Silvio Berlusconi a réussi l’exploit de combler une grande partie de son retard sur la coalition de centre gauche, jusqu’à apparaître comme en mesure de l’emporter au sénat, ce qui entraînerait de nouvelles élections. Dans ce contexte, l’alliance électorale conclue avec le parti fasciste d’Alessandra Mussolini et ses encombrants alliés venus de la frange la plus dure de l’extrême-droite italienne reste d’actualité. Qui sont-ils vraiment, ces partenaires qu’ Il cavaliere veut inviter à diriger l’Italie à ses côtés ? Portraits.
« Mussolini n’a jamais tué personne ! Tout au plus, il se contentait d’envoyer des opposants en vacances... » Qui est l’auteur de cette invraisemblable citation, qui balaie d’un revers du coude les milliers de militants politiques et syndicalistes victimes du fascisme, emprisonnés, blessés ou assassinés ? Qui est ce révisionniste à l’italienne ? Silvio Berlusconi lui-même ! En septembre 2003, il accordait une interview conjointe à l’hebdomadaire britannique The Spectator et au quotidien La Voce di Rimini et répondait ainsi aux journalistes qui lui suggéraient un parallèle entre la dictature du Duce et celle de Saddam Hussein. « J’ai accordé une interview qui devait être relue et amendée, j’ai parlé à bâtons rompus » se justifiera Il cavaliere. Un peu court. Mais ce n’est pas d’hier que Berlusconi montre sa sympathie envers l’extrême-droite.
Lorsqu’elle remporte les législatives de 2001, sa coalition s’appuie entre autres sur la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, ce dernier étant nommé ministre de la réforme du premier gouvernement Berlusconi de l’histoire, poste qu’il occupera jusqu’en juillet 2004, lorqu’il est victime d’un accident cardiaque. La Ligue du Nord revendique l’autonomie régionale d’une région mythique baptisée Padanie, pour éviter que ne soient versées des aides au Sud du pays, qualifié de "véritable Tiers-Monde italien". Xénophobe obsédé par l’immigration, Bossi a proposé l’érection d’un mur le long des côtes italiennes, pour empêcher les clandestins d’arriver. Ses troupes en chemises vertes, la "garde nationale padane", diffusent des tracts au contenu sans équivoque : "Usines de la Padanie, n’embauchez pas de Méridionaux". Bossi lui-même vitupère le "nazisme rouge né de l’alliance entre banquiers et francs-maçons [qui] tient l’Europe avec le lobby des gays". Marqué par un nouveau souci de santé, un accident cérébral, il a pourtant fait son retour sur la scène politique à la fin de la campagne, pour tenter d’apporter à Berlusconi les 4 % de voix que peut mobiliser la Ligue, ce qui lui vaudrait de conserver des ministères.
Dans le gouvernement sortant lui appartenaient en effet les portefeuilles du travail, de la justice et de la réforme, du moins jusqu’à la démission du titulaire de ce dernier, Roberto Calderoli. Ce roi de la provocation proposait l’année dernière : "Pour chaque journée de captivité d’un otage italien, il nous faut expulser et renvoyer chez eux mille musulmans vivant en Italie et originaires des États voyous." Le 16 février, un ultime dérapage entraîne son départ du gouvernement : il ouvre sa chemise pendant le "20 heures" de la première chaîne de la RAI pour montrer un tee-shirt qu’il s’est fait confectionner, représentant les fameuses caricatures de Mahomet. Le lendemain, en Lybie, se déroule une violente manifestation devant le consulat d’Italie de Benghazi, qui est incendié, et les affrontements entre protestataires et policiers font onze morts. Berlusconi lui demande sa démission le soir-même et il obtempère le 18 février.
Au contraire, toujours et plus que jamais en poste, le ministre des affaires étrangères et vice-Président du Conseil, Gianfranco Fini, est pour sa part lourdement marqué par son parcours politique, de la présidence du Front de la Jeunesse en 1977 à celle du Mouvement Social Italien, parti néo-fasciste, dix ans plus tard. A cette époque, il affirme que "Mussolini était le plus grand homme d’État du XXe siècle" et promet de "construire le fascisme de l’an 2000". En transformant le MSI en Alliance Nationale, Fini choisit en 1995 la voie de la respectabilité, mais certains commentateurs n’y voient qu’opportunisme politique. Et en 1998, il déclare encore qu’un "instituteur homosexuel déclaré ne devrait pas pouvoir enseigner". Il renie officiellement l’héritage fasciste lors d’un voyage en Israël en novembre 2004.
