatisées coûteraient environ 20 % de moins que les établissements publics, l’absence de syndicats et d’avantages sociaux permettant des économies au détriment des employées. Toutefois, en 1996, une revue de plusieurs études comparatives réalisées pour le compte du General Accounting Office (GAO) prouvait cette assertion fausse. Une autre étude publiée en 2001 par le Bureau of Justice Assistance (BJA) arrivait sensiblement aux mêmes conclusions.

Puisque l’ajout du profit maximal transfère les économies provenant des réductions de conditions de travail vers les actionnaires par le biais des dividendes, il est logique que le coût du service demeure à peu près identique.
Gestion plus efficace ?
Selon les défenseurs des privatisations en milieu carcéral, le secteur privé gèrerait plus efficacement que le secteur public. Les recherches effectuées sur le sujet arrivent aux conclusions qu’au mieux, les prisons privées égalent les établissements publics. En 1998, Abt Associates publiait un rapport dans lequel on apprenait que l’information actuellement disponible ne permettait pas de conclure à la supériorité des établissements privés.

Relativement à la sécurité interne, le BJA dévoilait les résultats d’un sondage qui précisait qu’en centre de détention privé à sécurité minimum et moyenne, on compte 49 % plus d’assauts de prisonniers sur les employées et 65 % plus d’assauts entre prisonniers qu’en centre de détention public comparable.
Deux exemples éloquents
Selon Peter Davis, directeur du Correctionnal Institution Inspection Committee [2], en quatorze mois seulement, le Northeast Ohio Correction Center [3] situé dans la ville de Youngstown a connu un historique de violence inconnu jusqu’à ce jour en Ohio. En tout, treize personnes ont été poignardées, deux ont été assassinées et six se sont évadées de cet établissement privé à sécurité moyenne. Un examen de l’établissement a permis d’établir que ces incidents étaient attribuables à la formation inadéquate des employées ainsi qu’à l’incarcération de détenus devant se trouver dans des établissements à sécurité maximale. Au mois de mars 1998, la ville de Youngstown décida de poursuivre la CCA au nom des prisonniers alléguant les risques que ceux-ci courraient en étant mixés avec des détenus censés se trouver dans des établissements à sécurité maximale. Dans sa décision, la cour ordonna le transfert de 113 prisonniers dans des établissements à sécurité maximale.

En mars 2000, le Département de la justice états-unienne déposa une poursuite contre le Jena Juvenile Justice Center [4] (Louisiane) en vertu des lois fédérales. Celle-ci incluait des allégations de soins inadéquats envers la jeune « clientèle » de ce centre auxquelles s’ajoutaient des accusations d’utilisation de méthodes de contrôle des comportements dures et brutales dont des violences physiques et verbales et l’usage non motivé de « mace [5] » et de poivre de cayenne. En avril 2000, la WCC abandonna son contrat qui lui cédait les opérations de ce centre.

Sauf au niveau fédéral, ces expériences ont largement influencé les orientations si bien que depuis 2000, aucun autre établissement de détention états-unien privé n’a vu le jour, certains états ayant même réduit le recours au privé dans ce domaine. Des pratiques douteuses de gestion ont poussé la Caroline du Nord à annuler ses deux contrats avec la CCA. En février 2001, l’Arkansas a annoncé qu’elle reprenait le contrôle des opérations dans deux centres de détention opérés par la WCC.
Nouvelles avenues
Selon The Sentencing Project, de récentes orientations politiques soutenues par le gouvernement fédéral favorisent les compagnies œuvrant dans le domaine des prisons privées. En 1997, le Federal Bureau of Prisons (FBOP) signait son premier contrat avec la WCC lui confiant les opérations d’un établissement de détention à Taft (Californie).

Depuis lors, « grâce » aux peines minimales obligatoires imposées par des lois sévères ainsi qu’aux sentences exemplaires touchant aux drogues dures, les taux d’occupation des prisons fédérales ont atteint 133 % au milieu de 2001. Globalement, la population carcérale des établissements fédéraux a augmentée de 31 % entre 1995 et 1999.

