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05/03/2010

« Médecine du travail : le Medef est dans le mur »

David Servenay

Gabriel Paillereau, licencié pour avoir dénoncé les dérives des services de santé au travail, pointe l'immobilisme du gouvernement.

La peinture d'un médecin (Jared Rodriguez/Truthout.org/Flickr)

C'est un cri d'alarme poussé par un ancien responsable patronal de la médecine du travail. Licencié à l'automne dernier après avoir dénoncé les abus de certains services, Gabriel Paillereau, ex-délégué général du Cisme (Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise), pointe l'immobilisme du gouvernement, soupçonné de vouloir privatiser un système en déshérence. Une enquête conjointe de France Inter et Rue89.

« La réforme ? Tout faire pour que rien ne change »

Deux ans après notre première enquête sur la médecine du travail, qui expliquait comment l'argent de la santé des salariés finançait les comités locaux du patronat, la réforme promise par le gouvernement patine. Les cinq confédérations syndicales ont refusé de signer le texte proposé par le Medef. Pire : certains services de santé au travail servent toujours de « caisse noire » aux Medef territoriaux, dont ils paient les permanents et les structures.

Ce scandale, Gabriel Paillereau le connaît bien. Il fut de 1994 à 2009 le délégué général du Cisme, l'organisme qui représente et défend les intérêts de 300 services inter-entreprises.

Licencié le 18 septembre 2009 pour « cause réelle et sérieuse », il s'exprime pour la première fois afin de dénoncer l'immobilisme du gouvernement et de l'organisation patronale qui a échoué à convaincre les syndicats de réformer un système à bout de souffle :

« Ce qui me frappe, c'est de tout faire pour que rien ne change. En réalité, la réforme proposée par Xavier Darcos n'est que la poursuite de ce qui existait déjà. […] Le gouvernement n'a pas pris la mesure du problème. Pourtant, il y a eu des tas de rapports ces dernières années… » (Voir la vidéo)


La lettre de trop qui provoque son licenciement

Combien de services de santé au travail sont touchés par ces dérives ? Difficile à dire. Parmi les cas que nous avions soulevés en 2008, certains n'ont pas forcément clarifié leur fonctionnement. En particulier sur les questions de gouvernance et de transparence. Gabriel Paillereau les évalue à 10% du total des services.

En tout cas, son franc-parler va lui coûter cher. Tout part d'une lettre qu'il adresse le 18 mai 2009 à Jean-René Buisson, l'homme du patronat dans la négociation qui s'est engagée avec les partenaires sociaux. Dans ce courrier, Gabriel Paillereau fustige les « problèmes » de certains services, dont ceux d'Amboise et de Toulouse :

« Le premier a effectivement sombré tout récemment à la suite d'une affaire d'abus de biens sociaux impliquant l'ancien président, qui a conduit à sa liquidation judiciaire ; le second pourrait se retrouver lui aussi au premier plan de l'actualité dans les prochains jours ou les prochaines semaines. »

A Toulouse, Gabriel Paillereau sait de quoi il parle : son épouse dirige l'AMST, 185 000 salariés suivis. Elle a été licenciée en janvier 2009 (motif : « insuffisances professionnelles ») pour s'être opposée à la politique du nouveau président, Henry Mathon.

En guise de réponse à sa lettre, le délégué général du Cisme est lui aussi licencié. Les hommes forts du Medef estiment qu'il a « mis en accusation » les représentants toulousains. Les deux licenciements font l'objet d'une procédure aux prud'hommes.

Dans sa lettre à Jean-René Buisson, Gabriel Paillereau fait plusieurs allusions au cas toulousain :

« Comment imaginer que les organisations patronales conservent le moindre crédit si, par leur silence, elles couvrent les actions délétères de certains de leurs représentants au niveau local ? » (Voir la vidéo)


Toulouse, le laboratoire social du patronat

Dans cette crise toulousaine, les anomalies sont nombreuses :

  • un montage qui distingue le service de santé au travail (AMST) et une association « patrimoniale » (AST) qui possède des bâtiments loués par le service, à raison de 400 000 euros par an, or l'AST est aux mains des responsables patronaux locaux, avec un joli pactole de 2 millions d'euros ;
  • une gouvernance aux mains de 14 employeurs (sur 9 000 entreprises adhérentes) qui se renouvellent uniquement par cooptation ;
  • un fonds de réserve qui s'élève à 4 millions d'euros placés en Sicav de trésorerie ;
  • enfin, un agrément de l'Etat, qui fait défaut depuis 1997… fragilisant le fondement juridique des décisions prises par les médecins du travail, le service ayant depuis avril 2009 un agrément conditionnel qui n'est plus valable aujourd'hui.

Or, sans cet agrément, rappelle le docteur Bernard Inchauspé, représentant CFE-CGC à l'AMST, les décisions d'aptitude sont virtuellement nulles. (Ecouter le son)

Pour Gabriel Paillereau, le cas de Toulouse sert de laboratoire social aux éléments les plus radicaux du patronat. (Voir la vidéo)


Chose rare chez les médecins du travail : une majorité d'entre eux s'opposent à la fusion prévue avec un autre service (CMTA). Ils ont même fait grève pour manifester leur mécontentement. Ils dénoncent la vision « productiviste » du président de l'AMST, Henry Mathon. Pour Bernard Inchauspé, l'enjeu est aussi d'éviter de nouveaux scandales, type amiante :

Les réponses d'Henry MathonPrésident de l'AMST depuis juillet 2008, Henry Mathon réfute point par point les accusations dont il fait l'objet : (Télécharger ses réponses)

« La santé au travail en France est confrontée à une réalité économique et démographique simple : il y a de moins en moins de médecins du travail et de plus en plus de salariés à suivre ; ce qui “ rend la situation actuelle intenable ” selon les propres mots de Monsieur Xavier Darcos, ministre du Travail, prononcés le 4 décembre 2009 dans le cadre d'une réunion du comité d'orientation sur les conditions de travail.

De nouveaux textes règlementaires sont annoncés avant la fin du 1er semestre 2010. En attendant, les services de santé au travail doivent faire face et ce, pour certains, depuis plusieurs années.

C'est dans cette seule circonstance de pénurie en médecins du travail que le mot “ productivité ” a été employé. »

Derrière cette « expérience » toulousaine, Gabriel Paillereau décèle aussi les ambitions de certains acteurs issus du monde de l'assurance (Henry Mathon est aussi dirigeant d'une mutuelle).

Il l'avait d'ailleurs souligné dans la lettre qui a déclenché son licenciement, en soulignant les projets d'un certain… Guillaume Sarkozy, numéro 2 du groupe Médéric-Malakoff.

Illustration : la peinture d'un médecin (Jared Rodriguez/Truthout.org/Flickr)

http://www.rue89.com/2010/03/03/medecine-du-travail-le-medef-est-dans-le-mur-141328

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