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01/03/2010

Grèce: Qui tire les ficelles?

Karl Müller

Athènes, début février 2010. Partout dans cette ville de plus de 3 millions d’habitants qui explose littéralement, on rencontre des gens aimables, ouverts, communicatifs et travailleurs. Sont-ils responsables de ce que l’Union européenne cloue leur pays au pilori? Est-ce leur faute si depuis quelques se­maines, leur pays fait la une des journaux de ma­nière si négative? Ou les vrais respon­sables se trouvent-ils ailleurs?

Qui sont ces fameuses «agences de notation»?

Le 11 février, le président du groupe socialiste du Parlement européen Martin Schulz a, au cours d’une interview au Deutsch­landfunk, déclaré ceci: «Vous avez mentionné les agences de notation qui, semble-t-il, ont abaissé la note de solvabilité de la Grèce. Je voudrais bien parler ce matin avec les chefs d’Etat et de gouvernement [ils se sont réunis le 11 février pour s’entretenir de la crise financière de la Grèce] pour savoir qui sont ces agences de notation et quel intérêt elles ont à déclarer que les mesures sont inefficaces, qu’il faut augmenter le taux d’intérêt des prêts qui seront accordés un jour ou l’autre soit par des pays soit par des banques privées. Quelqu’un va les recevoir, ces intérêts, mais qui? Qui a intérêt à ce qu’on augmente les taux? Les agences de notation. Mais qui sont-elles? C’est une de ces petites questions que je pose en passant car on n’en débat jamais.»

La faute incombe-t-elle aux spéculateurs sur les monnaies?

Rudolf Hickel, spécialiste de gauche des questions financières, a exprimé ses craintes en déclarant le 11 février au Spiegel Online: «Une faillite de la Grèce pourrait causer la ruine de tout le système de l’euro». Selon le média allemand, toute l’agitation à propos de la Grèce a été provoquée volontairement par ceux qui spéculent sur les monnaies, «car les bénéficiaires d’une éventuelle faillite de l’Etat sont avant tout ceux qui spéculent en Bourse sur les monnaies. Selon Hickel, «plus le pays est petit, plus il est livré brutalement aux spéculateurs. […] Après la Grèce, l’Espagne et l’Italie seront dans la ligne de mire des spéculateurs.»

Le capital financier agit de son propre chef

Pour le chef des socialistes européens, c’est un dilemme: d’une part, ils s’accrochent de toutes leurs forces à l’UE et à l’euro pour leurs projets de gouvernement mondial. D’autre part, le capital financier – les res­ponsables socialistes sont toujours à son service – agit de son propre chef et on ne sait jamais avec certitude pour ou contre quoi il se décide dans tel ou tel cas. Actuellement, pas tellement pour l’euro, mais plutôt pour le dollar? On dit que les Etats-Unis vont, cette année, lancer pour 2,5 billions
d’emprunts d’Etat. C’est énormément d’argent et la concurrence augmente sur les marchés financiers. En tout cas, cela donne un coup de fouet aux affaires. Hickel dit simplement: «Les spéculateurs ne visent pas un cours particulier de l’euro qui reflèterait adéquatement l’activité économique. Ils
tirent beaucoup plus de profits d’un cours extrêmement instable.» Selon la Neue Zürcher Zeitung du 11 février, la Bourse des marchés à terme de Chicago, qui est déterminante pour le négoce des dérivés monétaires, parie actuellement plus que jamais contre l’euro.

On fait des affaires avec les intérêts

On fait aussi des affaires avec les intérêts. En avril et mai 2010 seulement, des emprunts de l’Etat grec à hauteur d’environ 40 milliards arrivent à échéance qui devront être remboursés au moyen de nouveaux emprunts, de nouveaux crédits, cependant plus à 3% mais à 6% environ. Les prêteurs appellent cela «prime de risque» à cause de la dette publique grecque. A vrai dire, ils doublent ainsi leurs profits car jusqu’ici, la Grèce a toujours payé.
Il paraît que cette année, un total de 2,2 billions d’emprunts d’Etat arrivent à échéance dans le zone euro. Une grande partie devra être financée en recourant aux marchés financiers. Si le monde de la finance réussissait ici aussi – au Portugal, en Italie et en Espagne et également en France et en Belgique, peut-être même en Allemagne – à faire grimper les taux d’intérêt, avec l’aide des agences de notation? 1% de plus, cela représente déjà 22 milliards d’euros. Ce serait une affaire formidable … en tout cas aussi longtemps que les peuples et les Etats participeront à ce jeu sinistre.
Et qu’est-ce qui se passerait si l’euro ne pouvait plus être soutenu, si l’UE s’effondrait et si par exemple la Grèce ne remboursait plus ses dettes qu’à des conditions équitables?