Si Fini s’est assagi, ce n’est nullement le cas d’Alessandra Mussolini, euro-députée et alliée officielle de Berlusconi depuis le 17 février. Ainsi la petite-fille du Duce, lors d’un débat de la campagne électorale, est accusée d’être fasciste par l’un de ses adversaires et rétorque : "et je m’en vante", avant d’ajouter : "Mieux vaut être fasciste que pédé !", faisant allusion à la candidature d’une communistre transexuelle, Vladimir Luxuria. Ancienne membre d’Alliance Nationale, Mussolini a rompu avec Fini lorsque celui-ci a renié le fascisme, pour créer son propre parti, Alternative sociale. Ce qui n’empêche pas Berlusconi de dire d’elle : "personne ne peut mettre en doute son attachement à la démocratie." Démocratie fasciste, donc. Les deux autres dirigeants d’Alternative Sociale, venus de groupuscules antisémites, à l’extrême-droite de l’extrême-droite ( !), sont quant à eux encore plus imprésentables - si faire se peut - que la blonde égérie du fascisme.
Dirigeant le Front Social National, Adriano Tilgher a été arrêté en 1975 pour "tentative de reconstruction du parti fasciste". En 1995, il est nommément désigné par la Cour de cassation, dans son jugement sur l’attentat de la gare de Bologne (85 morts), en tant que membre "d’une vaste association subversive" poursuivant le but de "subvertir les équilibres politiques constitutionnels, pour consolider les forces hostiles à la démocratie, et (...) de favoriser les auteurs d’entreprises terroristes qui pouvaient s’inscrire dans leurs plans." Le FSN se revendique anticapitaliste et anti-américain, Tilgher s’en prenant fréquemment "aux lobbies juifs inspirateurs de la globalisation". Il est l’inventeur de formules choc comme : "la société multiraciale est un génocide".
A Alternative Sociale sévit enfin également Roberto Fiore, de Force Nouvelle. Condamné par le passé à plus de cinq ans de réclusion pour association subversive et participation à une bande armée, il fut en effet l’un des leaders de Terza Posizione, un groupuscule impliqué dans le terrorisme noir des années 70 et 80. Après Bologne, en 1982, il se réfugie à Londres où il vivra plusieurs années, bénéficiant de protections politiques : les autorités italiennes demanderont plusieurs fois son extradition, mais le Foreign Office n’aura de cesse de la refuser. C’est du reste de Londres qu’il fonde FN, avant de rentrer tranquillement en Italie une fois le délai de prescription écoulé. Son mouvement véhicule une idéologie xénophobe et antisémite, tout en soutenant Israël comme barrière contre le monde arabe.
Drôle de coalition de "centre-droit" !
Dire que la Maison des Libertés, machine de guerre électorale formée par Sua Emittenza, est appelée sans rire par les commentateurs "coalition de centre-droit" ! Comment Berlusconi peut-il (in)décemment s’allier avec de tels énergumènes ? "Jusqu’à hier soir, je ne savais même pas que Tilgher et Fiore existaient", a-t-il osé prétendre à la veille de signer l’accord électoral avec Alternative Sociale, dont le logo reprend pourtant ceux du Front Social National et de Force Nouvelle. Se moquer du monde ne fait pas peur au bateleur populiste ! Il finit tout de même par obtenir de Mussolini le retrait des noms de Tilgher et Fiore des listes de candidats, les jugeant soudain "personnages discutables", tant les protestations, y compris de son propre camp, ont dénoncé avec véhémence ces fréquentations. Mais l’alliance avec leurs groupuscules de nervis demeure. De toutes façons, entre la Ligue du Nord qui ne veut rien verser à ceux qu’elle appelle les "culs-terreux", terme désignant les habitants du Sud de l’Italie, et Alternative Sociale qui entend au contraire débloquer des aides pour la région du Mezzogiorno, entre l’anti-américanisme du FSN et la propre politique de Berlusconi ultra-favorable au président Bush, la formule de grand écart est un doux euphémisme. Il Cavaliere est en réalité prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, y compris à perdre l’honneur. S’il n’est pas trop tard : sous le coup de trois condamnations à des peines de prison pour falsification de bilan, corruption de magistrats et financement illicite de parti politique, avant d’être sauvé par la prescription grâce aux manoeuvres de ses avocats, que reste-t-il de l’honneur de Berlusconi ? C’est cet homme-là qui sera peut-être réélu si de nouvelles élections devaient être organisées.
Mise à jour de 14 h
340 députés sur 630 à la Chambre, 158 ou 159 sénateurs sur 315 sièges au Sénat : la coalition de Romano Prodi a remporté les élections. Berlusconi est battu. No pasaran !
Mise à jour du 12 avril : Les chiffres de 342 députés et 158 sénateurs pour la coalition de l’Olivier ont été publiés par la ministère de l’intérieur mais restent à être confirmés par la Cour de cassation. Et Berlusconi demande à ce que l’on revérifie des bulletins en dénonçant "de très nombreuses irrégularités" dans le vote des Italiens de l’étranger. L’écart entre les deux camps est infime : 25 224 voix à la chambre des députés. Le feuilleton continue finalement, donc.
Mise à jour de 2 mai : Ca y est, Berlusconi a enfin reconnu sa défaite et démissionné aujourd’hui.
Cet article a fait la "Une" d’Agoravox et de Yahoo Actualités, rubrique Blogs/Editos, et une version réactualisée en a été publiée dans le magazine Playboy.http://www.plumedepresse.net/spip.php?article251
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