À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

30/03/2011

Quand les sondeurs et leurs commanditaires « critiquent » les sondages

Franz Peultier, Frédéric Lemaire, Olivier Poche

Haro sur les sondages ? Tout a commencé par un « scoop » : « Marine Le Pen en tête du premier tour ». Les résultats de l’élection présidentielle de 2012 venaient de tomber, à la Une du Parisien de ce dimanche 6 mars 2011. Mais qu’est-ce qui a commencé ce jour-là ? La publication de sondages sans autre valeur que les retombées commerciales espérées d’annonces fracassantes taillées sur mesure par les sondeurs ? Pas exactement. Car la prochaine élection présidentielle, et de préférence son second tour, fait l’objet de supputations sondagières depuis quasiment... juin 2007.

Ce qui a commencé, c’est l’une de ces séquences assez rares qui voient les médias dominants émettre des réserves (timides) ou faire état de critiques (superficielles) sur des sondages qu’ils se bornent généralement à publier et à commenter avec avidité. La publication des sondages sert parfois à critiquer les sondages, sans renoncer pour autant à les commanditer. À tous les coups on gagne. Rien d’étonnant donc à ce que cette critique médiatique soit confiée aux journalistes et aux sondeurs. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.
De quoi s’agissait-il ? D’un sondage d’intention de vote, réalisé à quinze mois d’une échéance électorale dont on ne connaît ni les participants, ni leurs projets, ni leur programme. Autant dire une coquille vide, promue aussitôt sujet incontournable par tous les commentateurs professionnels du commentaire et les journalistes politiques experts en dépolitisation. S’il est possible, sinon probable, que Marine Le Pen et ses « idées » jouissent d’une popularité croissante, « intentions de vote » ne signifie rien dans ce cas. Mais qu’importe à nos sondomaniaques, pressés de disserter à longueur d’antenne sur le « phénomène » ou la « dynamique Marine Le Pen » [1]. Au risque, non négligeable, de l’entretenir, sinon de la créer.
Avant de consacrer une énergie appréciable à en disséquer les résultats, un certain nombre de médias ont utilisé quelques formules de distanciation vis-à-vis du sondage lui-même. Certes, Le Parisien, pas peu fier de son exclusivité qu’il étale en Une, sans la moindre précaution :
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… ne craint pas de reconduire ensuite, dans son article d’ « analyse » la vulgate sondagière avec une foi touchante : « Si le premier tour du scrutin se déroulait dimanche prochain, le scénario du 21 avril 2002 serait même dépassé »… Or précisément, le premier tour aura lieu dans plus d’un an, après une campagne qui rend d’avance caduc tout le reste du papier consacré à commenter les « résultats ». Et ce, même si les résultats réels étaient proches de ceux annoncés aujourd’hui. Il faut le dire et le redire (ou le revoir) : ces sondages censés « photographier » des « intentions de vote » alors qu’aucun vote ne se profile réellement et que fort peu de sondés déclarent une « intention » ferme et définitive – et pour cause... [2] – ne photographient rien du tout. Dans le meilleur des cas, ils livrent quelques indications sur le sens du vent, aussi bien ou aussi mal que le premier éditocrate ou politologue venu, doté d’un doigt suffisamment mouillé et d’un peu de jugeote. Le problème est moins dans leur fabrication que dans leur publication et la publicité qui leur est faite. Et c’est en vain que l’on publiera toutes les marges d’erreur et les précisions que l’on voudra, si l’on ne change pas d’abord le rapport aux sondages, la confiance qu’on leur accorde, la valeur qu’on leur prête et la place qu’on leur donne.
Face au sondage du Parisien, nombre de médias ont soudainement éprouvé quelques scrupules. Et pour cause : cela permet de papoter sondage, encore et toujours, mais la conscience allégée, et pour n’en dire pas grand-chose de plus qu’en temps ordinaire. L’émission « L’Édition Spéciale » de Canal Plus du 7 mars en fournit une illustration exemplaire. Bruce Toussaint y évoque le sondage par des considérations qu’on n’a guère l’habitude d’entendre dans les principaux médias : « Que vaut un sondage à 14 mois d’une élection présidentielle ? C’est la question que tout le monde se pose après un week-end où la classe politique s’est enflammée. Marine Le Pen sera-t-elle en tête du premier tour de la présidentielle ? Se dirige-t-on vers un nouveau 21 avril ? Rarement une enquête d’opinion aura déclenché autant de critiques et réactions, et ce n’est sûrement pas fini ». Et derrière Bruce Toussaint s’affiche sur un écran géant le résultat du sondage. En bas de l’écran, un bandeau : « Le Pen à 23% - Faut-il croire les sondages ? ». Tout un symbole : la question que tout le monde (médiatique) consent enfin à poser, ne se pose que quand les sondages donnent des résultats dérangeants ou non-conformes aux résultats escomptés.
Quant aux « critiques déclenchées par les enquêtes d’opinion » – ou plutôt les critiques des sondages d’intentions de vote portées, dans un silence médiatique assourdissant, par une association comme la nôtre, avec quelques autres, elles sont et resteront inaudibles. Seules celles des journalistes accrédités et des sondeurs eux-mêmes, dont on imagine la radicalité, auront droit de cité dans les médias qui, il est vrai, les convoquent en général, avec les honneurs dus à leur rang, pour commenter de concert l’enquête qu’ils ont coproduite.
Quand les sondeurs sondent les sondages...

