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31/03/2011

L’écolabel de WWF : développement vraiment durable ou simple greenwashing ?

Simon Gouin 

Peut-on faire confiance au caractère écolo des produits labellisé par le célèbre Panda de WWF ? A défaut de prôner un changement radical, faut-il aider les grandes entreprises à verdir un peu leurs activités ? C’est la stratégie qu’a choisi le WWF, organisation internationale de protection de l’environnement. Les partenariats qu’il signe avec des grandes marques permettent à celles-ci de vendre des produits labellisés, à peu de frais, moyennant des changements de comportement assez modestes. Enquête.
C’est un bel écran plat, fabriqué par Sony. Il consomme 50% d’électricité de moins que la plupart de ses collègues, a un bouton d’arrêt total, qui permet de ne pas le laisser en veille 24h/24, est titulaire d’un écolabel européen et a été soutenu par le WWF lors d’une campagne promotionnelle de quatre mois, fin 2009. Depuis 14 ans, le WWF, organisme de protection de l’environnement, a en effet choisi de travailler avec le monde de l’entreprise.
Une orientation décidée au niveau international et déclinée par les 48 bureaux nationaux de l’association sous la forme de partenariats stratégiques et de partenariats produits. « Pour les partenariats produits, on prête notre logo à une entreprise pour qu’elle valorise un produit qui a un intérêt écologique démontré, explique Julia Haake, directrice des partenariats entreprises de WWF France. Un logo bien connu des consommateurs, selon elle… et des services marketing toujours prêts à soigner leur image écolo-responsable.
Une communication efficace
Sur son site Internet, le WWF souligne les avantages à devenir « partenaire d’une ONG internationale ». Sont mis en avant la « Crédibilité scientifique, le premier critère d’information et de réassurance est la présence d’un label environnemental », suivie de la « Communication pour que l’entreprise partenaire profite de l’image du WWF et du logo Panda » et enfin la « Confiance et force du label Panda ». Le WWF estime que 73% des Français continuent à faire confiance aux labels de certification sociale et environnementale[…] et que le degré de confiance véhiculé par leur logo est de 84%.
Ainsi, en apposant son logo, un petit panda, sur un produit, le WWF certifie au client que l’objet est plus respectueux de l’environnement. De l’huile d’olive biologique aux tee-shirts en coton bio, en passant par des copieurs et photocopieurs, et l’écran plat : une quarantaine de produits sont appuyés par WWF France. « On ne peut pas mettre le logo sur n’importe quel produit, note cependant Julia Haake. Nous avons tous les mois entre 20 et 30 demandes. On refuse beaucoup de partenariats. » ... La question est de savoir sous quelles conditions, le WWF exerce sa drastique sélection.
Les grosses entreprises : solution à la crise ?
Le WWF France travaille main dans la main avec 13 entreprises. La plus ancienne : Carrefour, dont le partenariat a été signé en 1998. Les plus récentes : une école de commerce de Nantes, Audencia, Lafarge et le Crédit Agricole. Orange, La Poste, Lafuma, Rainett, Castorama et Ikea bénéficient eux aussi du soutien de WWF. Ces très grosses entreprises ont été choisies pour leur volonté de s’engager dans une démarche de réduction de leur empreinte écologique et pour leurs marges de manœuvre. « Les entreprises sont des acteurs qui sont sources d’impacts environnementaux, explique Julia Haake. Mais elles sont surtout sources de solutions. Donc, pour nous, il est indispensable d’engager cet acteur vers des solutions à la crise écologique. »
C"est ainsi qu’en réponse à la crise, le vertueux groupe Carrefour ne vend plus que de l’huile de palme certifiée Greenpalm dans ses produits distributeur, a stoppé la commercialisation de thon rouge et ne propose plus que du bois certifié. Ikea promeut le covoiturage. Castorama a réduit de 50% son linéaire d’herbicides. Orange a lancé un programme d’allongement de la durée de vie des téléphones mobiles, etc. « Outre les progrès dans ces entreprises, quand l’une d’entre elles prend une décision, cela démontre à un secteur dans son ensemble des solutions et des voies concrètes », ajoute Julia Haake toujours très optimiste.
Des pratiques écolos limitées
Reste à savoir ce que contient le cahier des charges. Concernant le bois certifié, par exemple, il a été démontré que les labels apposés sur certains produits cachent des pratiques plus que douteuses ! « Quand Biocoop stoppe sa commercialisation de l’huile de palme, c’est bien, mais ce sont des volumes infinitésimaux, argumente Jacques-Olivier Barthes. Quand Carrefour agit, même peu, cela concerne 34 pays ! 28 millions de Français s’y rendent chaque mois. Donc, il y a une question d’échelle. Et ça, ça désarme pas mal de critiques… »
