Angelo Del Boca et Tommaso Di Francesco - Mondialisation.ca, Le 22 février 2011
Sur la crise libyenne en cours, aux issues dramatiques et incertaines à cause aussi de la difficulté des sources d’information, entretien avec Angelo Del Boca, historien du colonialisme italien et spécialiste de la Libye.
Les nouvelles qui arrivent parlent d’un pays cassé en deux, où même l’armée et les « comités révolutionnaires » seraient divisés, la Cyrénaïque avec les villes de al Bayda, Bengasi, et Tobrouk est aux mains des insurgés. La situation semble se précipiter et il y a presque une centaine de victimes.
A. Del Boca : Oui, ça se précipite. Mais, comme tu le disais justement, le pays est cassé en deux. Pour la Cyrénaïque on pouvait déjà prévoir une révolte. Ce n’est pas la première fois, c’est déjà arrivé en 2006 à cause de la provocation anti-islam de « notre » ministre Calderoli et il faut dire que, au moins dans les 15 dernières années, nous en sommes à la troisième insurrection. En 1996 en fait nous n’avons jamais su le nombre de victimes ; rien que pour les arrestations, il y en eut des milliers, et pourtant à l’époque, contre cette révolte islamiste, intervinrent l’armée, l’aviation et la marine, qui tira contre la Montagne verte, unique présence montagneuse, symbole du héros Omar al Muhtar . Impossible de sous évaluer encore l’influence très forte en Cyrénaïque de cette historique confraternité politico-religieuse de la Sénoussie.
Donc d’après toi les heures ne sont pas comptées pour le colonel Muhamar Kadhafi…
A. Del Boca : Non, parce que même la famille Kadhafi est comme cassée en deux. Une division qui est presque une ressource.
Existe-t-il une possibilité que ce conflit ouvre les portes du pouvoir à Seif al Islam, le fils de Kadhafi qui travaille depuis longtemps à une réforme de la constitution libyenne et qui a traité pour la libération de centaines d’intégristes emprisonnés?
A. Del Boca : Là-dessus j’irai doucement. A propos des fils, il faut se souvenir qu’il y a d’un côté Khamis qui est le chef de ces bataillons de sécurité, en quelque sorte les prétoriens du régime, et Motassem, lui aussi impliqué dans l’armée ; les deux en faveur de Kadhafi et à présent ses très proches défenseurs, à tout prix, comme on le comprend des événements de Bengasi et al Beida, où justement Khamis était présent. D’autre part nous avons Seif al Islam qui dans cette situation n’a pas fait de déclarations particulières, mais d’après ce que nous savons, est le seul qui donne des informations sur ce qui arrive. Et il est bien sûr le seul qui ait fait libérer ces derniers mois des centaines d’intégristes musulmans de Bengasi. Qu’il avait libérés à condition qu’eux, en quelque sorte, se repentent et admettent leur erreur, et ne refassent pas d’opérations de caractère violent. Je répète que ces derniers mois et jours c’est le seul qui donne des informations sur ce qui arrive.
En ce moment, le monde occidental, celui qui a des intérêts stratégiques fondamentaux en Libye, semble très préoccupé. Nous ne parlons pas seulement de l’Italie, avec Eni et Finmeccanica, mais aussi des Etats-Unis…
A. Del Boca : Oui, les Etats-Unis depuis qu’ils ont décidé avec Bush en 2004 que la Libye n’est plus un état voyou, sont revenus depuis sept ans avec quatre multinationales pétrolières puiser le pétrole de Tripoli. Et les intérêts ne se limitent pas au pétrole : les Français ont des contacts pour vendre leurs avions de combat, la Grande-Bretagne avait envoyé Tony Blair -qui a résolu avec Seif al Islam l’épisode dramatique de Lockerbie- comme commis voyageur d’affaires. Tous en rang pour vendre leurs fournitures. Parce qu’en Libye-le coin des affaires, tout est à changer : il faut construire des aéroports, la fameuse ligne de chemins de fer, l’autoroute du littoral méditerranéen que l’Italie doit réaliser. Comme ça a été prévu par cet accord historique par lequel le gouvernement italien reconnaît les infamies italiennes colonialistes et fascistes, en échange de la contention - autant dire des nouveaux camps de concentration- de l’immigration désespérée du Maghreb et de l’intérieur de l’Afrique.
A propos d’Italie. Comment juges-tu les déclarations de Berlusconi face à la précipitation de la situation et à la répression sanglante : « Je n’ai pas appelé Kadhafi parce que je ne veux pas le déranger » ?
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