...Cela commence généralement par des appels à la « prudence », et « l’Édition Spéciale » n’y échappe pas. Pour illustrer cette vague de « critiques et de réactions », un reportage est alors diffusé, qui commence très logiquement… par une intervention de Brice Teinturier (de l’institut Ipsos) au 20h de FR2 samedi soir : « Il est prudent de se dire que dans ce type d’enquête, il y a une marge d’imprécision et qu’elle peut être parfois de 2, 3, 4% ; en tout cas de prendre avec un peu de prudence ce type de résultat, a fortiori surtout à 14 mois du scrutin, c’est ça le plus important ». Le reportage rappelle alors quelques précédents « plantages » mais qui ne le sont que pour autant que l’on apporte un quelconque crédit aux sondages d’intention de vote : Balladur en 1994, Jospin en 2002. Suit alors ce « rappel » qui ne dit rien sur la valeur des sondages eux-mêmes : « Cela paraît une évidence, mais il faut le rappeler : un sondage, ce n’est pas une élection ». D’où la nécessité d’« un peu de prudence ».
Un autre sondeur, Jérôme Sainte-Marie (du CSA), intervient alors, pour dire à peu près la même chose : « Il n’y a aucune règle quant à l’effet des sondages à 14 mois d’une échéance présidentielle. On sait bien que, si aujourd’hui une élection avait lieu, il y aurait une campagne auparavant, donc ce qu’on mesure c’est un rapport de force, avec des hypothèses, ça rapporte plein d’informations. Mais ni pour nous, ni pour quiconque, un tel sondage est un pronostic ». Et puisqu’il n’y a « aucune règle » permettant de mesurer sans marge d’imprécision « l’effet des sondages », il vaut mieux ne rien en dire. En revanche, on peut sans danger répéter qu’un sondage n’est pour personne « un pronostic », bien qu’il soit presque toujours commenté et analysé comme tel par tous, sondeurs ou journalistes.
La critique (modérée) des sondages est ainsi tolérée… dans la mesure où elle permet aux journalistes de continuer à s’adonner aux joies de la sondologie. Ainsi après avoir avancé plusieurs arguments pour justifier qu’on ne croie pas totalement les sondages (méthodes de redressement, marge d’erreur, échantillon sur Internet), Domenach affirme que « quand tous les instituts notent une percée de Marine Le Pen... » Il ne finira pas cette phrase mais le sous-entendu est clair : on peut les croire. Sur l’écran derrière lui s’affiche la "cote de popularité de Le Pen" : +3 selon untel et untel, +1 selon un autre. Dès lors, il n’est plus question de critiquer les sondages, mais de les commenter de plus belle : Domenach dira ainsi qu’à droite, « on ne s’attendait pas à ce que Marine Le Pen puisse arriver devant  ». Puis : « La novice, l’apprentie, la débutante, se confirme de sondage en sondage ». Et pour terminer, il nous invitera à observer avec attention la courbe de popularité de Nicolas Sarkozy.
Quand la presse sonde les sondeurs...
... Les mêmes « tendances » (recours aux explications des « spécialistes », c’est-à-dire des sondeurs eux-mêmes, critique semi-lucide des sondages accompagnée néanmoins de commentaires des résultats…) se retrouvent dans les articles de la presse écrite.
-  Ainsi, pour bien cerner la question, le JDD.fr fait-il appel à un expert dont l’analyse ne peut être que pleine de bon sens en la personne… du directeur du département opinion de l’Ifop, Frédéric Dabi. Là encore, le mot d’ordre : « prudence ». Dabi fait ainsi remarquer que l’« information » donnée par les sondages n’est « en rien "prédictive" » et le JDD nous explique pourquoi [3].
Et après s’être ainsi mitraillé les pieds, l’article se livre… au plus basique des commentaires de sondages, toujours flanqué de Frédéric Dabi : « 28% des sondés déclarent qu’ils voteraient pour le patron du FMI si le premier tour avait lieu aujourd’hui, contre 23% pour Nicolas Sarkozy et 18% pour Marine Le Pen. Et nombreuses sont les études qui vont dans ce sens. Une première donc dans l’histoire de la Ve République. »
