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27/03/2011

La France, terrain de jeu d'évasion fiscale pour UBS ?

François Krug 

"Des témoignages et documents font état de pratiques mystérieuses chez UBS. Pour tromper le fisc ?

Les activités d'UBS commencent à intriguer la police, les autorités bancaires, mais aussi les prud'hommes. Les juges du travail ont en effet été saisis par d'anciens salariés de la banque. Ceux-ci estiment avoir été licenciés pour s'être montrés trop curieux sur les liens entre la maison-mère suisse et sa filiale française.
Silence sur toute la ligne : ni UBS, ni ces anciens salariés n'ont souhaité nous répondre. Eco89 a néanmoins pu recueillir des témoignages et des documents étonnants, s'ajoutant à ceux publiés en 2010 par Marianne et par Charlie Hebdo. Les témoins interrogés, anciens ou actuels salariés d'UBS, ont souhaité rester anonymes.
Selon eux, UBS aurait mis en place entre 2002 et 2007 un système de double comptabilité pour dissimuler des comptes suisses non-déclarés. Et des pratiques inspirées de James Bond pour échapper aux douaniers et aux inspecteurs du fisc. Des conseillers financiers suisses auraient en effet eux-mêmes démarché des « prospects » (des clients potentiels) et fait des affaires sur le territoire français. Or, la législation l'interdit formellement : toutes les opérations auraient dû passer par des conseillers français. Et être déclarées au fisc.

Des consignes pour ne pas se faire prendre

« Pour les Suisses, c'était un jeu », résume un ancien cadre. Un jeu consistant à ne pas se faire reconnaître, à ne pas laisser de traces et à ne pas se faire prendre. Eco89 a ainsi pu consulter plusieurs doubles jeux de cartes de visite appartenant à des conseillers financiers suisses : la carte utilisée en France ne portait plus le logo et les coordonnées d'UBS, juste un nom et un numéro de téléphone.
Pas question, non plus, de faire apparaître les noms des clients. Dans les échanges d'e-mails que nous avons pu consulter, les commerciaux suisses et français se contentaient de formules vagues pour évoquer les rendez-vous avec leurs clients : « Nous avons rencontré une connaissance commune », ou encore « Je viens de mener une discussion avec quelqu'un à qui j'ai recommandé de vous contacter ». Surtout pas de noms.
Téléchargez le document d'UBS sur la FranceLes règles du jeu ont même été précisées noir sur blanc. Eco89 s'est procuré le « Country Paper » consacré par UBS à la France, et destiné aux conseillers financiers suisses. Un document rappelant ce qu'il est permis de faire ou non de l'autre côté de la frontière, mais semblant confirmer que les Suisses se rendant en France n'y faisaient pas que du tourisme. Exemple des consignes données :
« La documentation contractuelle UBS devrait dans la mesure du possible être conclue et signée hors de France. Le conseiller en voyage ne doit pas emporter les documents contractuels signés. Ces documents doivent être directement envoyés en Suisse. […]
En voyage, les employés de UBS doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver la confidentialité financière du client. » (Voir le document)
Des formations auraient même été dispensées aux conseillers suisses se rendant à l'étranger. Voici quelques-uns des conseils qui auraient été donnés à ces VRP clandestins, selon l'un d'entre eux :
  • à la douane : « Comment réagir si vous êtes contraints de montrer le contenu de votre PC ? Pas de problème si vous n'avez aucune donnée sur des clients ou des prospects. Si vous transportez des données sensibles, tapez trois fois un mauvais code PIN et l'accès sera bloqué (cela marche avec la plupart des portables UBS ! ). » ;
  • une fois sur place : « N'utilisez pas les hôtels utilisés par la plupart des autres employés de banque (par exemple, le Hilton) », « Essayez d'être aussi imprévisible que possible (changez de restaurants, de compagnies de taxi, de lieux de rendez-vous avec les clients…) », « Une fois arrivé, ce n'est pas un problème d'avoir des données sensibles dans votre portable, mais n'oubliez pas de les effacer avant de traverser la frontière ».

