Les Dessous de Bruxelles vous proposent un tour d’horizon des nouveautés et grandes tendances de la cuisine politique de l’UE, à l’occasion du futur sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du 25 mars prochain. Celui-ci devrait valider la stratégie Europe 2020, et les objectifs censés garnir le menu des politiques de l’Union européenne pendant les dix prochaines années.
Après avoir récemment été décrié par certains de ses meilleurs clients pour son « manque de détermination », et son « manque de vision » [1], le Chef Barroso aura à cœur de regagner leur estime et flatter leur palais. Les fins gourmets trouveront-ils leur compte dans la future cuisine politique de l’UE ? Pour répondre à cette question, les DDB ont parcouru le menu 2010-2020 (disponible en annexe), qui se décline en trois recettes pour accommoder la croissance (élaborées en collaboration avec les meilleurs spécialistes des lobbies industriels), et la rendre (encore plus) délicieuse :
La première d’entre elles répond au doux nom de « croissance intelligente ». Vaste programme de réforme marchande de l’université et de la recherche, elle ne manquera pas de séduire les audacieux socialistes de marché en mal d’Europe sociale [2]. Dans le programme 2010-2020, elle s’adjoint d’une note de « high-tech » avec le projet de « société numérique », qui comprend la mise en place du marché unique des services et contenus en ligne, et d’une « gouvernance globale » d’Internet (une occasion, peut-être, d’y imposer enfin la loi de la propriété intellectuelle contre le partage et la gratuité [3]).
La « croissance verte », quant à elle, est le plat de prédilection des écologistes de marché : de vrais morceaux de finance carbone et de « technologies vertes », accompagnée d’une libéralisation du marché de l’énergie, le tout baignant dans un épais coulis de compétitivité (Dany l’adore [4]).
Le « capitalisme vert » a de beaux jours devant lui, si l’on en croit la Commission, qui voit dans les technologies vertes un futur eldorado (d’après les oracles, le marché des biens et services « verts » devrait tripler d’ici à 2030). Il s’agit donc d’en faire un avantage compétitif, le fer de lance de la compétitivité européenne. La politique de commerce extérieure sera modifiée en conséquence : les accords de libre-échanges bilatéraux viseront à abattre les barrières douanières et non-tarifaires qui s’appliquent au commerce des produits et services « verts ».
Pour ceux à qui l’appétit viendrait à manquer, le Chef propose la « croissance inclusive », aussi appelée croissance sympa. Emploi, formation, lutte contre la pauvreté... Mais attention, la « croissance inclusive » est une recette 0% de social. Parce que la santé budgétaire passe avant tout, il ne s’agirait pas de favoriser les dépenses et l’obésité des budgets publics. Audacieuse et très prisée par les meilleurs think-tanks, elle convient plutôt à un régime sec : réforme du système de retraite et de la protection sociale, et flexibilisation du marché du travail sur le mode de la « formation tout au long de la vie » [5].
Afin de garantir un service inégalé et mettre en avant ce choix varié de politiques, la Commission met à disposition de ses clients les meilleures méthodes de management issues du secteur privé seront mises en place : stratégie par objectifs, évaluation de la performance, une démarche qualité toute entière consacrée à la croissance économique ; une « croissance intelligente verte » qui fleure bon les lendemains boursiers qui chantent [6]...
Alors, que penser de cette cuvée 2010-2020 ? Malgré les petits remous sans grandes conséquences que traverse l’économie mondiale depuis maintenant quelques années, il semble que le mot d’ordre soit de garder le cap. Business as usual. Soit, pour les uns, la perspective de profits juteux saupoudrés de bonne conscience, et pour les autres : hardi, peuples européens ! Souquez ferme !
[1] L’équipe Barroso II investie mais critiquée, 10 février 2010, http://www.euractiv.fr/priorites-de...
[2] Au début des années 2000, la « croissance intelligente », qui s’intègre alors dans le projet d’« économie de la connaissance » porté par la Stratégie de Lisbonne, fait l’objet d’un consensus assez large parmi les sociaux-démocrates, alors à la manœuvre. Parmi les politiques, universitaires, syndicalistes, l’« économie de la connaissance » évoque des lendemains qui chantent : « L’acte de naissance de l’Europe sociale » ; la « revanche de Maastricht » , s’exclame-t-on en brandissant les vagues promesses de promouvoir la recherche, l’éducation, la formation professionnelle et la lutte contre l’exclusion comme moteurs de la compétitivité européenne. (A vos marques®, prêts, cherchez ! Isabelle Bruno, éditions du croquant, 2008), http://atheles.org/editionsducroqua...
[3] A lire : Indect, le futur réseau Echelon européen. Sur ce sujet, Jérémie Zimmerman, de la Quadrature du net, précise : « Ce qui m’inquiète le plus, c’est la mention aux "réseaux de prochaine génération", qui comprennent les réseaux à équipements filtrants, permettant de discriminer le trafic en fonction de la nature de l’information transmise, et de remettre en cause la "neutralité du net" ».
[4] Le vrai visage de Daniel Cohn-Bendit, La Décroissance, n°56, février 2009, http://www.ladecroissance.net/?chem...
[5] Corinne Gobin, « Quand social signifie antisocial », in Bernard Cassen (dir.), En finir avec l’Eurolibéralisme, Paris, Mille et une Nuits, 2008, p.29-44, http://www.1001nuits.com/livre/1001...
[6] « C’est peut-être dans le regitre prophétique des lendemains technologiques que le discours boursier, par ailleurs si déconsidéré, trouve son ultime redoute - avec parfois l’improbable secours de technologues de gauche, écolos amis de la chimère ayant reçu pour nom « croissance verte », ou enthousiastes du « capitalisme cognitif » (certains, pas tous) qui nous voient déjà savants et émancipés par le simple empilement des ordinateurs connectés en réseau » écrit Frédéric Lordon, dans le Monde Diplomatique du mois de février)
http://dessousdebruxelles.ellynn.fr/spip.php?article106
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