- Dans Libération, cette fois, on interroge le directeur général adjoint du CSA, Jérôme Sainte-Marie, qui, loin de se livrer à une critique des sondages, dont la plupart relèvent du travail de « gens sérieux » (à l’image de Jérôme Sainte-Marie), préfère développer une critique du sondage de... son concurrent direct, et se lance dans une attaque en règle des méthodes employées par Harris Interactive [4].
-  Le Monde dédie quant à lui une de ses « contre-enquêtes » aux questions suivantes : « Comment les sondages sont-ils fabriqués ? » ; « Les études d’opinions faussent-elles le fonctionnement du débat démocratique ? » ; « Faut-il les encadrer plus sévèrement ? ». Sans surprise, le dossier ne donne la parole qu’aux sondeurs, ou presque. Et s’il donne des éléments de réponse à la première question, il ignore complètement la deuxième – sans doute n’avait-elle pas d’intérêt. La troisième est elle aussi négligée, mais la tribune de Roland Cayrol publiée en page « Débats » en traite directement – tribune qui ne ménage pas sa peine, ni celle du lecteur, pour expliquer qu’il est « inutile de légiférer sur la question des sondages ». La conclusion vaut son pesant d’or : Cayrol propose « d’inscrire la publication des sondages dans une réflexion adulte. Pour que la prochaine présidentielle ne soit pas vécue comme une simple course de chevaux. » Et qu’importe si l’épidémie de sondages concourt à cette mise en scène qui est loin d’être un simple « vécu » !
Le quotidien de référence fait ainsi appel à une panoplie complète de sondeurs : Jérôme Sainte-Marie, de CSA ; Jérôme Fourquet, de l’IFOP ; Jérôme Jaffré, ancien vice-président de la Sofres et directeur du Centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique ; Patrice Bergen, président de Syntec Études Marketing et Opinion ; Jean-Marc Lech, le fondateur d’Ipsos ; Pierre Weill, le fondateur de la Sofres ; Edouard Lecerf, de TNS Sofres.
La troupe des sondeurs pseudo-critiques mise à part, les articles ne s’appuient pour porter la contradiction que sur les deux sénateurs ayant déposé une proposition de loi pour encadrer la publication des sondages, ainsi qu’un professeur en sciences politiques, Loïc Blondiaux... dont le quotidien ne retient que la critique de la constitution des panels. Enfin, dans un article intitulé « Bulles sondagières, marges d’erreurs et effets pervers », on croise Patrick Lehingue, auteur de Subunda. Coups de sonde dans l’océan des sondages [5] qui démonte les sondages de façon autrement plus approfondie que dans l’unique phrase que Le Monde a retenue. Pour ne pas tarir son enthousiasme sondagier ?
Dans l’article principal, les critiques de Bourdieu sont rapidement évoquées et oubliées tout aussi vite : « Citant le titre d’un article publié par Pierre Bourdieu en 1973, certains expliquent ainsi que "l’opinion publique n’existe pas". L’idée est que ceux que le sociologue appelait les "doxosophes" (ceux qui discourent sur l’opinion) considèrent comme une donnée ce qui n’est qu’un "artefact", une construction. Ils font valoir que les sondés sont invités à prendre position sur des opinions qui leur sont soumises mais ne correspondent pas nécessairement aux questions qu’ils se posent ». Ayant cité cet article réduit à une « idée » ainsi résumée, Le Monde considère sans doute avoir fait le tour de la question. Il n’y reviendra pas.
C’est en effet aux sondeurs, pour l’essentiel, de répondre aux inquiétudes du Monde sur la fiabilité et le rôle des sondages. Dans l’article « Bulles sondagières, marges d’erreurs et effets pervers  », Pierre Weill défend l’indéfendable : selon lui « publier des marges d’erreur n’a aucun sens ». Et pourquoi donc ? Parce que, dit-il, « cela n’aurait de sens que si les opinions étaient solidifiées ». Or, rappelle-t-il, « les opinions sont d’intensité variable, la plupart des gens répondant à des questions dont, au fond, ils se moquent éperdument ». Ironie de l’histoire, ce sondeur, pour défendre la cuisine sondagière, reprend, selon toute probabilité sans le savoir et sans le vouloir, l’un des arguments de Pierre Bourdieu contre la signification attribuée aux sondages d’opinion !
Quand les médias ne sondent pas les sondages...

