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10/05/2009

La "fausse classe moyenne" piégée

Marc-André Gagnon

Grâce au crédit, une fausse classe moyenne était apparue aux États-Unis. Aujourd’hui, elle est nue devant le miroir  : la croissance économique des trente dernières années a profité seulement à l’élite et a appauvri la majorité des travailleurs. Sans des mesures pour diminuer les inégalités sociales, la relance demeurera fragile.

L’actuelle débâcle financière, c’est d’abord la crise dans le secteur des sous-primes, soit les créances à risque des ménages américains les plus fragiles financièrement. Ces ménages ont longtemps conservé un accès facile au crédit moyennant une prime sur le taux d’intérêt, surtout pour accéder à la propriété. Ces créances constituaient en 2006 près du quart des hypothèques en vigueur. Puisque ce secteur offrait un accès au crédit excessivement laxiste, il a permis à une grande partie des ménages moins nantis de maintenir un niveau de vie aisé. Il a généré ce qu’on pourrait appeler une « fausse classe moyenne » aux États-Unis. Toutefois, tant que la bulle spéculative dans le secteur immobilier se poursuivait conjointement avec un taux d’intérêt très bas, les gens de cette fausse classe moyenne pouvaient hypothéquer l’accroissement de la valeur de leur maison pour consommer.

Le simple essoufflement de la bulle immobilière a conduit à l’effondrement de ces fragiles arrangements financiers visant à endetter toujours davantage ceux qui n’en avaient pas les moyens. L’accès au crédit s’est contracté et les saisies de maison se sont multipliées à grande vitesse. Le fléchissement de la consommation et l’accès difficile au crédit pour les entreprises ont provoqué des faillites et des mises à pied, diminuant d’autant le pouvoir d’achat des travailleurs.

Augmentation des inégalités

En frappant directement les plus pauvres, cette crise financière est en train de mettre cruellement en lumière les dérives du capitalisme américain depuis le début des années 1980. En effet, les années Reagan ont conduit à une croissance sans précédent des inégalités de revenus aux États-Unis. Les attaques contre les syndicats, les baisses d’impôt pour les plus riches et l’impératif de la compétitivité qui a forcé la flexibilisation du travail et renforcé les avantages des entreprises sont tous des facteurs qui ont conduit à une explosion des inégalités de revenus. Malgré un ralentissement de cette dynamique sous Clinton, elle s’est fortement accélérée dans les huit dernières années sous George W. Bush.

Si on analyse la répartition des revenus par centiles (tranches de 1 %, des plus pauvres aux plus riches), on constate un changement majeur dans la répartition des revenus. Si l’ensemble de la société profitait de la croissance économique de 1947 à 1979, c’est clairement les 5 % les plus riches qui ont empoché le magot depuis 1979. À noter qu’avec l’intégration des femmes sur le marché du travail, le nombre d’heures travaillées en moyenne par ménage a augmenté de 20 % depuis 1979, ce qui signifie que la moitié des ménages américains se sont appauvris par rapport au nombre d’heures travaillées. En fait, le salaire horaire réel moyen des travailleurs est aujourd’hui moins élevé que ce qu’il était en 1965. L’accès au crédit a permis de compenser le manque à gagner en prêtant massivement aux travailleurs. Non seulement les travailleurs étaient payés moins, mais en plus ils devaient payer un intérêt pour maintenir leur pouvoir d’achat.

Comme le montre le magazine Fortune, il n’est pas surprenant que les revenus annuels moyens (ajustés pour l’inflation) des cent plus grands P.D.G. américains soient passés de 1.3 million (40 fois le salaire moyen) en 1970 à 37.5 millions (1070 fois le salaire moyen) en 1999. Tandis que les revenus horaires réels de la majorité des travailleurs ont baissé depuis 1970, ceux des P.D.G. ont augmenté de 2900 % !

L’accès facile au crédit a pu camoufler jusqu’à présent cette explosion des inégalités puisque même si la majorité des Américains s’appauvrissaient, ils conservaient un bon niveau de vie et ne ressentaient donc pas ces inégalités. La crise financière actuelle met cruellement en lumière l’importance des dynamiques inégalitaires mises en place depuis le début des années 1980. Ce n’est pas que la finance qui soit en crise, c’est le modèle néolibéral fondé sur la croissance des inégalités qui devient injustifiable pour ceux qui paient le prix de cette crise.

Pelleter en avant les problèmes

Les plans de relance économique, au Canada et aux États-Unis, visent d’abord à sauvegarder les institutions financières tout en relançant la consommation par des baisses d’impôts et en maintenant des emplois par des travaux d’infrastructure. Rien donc pour modifier la dynamique inégalitaire.

Les interventions massives des États visent à recapitaliser le système bancaire tout en épurant les actifs toxiques, comme cherche à le faire la Maison-Blanche, afin que les robinets du crédit s’ouvrent de nouveau. Ceci permettra peut-être le retour à la croissance dès 2010 sans modifier les fondements du système économique actuel. Ce scénario est toutefois problématique, non seulement parce qu’il recourt massivement aux fonds publics pour maintenir un système économique profitant seulement à une minorité, mais aussi parce que l’injection massive de liquidités publiques mettrait en place les conditions structurelles pour la formation d’une nouvelle bulle spéculative encore plus gigantesque étant donné la masse de liquidités publiques disponibles. Relancer l’économie, dans le système actuel, ne signifierait que pelleter en avant les problèmes systémiques qui iraient en grandissant avant d’exploser de nouveau dans cinq à dix ans.

La crise, une opportunité

Toutefois, la crise peut jouer le rôle constructif d’éveilleur de conscience face à l’ordre économique néolibéral et à ses promesses non tenues pour la grande majorité des citoyens. La crise deviendrait celle du plan d’action néolibéral et de sa logique priorisant le rendement des actionnaires sur toute autre dimension de la vie en collectivité. Cette prise de conscience pourrait conduire à un nouvel ordre économique mondial inspiré de celui qui a émergé à Bretton Woods en 1944 avec la création du FMI et de la Banque mondiale, mais prenant en compte cette fois les revendications écologiques, sociales et altermondialistes. Il s’agit alors, comme le propose l’économiste François Morin, de relancer la demande mondiale dans une perspective de développement durable et de réduction des inégalités, par un financement qui passerait par une fiscalité redistributrice et transparente ainsi que par une politique monétaire coordonnée entre les pays. Par exemple, en plus d’un plafond sur les revenus des actionnaires et des dirigeants d’entreprises ainsi que l’élimination des paradis fiscaux, une nationalisation temporaire du système bancaire, envisagée dans plusieurs pays, pourrait servir à financer la relance économique en prenant en compte les aspirations citoyennes afin de financer les énergies renouvelables, le commerce équitable et la finance solidaire.

Les crises systémiques de longue durée ont déjà changé la face du monde à plusieurs reprises. Si cette crise perdure, le travail de conscientisation ne fera que commencer afin d’empêcher le retour au néolibéralisme, aux dérives autoritaires (comme dans les années 1930) et aux dynamiques inégalitaires.

Alternatives - 30.04.09

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