À l’automne 2000, le FBOP signait un contrat de 10 ans avec la CCA, contrat totalisant environ 760 millions $ en échange de plus de 3 300 lits. Au mois de mai 2001, le Immigration and Naturalization Service et le U.S. Marshals Service ont renouvelé cinq contrats d’environ 50 millions $ chacun avec la CCA.
Des politiques de détention favorisant les profits
Afin de maximiser leurs profits, les établissements de détention privés doivent favoriser une utilisation maximale de leurs installations, ce qui implique un nombre maximal de détenues accompagné d’une rétention maximale de ces mêmes personnes. Il faut comprendre que le travail forcé des détenuEs rapporte gros à l’entreprise privée qui vend leurs services à des entreprises externes et encaisse la différence entre ce que paie l’entreprise externe et ce qu’elle verse aux détenues.

En mars 1997, dans un document public, la CCA reconnaissait que « le rythme de construction de nouveaux centres de détention ainsi que le potentiel de croissance de la CCA dépendra de plusieurs facteurs incluant les taux de criminalité et la tendance des sentences rendues dans les tribunaux aux États-Unis [6]. » En résumé, plus les juges sont sévères envers les personnes trouvées coupables de crimes mineurs ou graves, plus le potentiel de profits pour ces entreprises augmente.

C’est ainsi que la CCA et la WCC versent d’importantes contributions financières au American Legislative Exchange Council (ALEC), une organisation située à Washington influençant les politiques publiques en supportant les législateurs conservateurs [7]. De tous les législateurs états-uniens, 40 % sont membres de ALEC. En plus de maintenir des pressions sur les législations pour que celles-ci suivent des principes conservateurs telle la privatisation, ALEC, par le biais d’un comité nommé Criminal Justice Task Force (ALEC-CJTF), a joué un rôle important dans la mise en place et l’adoption par plusieurs états de lois telles que la « Truth in Sentencing » et la très controversée « Three Strikes ». Alors que la première réduit considérablement ou retire complètement les possibilités d’obtenir une libération conditionnelle, forçant les détenues à purger de 85 % à 100 % de leur peine, la deuxième implique des peines de 25 ans à la prison à vie pour toute personne « récidiviste » trouvée coupable d’un troisième crime punissable par la loi. C’est alors que si vous êtes pris à fumer de la marijuana puis arrêté pour avoir fraudé une banque et que, finalement, vous êtes pris de nouveau pour avoir volé une tablette de chocolat, un juge peut décider d’appliquer cette loi qui vous fera passer les 25 prochaines années de votre vie en prison.

Les entreprises privées qui gèrent des établissements carcéraux sont les principaux bailleurs de fonds du budget opérationnel de l’ALEC. En 1999, ALEC a organisé un sommet intitulé States and National Policy Summit, événement financé par la CCA et la WCC. Ces compagnies influencent également l’agenda politique des états en siégeant sur différents comités spécialisés en matière de politiques législatives. À titre d’exemple, John Rees – un vice-président de la CCA –, et Brad Wiggins – un ancien Directeur au développement des affaires de la CCA, maintenant Directeur aux relations avec la clientèle de la CCA –, ont déjà siégé sur le comité ALEC-CJTF. En finançant l’ALEC et en siégeant sur des comités influents de ce même organisme, il est clair que la CCA et la WCC influencent la législation touchant à la sévérité et à la durée des sentences, deux facteurs pouvant affecter leur rentabilité à long terme. Toutefois, cette approche basée sur la défense des intérêts financiers privés évacue toute notion d’intérêt public.


[1] Les informations incluses dans cet article sont issues du document : Amy Vheung, Prison Privatization and the Use of Incarceration, The Sentencing Project, janvier 2002 (révisé en septembre 2004. www.sentencingproject.org).

[2] Le Correctionnal Institution Inspection Committee inspecte les établissements carcéraux privés et publics.

[3] Alors sous le contrôle de la Corrections Corporation of America.

[4] Alors sous le contrôle de la Wackenhut Corrections Corporation.

[5] « Mace » : vaporisateur semblable au poivre de cayenne.

[6] Notre traduction.

[7] Les politiques conservatrices préconisent des sentences et des peines plus sévères pour les crimes contre la personne, la propriété privée ou ceux impliquant des drogues en plus de promouvoir les privatisations.

http://socio13.wordpress.com/2010/02/27/les-prisons-etats-uniennes-privatisations-a-perpete-par-martin-petit/

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