Mais pourquoi tout à coup ces « questionnements » sur la méthode, ces « critiques » ? Pourquoi sur ce sondage en particulier ? Rendons justice au Parisien : il n’a fait que son devoir – celui auquel la plupart de ses confrères qui font aujourd’hui les gros yeux s’astreignent à longueur d’années : commander et publier, à jets continus, des sondages fort douteux, aussitôt promus en « Une » et commentés comme des oracles. En s’en tenant aux deux ou trois années précédentes [6], les occasions de s’indigner, de s’interroger, ou de « faire polémique », comme ils disent, n’ont pourtant pas manqué…
Interroger des panels ridicules ou tester des hypothèses farfelues n’a en effet rien d’inédit. Depuis la dernière élection présidentielle, les sondeurs ont d’abord tenté de « rejouer le match ». Et cela a commencé dès le mois d’octobre 2007 dans Marianne, qui affirmait, sur la base d’un sondage CSA, que « si le second tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, 56% des français voteraient Nicolas Sarkozy et 44% Ségolène Royal. Et si elle avait été élue à la place de Nicolas Sarkozy, 65% des Français considèrent que la situation économique et sociale ne serait actuellement ni meilleure, ni moins bonne. » Cela, en effet, valait bien un sondage. À peine un mois plus tard, le JDD publiait un sondage Ifop annonçant que «  si l’élection présidentielle devrait avoir lieu dimanche prochain et opposer les mêmes 12 candidats qu’au printemps, Nicolas Sarkozy obtiendrait 35% des intentions de vote au premier tour, soit 4 points de plus que son score réel du 22 avril ».
Depuis 2008, ils ont ensuite tenté, et tentent toujours, de déterminer les meilleurs candidats pour 2012. Sans doute, comme le disait Roland Cayrol dans sa tribune au Monde, « pour que la prochaine présidentielle ne soit pas vécue comme une simple course de chevaux. » Les sondages érigeant Dominique Strauss-Kahn en « meilleur candidat socialiste » (Ifop pour le JDD, 28 septembre 2008 ; Viavoice pour Libération, 8 décembre 2008 – entre autres...) se sont ainsi multipliés. Ainsi que d’autres se demandant si « les Français » souhaitaient que Nicolas Sarkozy se représente en 2012, à l’image du sondage CSA publié dans Marianne en... septembre 2008.
Et depuis la « polémique », où l’on a gravement parlé de transparence, de méthode, de rigueur et de sérieux – mais pas de la responsabilité des médias dans la place et le poids des sondages dans la vie politique ? Depuis... les affaires reprennent. Qu’on en juge...
-  « Quel suspense ! », annonce fébrilement France Soir le 11 mars 2011, avec un sondage donnant Strauss-Kahn en tête. Mais, dans un accès subit de lucidité, le quotidien discerne tout de même «  la vérité centrale de notre sondage : il est impossible, aujourd’hui, de savoir qui seront en 2012 les finalistes de la présidentielle  » ! Malheureusement pour France Soir, il est probable qu’on lui ait facturé fort cher cette « vérité centrale »... Mais le quotidien fait contre mauvaise fortune bon cœur : « Simple "photographie" de l’opinion, rappelons-le. Beaucoup de choses bougeront encore. Mais il s’agit déjà d’une ″photographie″ éclairante ».
-  Quant au Monde, en plus de reprendre les dépêches annonçant les sondages des concurrents, il ne trouve rien de mieux à faire que de s’associer à la publication d’un sondage réalisé par Ipsos pour Europe 1. Mais, « quotidien de référence » oblige, Le Monde propose de livrer « les secrets de fabrique d’un sondage politique ». De son coût (10 000 €) à la constitution du panel, tout semble y passer, sauf les résultats bruts et les redressements. La raison ? « Brice Teinturier n’a pas souhaité le faire dans le cas du sondage que nous publions. » Et une fois la méthodologie du sondage analysée, on confie à Françoise Fressoz le soin d’en tirer tous les enseignements nécessaires [7].
-  Et pourtant, des télescopages entre sondages, laissant entrevoir avec beaucoup d’éloquence le « sérieux » de leurs résultats, tendent vainement des perches à des journalistes en mal de critique. Ainsi le 14 février L’Express, titrait-il dans un article : « DSK poursuit sa chute dans les sondages », et explique : « Dans la dernière livraison du baromètre Ipsos pour Le Point, Dominique Strauss-Kahn perd 7 points à 51% et se place à la 5e place du classement des politiques les plus populaires. » Vraiment ? Pourtant, le même jour, quelques heures plus tard, une dépêche AFP tombe : « Le président du FMI, Dominique Strauss-Kahn, est au top du palmarès des personnalités les plus populaires de Paris Match/Ifop rendu public lundi avec 79% d’opinions positives ». DSK était-il au sommet de sa chute ?
-  Quant aux méthodes elles-mêmes, force est de constater qu’elles n’ont jamais soulevé la moindre interrogation avant le fameux sondage du Parisien. Il n’est qu’à regarder ce sondage CSA réalisé en janvier dernier sur les primaires et la présidentielle et sa critique sur l’observatoire des sondages. Ou encore celui-ci, réalisé par l’Ifop pour France Soir, également relevé par l’Observatoire des sondages, à propos des primaires du PS : après que 58% des sondés ont dit n’avoir pas l’intention de voter aux primaires, 100% des sondés se voient interrogés sur le candidat pour lequel ils voteront. Finissons avec celui-là, réalisé par Harris pour Marianne, où Fillon l’emporte sur Aubry et où l’abstention n’est pas prise en compte. Échantillon volontaire interrogé en ligne, promesse de gratification pour les participants… tous les biais du sondage que le même institut Harris a réalisé dans Le Parisien sont là. Ils n’ont pourtant souffert, à notre connaissance, aucune contestation.