Car les critiques, en effet, sont nombreuses. À commencer par cette soi-disant force de frappe internationale. Carrefour a bien retiré de ses ventes le bois non-certifié, notamment pour le mobilier de jardin. Ces produits ont été remplacés par du bois certifié FSC, et labellisé par le Panda du WWF. Mais uniquement en France, en Belgique et en Italie, des marchés dits « écosensibles ». C’est ce qu’affirme Sylvain Angerand, chargé de mission aux Amis de la Terre. La raison ? « En Chine, par exemple, où Carrefour est présent, les consommateurs sont réputés moins regardants sur ces questions écologiques », indique-t-il.
De simples opérations marketing
« Je ne suis pas tous les jours dans les supermarchés chinois », répond Julia Haake convaincue que « quand Carrefour s’engage en France, les décisions qui sont prises ici valent pour l’ensemble du monde ». Pourtant Carrefour, qui répond prudemment par écrit, assure que « pour les problématiques mondiales comme l’huile de palme, le bois ou le respect des ressources marines, les décisions s’appliquent à tous les pays du groupe où les produits concernés sont commercialisés, en tenant compte du contexte local et de la réglementation en vigueur ».
D’après le rapport développement durable 2006 du géant français de la distribution, il semblerait que seuls trois pays européens aient un contexte local adapté à la vente de produits certifiés FSC. Difficile, dans ces conditions, de ne pas y voir un simple coup de marketing visant à attirer une clientèle qui, sans ces produits d’appel, aurait tendance à bouder les supermarchés. La politique de Carrefour de remplacement du keruing, une essence tropicale exploitée illégalement, semble suivre cette même logique de pur marketing. C’est en effet l’eucalyptus qui a été choisi pour remplacer le keruing.
Greenwashing versus croissance des entreprises
Surnommé l’arbre de la soif en Amérique Latine où on l’exploite abondamment, l’eucalyptus assèche les rivières et les sources d’eau potable. Il est aussi source de conflits fonciers et sa monoculture entraîne une réduction de la biodiversité des zones où il est implanté. De plus, le mobilier en eucalyptus est fabriqué au Viêt-Nam, où les coûts de main-d’œuvre sont encore plus bas qu’en Chine. Avant d’arriver en France, les chaises de jardin dotées du petit panda WWF ont donc bien voyagé, et ont montré « leur intérêt écologique dans les sociétés traversées » !
« Les certifications sont devenues des écrans de fumée très utiles pour ne pas remettre en cause la surconsommation, c’est-à-dire les stratégies de croissance des entreprises comme Carrefour », regrette Sylvain Angerand. « Souvent, l’entreprise cherche à se donner bonne conscience en se faisant "repeindre en vert" alors que notre objectif est de la pousser à aller plus loin », reconnaît Daniel Richard, l’ancien président de WWF France, dans un texte sur les partenariats entreprises.
Vigilance ?
« Une entreprise qui avance cherche toujours à valoriser ses actions, réagit prudemment Julia Haake. Toute la question est de savoir si ses actions sont vraiment bonnes pour l’environnement. » Le WWF dit veiller à ce que son image ne soit pas utilisée pour verdir une entreprise. Pour cela, l’organisation vérifie chaque utilisation de son logo. « Toute communication venant de l’entreprise, utilisant notre logo, notre nom, doit être validée par nous, ajoute la directrice des partenariats. Franchement, il n’y a pas d’abus, même s’il peut y avoir des maladresses, comme avec les publicités. »
Au sein du WWF, c’est Jacques-Olivier Barthes, directeur de la communication, qui se charge de la vérification des publicités. D’ailleurs, cela tombe bien, il est aussi le porte-parole de l’Observatoire Indépendant de la Publicité, chargé d’épingler publiquement les publicités coupables de greenwashing. Sous sa casquette de l’OIP, il condamne. Sous celle du WWF, il conseille. Une position délicate. « Tout partenaire du WWF peut se faire épingler », précise-t-il avant de rappeler que le WWF a remis, avec d’autres associations, le Prix Pinocchio de l’entreprise la plus faussement développement durable au Crédit Agricole… lequel est partenaire du WWF France, depuis février 2010.
Une politique de partenariat national indépendante ?
Autre partenariat problématique, celui entretenu avec le cimentier Lafarge. « Le WWF a critiqué le projet d’extraction de sable de Lafarge à Quiberon, précise Jacques-Olivier Barthes. Nous avons eu trois réunions de crise ici. » Alain Bonnec, le porte parole du collectif Le peuple des dunes, qui a lutté contre le projet de Lafarge n’a, semble-t-il, pas été mis au courant : « Nous avons contacté le WWF à plusieurs reprises, se souvient-il. Un employé nous a dit qu’ils étaient sensibles à notre lutte. Mais personne ne nous a parlé d’une intervention officielle. Ils l’ont peut être fait en privé. » Face à la mobilisation, le projet d’extraction a finalement été suspendu, en 2009.