L’Allemagne a profité de l’euro … au détriment d’autres pays

L’Allemagne avant tout perdrait énormément de sa puissance. Son industrie exportatrice tout particulièrement a profité considérablement jusqu’ici de l’UE et de l’introduction de l’euro. Actuellement, les exportations représentent environ 50% du PIB.
Le journal junge Welt titrait même, le 9 février: «Faillite made in Germany. La me­nace d’effondrement des finances publiques d’Etats d’Europe du Sud est la consé­quence directe de la politique agressive de l’Allemagne en matière de commerce extérieur». Dans l’article, on pouvait lire ceci: «Depuis des décennies, Berlin mène une politique économique agressive fondée sur les exportations. […] Le plus grand débouché pour le capital allemand, c’est l’UE. […] La monnaie commune européenne a privé les pays de la zone euro exposés à cette offensive exportatrice allemande de la possibilité de rétablir la compétitivité de leur économie en procédant à une dévaluation de leur monnaie. L’énorme déséquilibre économique qui en est résulté se manifeste de manière éclatante à travers la Grèce, cette candidate à la faillite qui, en 2008, a importé des marchandises alle­mandes pour 8,3 milliards d’euros alors que ses exportations ne s’élevaient qu’à 1,9 milliard d’euros.
Pour l’auteur de l’article, une cause importante du «succès» allemand réside dans une «stratégie d’appauvrissement du marché intérieur: Entre 2002 et 2008, les salaires bruts ont augmenté en moyenne de 15,2% en Allemagne, mais de 31,9% dans l’ensemble des pays de l’UE.»

L’euro conduit à un contrôle total des Etats de l’UE

La grande industrie allemande «a besoin» de pays comme la Grèce, mais à la longue, cela ne fonctionne que si la politique alle­mande peut contrôler de plus en plus ces pays. Et c’est à cela que sert l’actuelle politique de la carotte et du bâton: le bâton des restrictions pour la population, celui du contrôle par des commissaires européens pour le gouvernement. Le nouveau président de l’UE Hermann van Rompuy a déclaré après le sommet de Bruxelles: «Nous demandons au gouvernement grec d’appliquer toutes ces mesures de manière rigoureuse et déterminée.» Mais la carotte a également été présentée lors de la réunion du 11 février des chefs d’Etat et de gouvernement: «Nous n’abandonnerons pas la Grèce», a déclaré la Chancelière allemande Angela Merkel (communiqué officiel).
Cela veut dire que l’Allemagne fait savoir qu’en cas d’insolvabilité de la Grèce, elle est prête à l’aider financièrement … afin de soutenir l’euro et mais sans doute pas par solidarité.
Et quel en est le prix? L’inflation? Encore plus de sacrifices pour le contribuable allemand, et avant tout au détriment des travailleurs? Daniel Gros, directeur du Centre for European Policy Studies (CEPS) de Bruxelles, a fait savoir au manager magazin allemand en quoi consistait la «maîtrise de la crise» dans des pays comme la Grèce: «Il s’agit précisément de baisse des salaires dans le secteur privé. C’est pour moi l’essentiel.» Et il ne pensait pas seulement à la Grèce.
Les leaders socialistes européens vont louer cela comme étant un acte de solidarité. Les chefs de gouvernement socialistes des Etats européens, à la veille de la rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement, avaient demandé une «aide» d’urgence pour la Grèce (et les autres pays du sud de l’Europe dont il était question à la une des journaux). En effet notons-le bien: les socialistes européens veulent aussi l’UE et l’euro.

Le gouvernement allemand aspire-t-il à un statut de puissance mondiale?

Revenons encore une fois à l’Allemagne. Les Services secrets privés américains Stratfor Global Intelligence ont publié le 8 février une analyse intéressante sur le rôle de l’Allemagne en Europe et dans le monde («Germany’s Choice»). Pendant des décennies, l’Allemagne a été le trésorier (coupable) de l’Europe sans y jouir d’un poids politique réel, mais maintenant, elle n’est plus un «observateur passif muni d’un carnet de chèques». Merkel est la première Chancelière qui gouverne «libérée du poids des péchés passés». Elle n’est plus disposée à payer pour l’Europe «au détriment des intérêts allemands».
Mais elle paiera malgré cela, ou plutôt à cause de cela, pour la Grèce. Il serait certes «intelligent» que l’Allemagne cesse de payer et que l’UE et l’euro s’effondrent, mais sans l’UE et l’euro, l’Allemagne ne pourrait plus prétendre au statut de puissance mondiale. (A vrai dire, la population n’y tient pas.) Cependant, le gouvernement Merkel y tient et le prix que les autres Etats de l’UE doivent payer pour cela est le contrôle absolu de l’Allemagne sur la Banque centrale européenne et par là même sur les budgets de tous les pays de la zone euro.
Mais ne voyons-nous pas se profiler ici une mégalomanie qui s’était déjà mani­festée jadis en Allemagne? Qu’est-ce qui rend le gouvernement allemand si certain qu’il ne pourra pas se trouver bientôt au bord de la faillite? Où existe-t-il des plans sinistres de la droite et des Verts en vue d’un renouveau «allemand vert» qui ne recule devant rien?
Mais revenons à la Grèce. Lors des manifestations contre le plan de rigueur imposé par l’UE au nouveau gouvernement, on pouvait lire ou entendre des slogans comme «Nous n’accepterons pas le chômage et la pauvreté pour permettre au capital monopoliste de faire de gros profits» ou: «Nous ne payerons pas un centime pour la ploutocratie». Le secrétaire général du syndicat grec des fonctionnaires Adedy a déclaré: «Ils ont promis que les riches paieraient mais au lieu de cela, ils se servent chez les pauvres. C’est cette politique que nous combattons, pas la tentative de surmonter la crise.»