***
De ce petit épisode, l’on peut déduire ce mode d’emploi médiatique des sondages par temps de campagne présidentielle (c’est-à-dire par tous les temps) : commander, publier et commenter sans retenue. Si un sondage grippe la machine (biais trop voyants, résultats non-conformes...), convoquer quelques amis sondeurs pour réfléchir avec eux à leur méthodologie et au moyen de faire comprendre à l’opinion la nécessité d’une prudence dont personne ne fait usage en temps normal. Et surtout, surtout, ne jamais poser les questions de la signification des sondages, de leur rôle dans la dépolitisation, la personnalisation, l’assèchement du débat public, et de la responsabilité des médias dans leur prédominance. Ou à la rigueur, si l’on tient, comme au Monde, à poser la question, ne pas fournir le moindre élément de réponse.
Frédéric Lemaire, Franz Peultier, Olivier Poche

Notes

[1] Selon deux titres du monde.fr : « Un nouveau sondage illustre la dynamique Marine Le Pen », publié le 6 mars. Puis, quatre jours plus tard, nouveau sondage, « nouveau » titre : « Un nouveau sondage confirme la dynamique de Marine Le Pen et distingue DSK ». Des sondages qui illustrent surtout la « dynamique » des sondeurs et confirment celle de leurs commanditaires.
[2] Ainsi dans le dernier sondage en date, celui offert au débat public par France Télévisions au soir du second tour des élections cantonales, et qui donne « Marine Le Pen au second tour dans tous les cas de figure », « Ipsos relève par ailleurs que le choix est définitif pour un peu plus de la moitié des sondés ». Et le Parisien de se féliciter : « Enquête après enquête, la tendance révélée par un sondage du Parisien-Aujourd’hui en France qui, le premier, avait placé la présidente du FN en chemin pour le second tour, est confortée ».
[3] « À quatorze mois de la présidentielle, l’offre électorale n’est pas encore connue dans sa globalité [...] D’autre part, il est encore trop tôt pour mesurer des dynamiques concrètes ». Et Frédéric Dabi de mettre les points sur les « i » : « Pour cela, il faut attendre les dernières semaines avant l’élection. Actuellement, les Français s’intéressent à 2012, mais ne sont pas dans un contexte présidentiel ».
[4] « Ce sondage me laisse sceptique [...] Un choix éditorial a été fait : il fallait absolument avoir Marine Le Pen devant au premier tour [...] . Jean-Daniel Lévy (de l’institut Harris Interactive) s’est déjà associé à des sondages qui se sont révélés totalement faux mais qui ont bénéficié d’une reprise médiatique intense [...]. Trop c’est trop : soit on ment délibérément pour avoir de la reprise médiatique, soit on essaie d’être sérieux, et là, forcément c’est moins sexy. On se bat comme des diables pour montrer que les sondeurs sont des gens sérieux, et là, le bonhomme nous ridiculise ».
[5] Éditions du Croquant, 2007. Voir ici pour une présentation de l’ouvrage.
[6] Des exemples piochés notamment sur le site « Sondages Présidentielle 2012 ».
[7] Dans un article intitulé « DSK en tête pour 2012 », où l’on apprend par exemple que « la poussée de Mme Le Pen contribue sans doute à susciter à gauche le vote utile ».

http://www.acrimed.org/article3564.html

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