« Le partenariat stratégique global avec Lafarge est géré par notre bureau international, explique Julia Haake. Mais nous avons un partenariat local, en France, où l’on travaille sur les questions de l’eau et de la biodiversité. » Ouf, on est rassuré ! Cette indépendance fait que chaque bureau national aurait la possibilité de refuser de décliner localement un partenariat. « Il peut même refuser à l’entreprise de communiquer sur son territoire, ajoute Julia Haake. C’est le cas avec Coca-Cola en France. » Le rapport développement durable de Coca-Cola France mentionne pourtant son partenariat avec le WWF, sans distinguer les branches internationale et française de l’organisation environnementale. Et en mentionnant son action, très controversée, de compensation en eau autour de ses usines indiennes.
Une aubaine financière
Le WWF affirme disposer d’autres outils pour mettre la pression sur les entreprises. D’abord, faire jouer la concurrence. « En janvier 2008, on a appelé à suivre la décision d’Auchan d’interdire le thon rouge dans ses magasins, raconte Jacques-Olivier Barthes. Six mois plus tard, Carrefour a pris la même décision. » Ensuite, menacer de rompre un partenariat, coûteux en terme d’image pour l’entreprise. En 2008, lors de sa fusion avec Suez, Gaz de France a ainsi été éjecté du partenariat, pour cause d’activités nucléaires. Le nucléaire, comme la pornographie, le tabac, l’armement ou les OGM, font partie de la liste noire du WWF. Il arrive pourtant que Carrefour vende des produits contenant des OGM...
En même temps, comment critiquer librement ses partenaires quand ils assurent des revenus financiers ? Chaque entreprise donne en moyenne 230.000 euros au WWF pour obtenir son partenariat stratégique. Le WWF s’est fixé comme règle que la somme totale récoltée grâce aux partenariats entreprise ne dépasse pas 30% du budget. Ce qui représente tout de même une part non négligeable ! Ajoutons que 90% des sommes versées vont dans les caisses de la Fondation. Ce qui permet aux donateurs de défiscaliser cet argent : une véritable aubaine !
Un CA issu du monde de l’entreprise
« Depuis sa création, en 1961, le WWF a une relation très forte avec le monde économique, explique Denis Chartier, maître de conférences en géographie à l’université d’Orléans et corédacteur en chef de la revue Écologie et Politique. Les responsables de l’organisation étaient notamment des personnes issues de l’industrie métallurgique, du secteur pétrolier ou de l’industrie du tabac. » Cette tendance est toujours visible de nos jours. En 2008, une grande partie des membres du conseil d’administration de WWF International sont des dirigeants d’entreprises commerciales ou industrielles.
On trouve notamment le vice-président du groupe Roche Basel, l’une des plus importantes multinationales pharmaceutiques au monde et la première en Europe, l’un des directeurs de Godrej & Boyce Manufacturing Co Ltd, l’une des premières entreprises indiennes de produits de consommation courante et d’ingénierie et le directeur de la Banque Sarasin & Cie SA, l’une des premières banques privées de Suisse. Ainsi, de nombreux membres du conseil d’administration de WWF sont liés à des entreprises qui s’inscrivent dans « des processus de mondialisation des échanges et d’un productivisme marchand à l’origine des problèmes environnementaux contemporains », précise Denis Chartier.
Verdir plutôt que réformer en profondeur
Pas question, donc, de critiquer la logique de croissance perpétuelle inhérente à nos sociétés de consommation. « Le WWF choisit plutôt de réformer, de changer les choses de l’intérieur, plutôt que de développer une pensée politique impliquant des changements profonds et radicaux de société  », précise Denis Chartier. En mai 2009, en pleine crise économique, l’ONG a ainsi soutenu le premier salon du luxe et du développement durable. Avec des exposants d’éco-hôtellerie, de la mode, de la joaillerie, ou des nouvelles technologies. L’événement a été renouvelé en mai 2010.
« On est bien loin ici d’une critique des méfaits de la société de consommation et l’on peut se demander si on ne permet pas ici à certaines entreprises de s’offrir une façade verte sans qu’il leur soit nécessaire de remettre en question de système qu’elles alimentent », écrit Denis Chartier. Il est clair qu’on est là plus près du délit de greenwashing que de la volonté farouche d’en finir avec un système économique qui détruit les hommes et la planète.

http://www.bastamag.net/article1481.html

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