Les Grecs en ont assez de l’UE

La Grèce a-t-elle une chance de s’en tirer au sein de l’UE et de la zone euro? Guère! Un article paru dans la Neue Zürcher Zeitung du 12 février et intitulé «La zone euro, zone de conflits» a une fois encore rappelé un défaut fondamental de l’euro: Contre toute raison économique, l’introduction de l’euro devait permettre de créer un super-Etat européen. L’euro devait contraindre les Etats à harmoniser de plus en plus leurs politiques. Mais c’était chimérique dès le début: «Les tensions au sein de l’union monétaire européenne sont plus ou moins le résultat du fait que les politiques ont toujours vu dans l’union monétaire un instrument destiné à accélérer et à imposer l’intégration politique de l’Europe. On a fait un usage abusif de l’institution moné­taire afin de viser des objectifs situés au-delà de la politique monétaire, ce qui représente un danger pour la stabilité de la monnaie et pour l’économie.»
Il est possible que si la Grèce sortait de l’UE, elle subirait dans un premier temps un certain nombre d’inconvénients écono­miques et autres, mais si elle reste dans l’UE, les inconvénients se multiplieront considérablement. Les Athéniens disent qu’ils en ont assez de l’UE, et c’est normal. Ne se fier qu’à ses propres forces et jouir de la liberté est plus digne que mener de plus en plus une vie d’esclaves. •

«Plan B» pour la Grèce?

ww. Nombreux sont ceux qui ont lancé un avertissement lors de l’introduction de l’euro: Il est problématique de créer un espace monétaire unifié avec des pays ayant des structures économiques et des degrés de développement différents et des cultures très diverses. Aujourd’hui, la crise est là. La situation critique des pays du sud de l’Europe fait la une des journaux. Les médias ont maintenant recours au sigle peu amène de PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). La lettre I pourrait également désigner l’Italie.
La Grèce, avant tout, doit agir rapidement. La Commission européenne a pour ainsi dire mis sous tutelle ce pays surendetté et lui a imposé un plan de rigueur sévère. Sa mise en application doit être surveillée de très près. Pour le moment, il n’est pas question d’aide financière. Cette politique recèle une éventuelle crise bancaire: des banques françaises ont accordé à la Grèce pour 75 milliards d’euros de crédits, des banques suisses 64 milliards, des banques allemandes 43 milliards et des banques américaines 16 milliards de dollars. Elles espèrent toutes que l’UE en garantit implicitement le remboursement.
Ce plan est-il réaliste ou existe-t-il un «plan B»? La Grèce pourrait se déclarer en faillite, sortir de l’euro et revenir à son ancienne monnaie, la drachme. Ensuite, le peuple grec pourrait envisager la sortie de l’UE. Le pays pourrait faire savoir à ses créanciers étrangers que désormais, ils ne peuvent plus compter que sur de modestes dividendes de faillite. Et puis alors? Serait-ce une catastrophe? Le pays s’isolerait-il du monde économique?
C’est ce qu’a fait l’Argentine il y a 6 ans. Elle résiste bien à la crise. Dubai s’est déclaré insolvable il y a quelques semaines et est maintenant soutenu par ses voisins.
Y aurait-il pour la Grèce et d’autres pays membres de l’UE un avenir poli­tique sans l’euro et éventuellement hors de l’UE? Oui, il est dans l’AELE, association d’Etats souverains d’Europe qui tiennent à leur souveraineté. Ils ne se sont pas laissé emprisonner dans des structures supranationales. Ils misent sur la responsabilité individuelle et organisent librement leur collaboration. Chaque pays a sa monnaie. La Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande y trouvent leur compte.

http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=2037

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