Une division spécialisée dans les « people »

Comment séduire les « prospects », et inciter les clients existants à rester fidèles à UBS ? Selon les témoignages et les documents que nous avons recueillis, la banque aurait misé sur le sport et la culture. Des secteurs dont elle a longtemps été un des principaux sponsors, jusqu'à ce que la crise financière l'oblige à réduire ses dépenses. Un ancien responsable d'UBS France raconte :
« Si vous aviez un prospect qui aimait le bateau, vous l'emmeniez à Valence, pour le golf à Evian, pour la musique à Verdier… »
Exemple : en novembre 2007, UBS parraine un concert du Verbier Festival Orchestra à Lyon, présenté comme « l'événement musical de la saison ». Les places sont rares, mais les clients de la banque sont gâtés. Selon des documents internes, la liste des invités français a été rédigée en partie en Suisse. Parmi eux, le patron d'une société spécialisée dans l'immobilier d'entreprise, celui d'un laboratoire pharmaceutique, un fabriquant de prothèses médicales, mais aussi un médecin généraliste et même un huissier de justice.
UBS ne draguait donc pas que des multi-milliardaires comme Liliane Bettencourt, la cliente la plus célèbre de la banque. Selon un ancien cadre, le mécanisme du « carnet du lait » était largement ouvert aux « petites » fortunes, regroupées dans un segment de clientèle baptisée « Core affluent ». Des patrons de PME, des cadres ou des professions libérales, ayant entre 250 000 et 3 millions d'euros à placer :
« C'est même plus rentable d'avoir des petits comptes. Les commissions sont plus élevées et on peut proposer des solutions préfabriquées. Les grands clients peuvent négocier. Ils vont gratter sur les frais, ils veulent du sur mesure et il faut bosser plus. »
Pas question, pour autant, de se priver des « people ». UBS France disposait ainsi d'une division spécialisée, baptisée « Sport Entertainment Group ». Selon plusieurs sources, la liste des clients et des « prospects » comprenait notamment un ancien joueur de football reconverti en agent, mais aussi plusieurs membres de l'équipe de France historique, celle du Mondial de 1998.

Un informateur anonyme accuse

Officiellement, UBS France ne s'est jamais associé à de telles pratiques. C'est ainsi ce qu'a assuré à ses troupes le nouveau président d'UBS France, Thierry de Chambure, après la publication d'articles dans Marianne et Charlie Hebdo. Dans un e-mail aux salariés, il dénonce une « tentative de déstabilisation » et l'assure : « UBS France n'a ni mis en œuvre, ni participé d'aucune manière à un quelconque système d'aide à l'évasion fiscale. »
Les différentes procédures en cours inquiéteraient néanmoins UBS, selon des sources internes. Pas question de subir en France une nouvelle affaire Bradley Birkenfeld. Les révélations de cet ancien employé américain avaient provoqué une crise diplomatique entre les Etats-Unis et la Suisse, et UBS avait dû livrer une liste d'environ 4 500 fraudeurs. Un coup dur pour le secret bancaire.
Les prud'hommes de Paris sont les premiers à se pencher sur le dossier. A la marge, puisqu'ils doivent simplement se prononcer sur le bien-fondé de licenciements. Jeudi dernier, ils examinaient le cas d'un ancien responsable de l'audit interne d'UBS, qui s'était étonné de trous dans la comptabilité. Trois autres anciens d'UBS France suivront : le directeur d'une agence régionale en mai, et deux conseillers de clientèle en juin.
Un autre conflit du travail embarrasse UBS. Selon nos informations, le parquet de Paris a confié une enquête préliminaire à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne. Une cadre toujours en poste accuserait UBS de l'avoir mise au placard pour la faire taire. Les policiers auraient déjà entendu plusieurs salariés de la banque.
Dernière tuile pour UBS : l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le « gendarme » du secteur bancaire, mène depuis décembre une mission d'inspection au siège parisien de la banque. S'agit-il vraiment d'une inspection de routine, comme l'ACP en mène régulièrement ? « Nous ne commentons jamais les dossiers individuels des banques », répond sa porte-parole.
En tout cas, les inspecteurs de l'ACP ont déjà eu une surprise : comme l'a révélé La Lettre A, un informateur anonyme leur a adressé un étrange dossier. A l'intérieur, selon nos informations, un long courrier évoquant une comptabilité parallèle, documents confidentiels à l'appui. Mais aussi une liste de cadres ayant eu la responsabilité du système… et de clients en ayant bénéficié.

