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06/03/2010

La baisse des revenus, amère potion pour l'Europe

Vendredi 5 mars, la Grèce était paralysée par une grève des transports urbains et par des arrêts de travail des contrôleurs aériens. La veille, c'était le Portugal dont les services publics faisaient les frais d'une grève organisée par les syndicats de fonctionnaires.

Ces coups de colère sont motivés par les amputations de revenu que prévoient les plans de sauvetage de ces pays en grande difficulté. En Grèce, on annonce une diminution de 30 % du treizième mois et de 60 % du quatorzième mois des fonctionnaires. Au Portugal, il s'agit d'un gel des salaires du secteur public. Les retraites aussi sont la cible d'économies.

Déjà en 2009, les fonctionnaires irlandais avaient vu baisser leur rémunération de 7,5 % en moyenne, et les Lettons de quelque 17 % ! Cette potion très amère est-elle nécessaire ? Est-elle la seule à être efficace ?

"Ces pays souffrent de deux maux, répond Agnès Benassy-Quéré, directrice du Cepii. Ils ont accumulé des déficits insoutenables et ils pâtissent d'une grave perte de compétitivité. En baissant la masse salariale de la fonction publique, ils traitent les deux problèmes à la fois, en allégeant leurs finances et en calmant la hausse de leurs prix."

Un chiffre explique pourquoi les Grecs, par exemple, vivent au-dessus de leurs moyens. "L'évolution de leurs prix à la consommation a été de 10 % supérieure à celle de la zone euro depuis le premier trimestre 2001 et jusqu'au quatrième trimestre 2009, souligne Claude Giorno, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La modération salariale s'impose."

Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis, s'insurge contre l'idée que les pays en crise ont exagéré. "L'Espagne, c'est vrai, a augmenté ses coûts salariaux de 40 % de plus que l'Allemagne depuis 1999, analyse-t-il. Mais cette convergence n'a rien d'anormal, car les coûts salariaux espagnols représentent seulement 80 % de ceux de l'Allemagne."

En revanche, il s'inquiète de la baisse des salaires qui va déformer le partage des revenus en faveur du profit. "Comme celui-ci n'est pas réinvesti, dit-il, cela va fabriquer de l'épargne au moment où elle est excédentaire et où il faudrait plus de consommation."

Car les plans d'austérité provoquent inévitablement un ralentissement économique qui se traduit par des suppressions d'emplois dans le secteur privé aussi et la montée du chômage tire vers le bas les rémunérations distribuées par les entreprises.

Pour éviter de faire trop porter l'effort de redressement sur le pouvoir d'achat, de nombreux experts préconisent, comme M. Giorno, des réformes structurelles qui amélioreraient la compétitivité des pays. "La Grèce devrait ouvrir ses professions comme celle d'architecte, affirme-t-il. Il lui faut rendre plus facile la création d'une entreprise et revoir un salaire minimum de 727 euros qui est bas certes, mais qui suscite un chômage massif de 27,8 % chez les jeunes."

Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), soutenu par Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique, préconise depuis plusieurs années une autre démarche pour les pays de la zone euro. Ces pays "cigales", qui ne peuvent plus dévaluer leur monnaie pour recouvrer de la compétitivité, "doivent geler en même temps leurs prix, leurs loyers et leurs salaires, ce qui représente une baisse du pouvoir d'achat seulement en termes de biens importés", affirme M. Delpla.

Le problème, répond Gilles Saint-Paul, professeur à l'Ecole d'économie de Toulouse, "c'est qu'il s'agit d'une quasi-dévaluation et comme ces baisses diminueront le produit intérieur brut (PIB) du pays, alors que la dette extérieure restera inchangée, le ratio dette/PIB s'aggravera".

L'autre problème, analyse Bruno Cavalier, économiste en chef chez Oddo Securities, "c'est que cela ne marchera pas en raison des très grandes rigidités à la baisse des salaires, mais aussi des biens". Selon lui, "encore faudrait-il que l'Allemagne ne réduise pas à néant les efforts grecs ou portugais en poursuivant sa modération salariale qui renforce sa compétitivité".

L'équité a un rôle à jouer

Le "système Blanchard" est très habile, conclut-il, mais il "ne marchera pas", parce qu'il oublie l'urgence où se trouvent ces pays en crise et "la pâte humaine" qui ne se comporte pas souvent conformément aux préconisations des experts.

Retour donc aux traditionnelles mises à la diète des ménages, qui apparaît d'autant plus insupportable aux populations concernées qu'elles n'ont pas eu conscience de vivre au-dessus de leurs moyens, mais seulement de rattraper le niveau de vie de leurs voisins européens.

Manifestations violentes assurées ? "Selon des analystes scandinaves, les sacrifices sont d'autant mieux supportés qu'ils concernent tous les citoyens du pays", estime Mme Benassy-Quéré. L'équité ne peut être absente du dispositif.

Alain Faujas

http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/03/05/la-baisse-des-revenus-amere-potion-pour-l-europe_1314859_3234.html#ens_id=1268560

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