José Fort
Qui aurait pu prévoir au début du mois de décembre la fin des dictatures sanglantes et corrompues de Tunisie et d’Egypte ? Qui pouvaient pronostiquer que Libyens, au prix d’une répression féroce, Algériens, Yéménites, Jordaniens, Marocains, jusqu’aux Bahreïnis descendraient dans les rues pour exiger le changement ? Les régimes arbitraires civils, militaires, monarchistes sont aux abois.
En Tunisie et en Egypte, ce serait aller trop vite en besogne d’évoquer des « révolutions ». Les systèmes politiques et économiques restent, pour le moment, inchangés. Une première étape a été franchie avec la conquête de la liberté. Elle a ouvert la voie à de possibles transformations révolutionnaires. Mais les hiérarchies militaires, l’administration nord-américaine, les chefs du monde occidental plus généralement, permettront-ils la construction de véritables démocraties enracinées dans le respect des droits de l’homme et de la justice sociale s’attaquant in fine aux forces de l’argent ? « Le despote est parti, nous sommes heureux », répétait un des manifestants du Caire sur les chaînes télé, ajoutant : « Tout commence maintenant. Nous voulons en finir avec le système. »
Qui ont été les animateurs des soulèvements ? Les jeunes générations, sans aucun doute. Des jeunes éduqués, diplômés sans perspective d’emploi, ne supportant plus l’arbitraire, la corruption et réclamant de vivre dans la « dignité ». Ce ne sont pas les pauvres parmi les plus pauvres qui ont déclenché les mouvements mais une frange éclairée des enfants des populations issue des couches moyennes paupérisées.
La modernité ? Internet et les réseaux dits « sociaux » comme Face book ont joué un rôle considérable dans l’organisation des manifestations, certains n’hésitant pas à qualifier les soulèvements populaires de « Cyber révolution ». Les nouvelles technologies de communication trop souvent présentées comme un simple repli sur l’individualisme ont contribué lors des récents événements à informer, rassembler, mobiliser. Il n’est plus possible aujourd’hui de réprimer en silence.
L’intégrisme islamiste ? Il a été dépassé par les événements. Dans ce domaine aussi, l’évolution mérite d’être notée. La perspective d’un pouvoir religieux ne répond pas ou plus aux aspirations de la jeunesse arabe. Ce sont des laïcs qui mènent la lutte.
Les atermoiements de l’Occident et de la Chine ? Barak Obama a compris qu’il était primordial pour les intérêts des Etats-Unis d’accompagner la protestation en exerçant les pressions suffisantes afin de remercier les anciens amis et alliés privilégiés comme Ben Ali ou Hosni Moubarak. Washington a une longue tradition de gestion de dictateurs sur le déclin maîtrisant depuis des décennies l’art de jeter le citron pressé. Quant aux dirigeants chinois, ils ont minimisé l’ampleur de la contestation craignant que Tunis et le Caire donnent des idées à Pékin.
Les dirigeants européens, Français en tête, ont tout faux. Ils n’ont pas pu ou su camoufler leur peur de voir disparaître leurs amis, et pas seulement pour passer des vacances luxueuses et gratuites. Ils n’ont pas vu venir les changements intervenus au sein des sociétés de l’autre rive de la Méditerranée. On se souviendra de Moubarak et de Ben Ali enthousiastes à la proposition de l’Union Méditerranéenne lancée à Paris par Nicolas Sarkozy, un 14 juillet. Une initiative mort-née comme un symbole de l’incompétence d’un pouvoir hexagonal recroquevillé sur le passé et ses relents néocoloniaux. Tous ceux qui ont profité des largesses des régimes dictatoriaux tunisien, égyptien, marocain, jordanien feraient bien d’adopter un profil bas. Ils ont baigné – du PS à l’UMP, des anciens président de la République à l’actuel - dans le jus de la collaboration avec des régimes pourris.
Le monde est en plein chambardement. Nous vivons une époque où l’éthique reprend de la valeur, le partage des richesses devient une exigence, la liberté et la démocratie une donnée universelle. Ceux qui ne sauront pas le comprendre peuvent faire leurs valises.
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