Des chiffres cachés dans un « carnet du lait »

Tous nos témoins évoquent un mystérieux « carnet du lait ». Une référence aux alpages suisses, où les propriétaires de vaches utilisaient ce carnet pour tenir leur comptabilité. Dans le carnet d'UBS, le lait aurait été remplacé par de l'argent circulant entre la France et la Suisse, sans être déclaré au fisc.
Selon plusieurs cadres l'ayant utilisé, le « carnet du lait » aurait servi à enregistrer les mouvements entre des comptes légaux en France et des comptes non-déclarés en Suisse. Et à calculer les bonus des conseillers financiers : ceux-ci devaient être rémunérés sur l'ensemble de l'argent qu'il faisait rentrer dans les caisses, pas seulement sur celui enregistré dans la comptabilité officielle. Un ancien utilisateur du carnet raconte :
« C'était simplement un cahier de type Clairefontaine, que l'assistante du responsable de chaque desk ramassait. Les chiffres étaient ensuite entrés dans un fichier Excel intitulé “Vache” [Eco89 a eu accès à des e-mails contenant effectivement un fichier “Vache.xls”, ndlr]. On y trouvait juste le nom du CA [“client advisor”, conseiller financier, ndlr] qui apportait le business, le nom du client, le montant et la date. Tous les trimestres, la direction générale d'UBS France rencontrait celle d'UBS SA [la maison-mère suisse] pour comparer leurs chiffres. »
Un système quasi-artisanal, qui aurait été abandonné fin 2007 ou début 2008. Aux Etats-Unis, l'affaire Birkenfeld faisait trembler UBS. En France, le ministre du Budget, Eric Woerth, s'engageait à lutter à son tour contre l'évasion fiscale. Le « carnet du lait » serait alors devenu trop dangereux.
Etrangement, les salariés français d'UBS ne semblaient pas se poser beaucoup de questions. L'un d'entre eux se justifie :
« C'était comme une start-up. Vous êtes pris dans une espèce de climat envoûtant et puisque vous travaillez pour le numéro un, vous vous dites qu'ils ne peuvent pas vous faire prendre de risques énormes. »
Avec la crise financière, ce climat « envoûtant » est devenu pesant. D'autant qu'à l'été 2007, un audit interne aurait mis en évidence un décalage étonnant entre le montant des opérations enregistré par le service de gestion et le service commercial de la banque : certains salariés sont pris de doutes.

Des « règles à suivre en cas d'enquête »

L'année suivante, la crise financière contraint UBS France à lancer un plan social : une centaine de salariés - un tiers des effectifs - sont remerciés, avec de gros chèques. « Ils ont purgé la mémoire de la banque », explique un de ces salariés. Et depuis, plus question d'évoquer dans les bureaux d'UBS le fameux « carnet du lait » : officiellement, il n'a jamais existé.
Téléchargez les règles d'UBS en cas d'enquêteUBS France a pourtant pris des précautions. En juin 2009, une note interne annonce que l'accès au siège parisien est interdit aux conseillers financiers suisses. Et la direction juridique adresse aux salariés un document recensant les « règles à suivre en cas d'enquête ». Extraits :
  • « Vous devez coopérer. Ne pas montrer d'hostilité et ne pas faire obstruction à l'enquête » ;
  • « Ne pas montrer trop de déférence. Les pouvoirs des enquêteurs ne sont pas illimités. Faites usage de ces limites, le cas échéant » ;
  •  »Ne rien entreprendre qui pourrait compromettre votre situation (ne pas tenir de propos volontairement erronés ou détruire de document ou alerter toute personne autre que celle(s) mentionnée(s) dans le document d'enquête). » (Voir le document)
Des règles de bon sens, mais étonnantes. Pourquoi un banquier qui n'aurait rien à cacher tiendrait-il des « propos volontairement erronés » ou songerait-il à détruire des documents ?"

http://eco.rue89.com/2011/03/24/la-france-terrain-de-jeu-devasion-fiscale-pour-ubs-195531

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