Jean-Pierre Garnier
La surpopulation, d'un point de vue capitaliste, renvoie à l'impossibilité - une fois constituée une armée de réserve susceptible d'être recrutée en cas d'« expansion » ou de « reprise économique », ou de peser sur les salaires des travailleurs déjà au travail -, d'employer la population restante. Une difficulté en passe d'être surmontée de deux manières, alternatives ou conjointes. Le première correspond à un scénario hard concocté par des experts émargeant directement au Pentagone. La seconde, nettement plus soft, mais qui n'exclue pas le recours simultané à la première, émane de civils appartenant au dessus du panier du capitalisme globalisé.
Dans un Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique rendu public il y a quelques années figurent des considérations et des recommandations relatives aux questions de stratégie militaire à court et moyen terme [1]. On les trouvera au choix édifiantes ou terrifiantes. Il faut dire que ce rapport n'avait pas été rédigé par des fantaisistes mais, à la demande du sinistre John Rumsfeld - qui n'était pas encore alors le ministre de la « guerre préventive » contre l'Irak de Bush fils -, par Peter Schwartz, un « futurologue » souvent présent aux sommets de Davos, et Doug Randall, un expert de Global Business Network, un institut de prévision et de conseil lié aux milieux d'affaires. Ils ont synthétisé ce que le consensus actuel de la communauté scientifique admet comme le scénario le plus vraisemblable pour un avenir de la planète à terme très bref, consolidant l'hypothèse émise par de nombreux savants : celle d'un dérèglement accéléré de l'écosphère avant le milieu du siècle.
Le doute n'est, en effet, plus permis : il y a bien réchauffement. Et celui-ci a effectivement un rapport étroit avec l'effet de serre lié aux activités humaines productrices de CO2. Ce réchauffement a commencé à faire sentir ses effets désastreux. Il pousse déjà les populations à fuir les régions frappées par la sécheresse. Mais ce serait là seulement le premier épisode d'un changement plus radical : la fonte de la calotte de la banquise et du permafrost sibérien dans lesquels se met en place le Gulf Stream, lequel est un régulateur des températures, en particulier dans l'hémisphère nord. Que ce courant maritime s'arrête et c'est une période de glaciation, peut-être majeure, à laquelle on assistera dans le Nord de la planète, capturée dans une gangue très épaisse de glace. Selon cette hypothèse, l'Europe du nord (Scandinavie, Pays-Bas, Grande-Bretagne, une bonne partie de l'Allemagne et de la France) deviendrait inhabitable. Autre perspective, mais guère plus réjouissante : l'inondation de zones immenses, densément peuplées aujourd'hui, par suite du réchauffement de l'atmosphère, et qui, définitivement submergées , seraient également rendues impraticables.
Ce qu'ont en commun ces hypothèses à la fois catastrophiques et plausibles, c'est ce qu'elles impliquent : des masses énormes de population vont devoir s'expatrier, migrer, s'ajoutant à celles qui auront déjà été chassées par des conditions économiques de vie inhumaines. Or, il est facile de déduire que, dans le meilleur des cas, les zones demeurées habitables seraient rares et réduites en superficie. Ce qui conduit les penseurs du Pentagone à énoncer quelques suggestions d'ordre stratégique. À les lire, on peut comprendre que tout avait été mis en œuvre pour ne pas leur donner de publicité. Car elles sont tout à fait explicites : il faut prendre des dispositions à la fois pour « sécuriser » les dernières ressources vitales et pour repousser les innombrables « réfugiés climatiques » qui auraient « tendance à se déverser vers les dernières zones habitables » [2].
Certes, dans l'immédiat, les contraintes qu'un brusque changement climatique fera peser sur la nourriture, l'eau et l'énergie pourront être « gérées par des moyens diplomatiques, politiques et économiques tels que des traités et des embargos [sic] sur leur commerce ». Mais cette période de répit ne s'éternisera pas. « Avec le temps toutefois, avertissent les auteurs du rapport, les conflits à propos de l'utilisation des terres et de l'eau sont susceptibles de devenir plus aigus - et plus violents. À mesure que le désespoir des États [re-sic] grandira, le passage à l'action se fera plus pressant . » Sous quelle forme ? Ni plus ni moins que l'instauration d'une dictature à finalité « écologique » fondée sur un terrorisme d'État généralisé.
Bien entendu, vu du Pentagone, ce sont avant tout, pour ne pas dire exclusivement, les États-Unis qu'il s'agit de préparer à un tel changement. « Même si les États-Unis resteront eux-mêmes relativement bien lotis, et dotés d'une plus grand capacité d'adaptation, affirment en conclusion les auteurs du rapport, ils se trouveront dans un monde où des vagues de réfugiés viendront se briser sur leurs côtes [3] ; où l'Europe sera confrontée à des luttes internes ; où l'Asie sera plongée dans une crise grave à cause de l'eau et de la nourriture. »
C'est pourquoi les « stratégies de parade » qui devront être élaborée et appliquées le seront au bénéfice des seuls ressortissants états-uniens [4]. D'autant que, eu égard à leur avance scientifique, technique et organisationnelle, et du fait d'avoir « plus de ressources à leur disposition, en regard de la taille de la population, […] les nations susceptibles de s'adapter plus facilement à des évolutions brusques du climat [peuvent] provoquer un sentiment plus aigu d'une distinction entre possédants et démunis, entraînant un ressentiment envers ces nations à plus forte capacité d'accueil ». Ce qui, en langage clair, signifie que les deux objectifs auxquels les « stratégies de parade » devront répondre ne pourront être atteints qu'aux dépens des populations des autres pays. « Assurer un accès sûr aux ressources alimentaires », d'une part, revient en fait à laisser sans états d'âme le reste de l'humanité courir le risque de mourir de faim et de soif. Et « assurer une sécurité nationale maximale », d'autre part, laisse prévoir, quand on connaît le sens que cette formulation recouvre [5], la mise en place et le déploiement d'un arsenal répressif à usage externe, mais aussi interne, dont seuls les romans ou les films les plus pessimistes de science-fiction peuvent donner une idée. Encore qu'un happy end ne soit pas à écarter : « Les nombreux décès engendrés par la guerre, la famine et la maladie réduiront la taille de la population totale. Ce qui, avec le temps [re-sic], équilibrera le nombre de personnes sur Terre avec la capacité d'accueil de la planète. [6] »
À cet avenir peu riant et encore moins radieux pour la majorité des terriens, on peut opposer un scénario plus soft, du moins pour une partie d'entre eux. Lors d'une rencontre discrète dans le luxueux Hôtel Fairmont à San Fancisco, tenue en novembre 1995 sous l'égide de la Fondation… Gorbatchev - financée par le gotha du capitalisme transnational -, « cinq cent hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan » avaient confronté leurs vues sur l'avenir de la nouvelle civilisation planétaire issue de l'effondrement des régimes prétendument « socialistes » [7].
Cette auguste assemblée prit pour point de départ de sa réflexion le postulat, considéré par les participants comme une évidence, selon lequel, « dans le siècle à venir, deux dixième de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale » [8]. La « révolution scientifique et technique » qui ne pouvait que suivre son cours irrésistible continuerait en effet de remplacer les humains par des machines. Dès lors se posait le problème qu'allait devoir tôt ou tard affronter l'élite mondialisée : comment garantir la gouvernementalité ou la gouvernance - c'est-à-dire la domination - des quatre-vingts pour cent d'humanité surnuméraire dont les désastres écologiques à venir décimeraient certes les rangs, sans toutefois la faire disparaître tout à fait pour autant ? En d'autres termes, que faire des futurs « inutiles au monde » capitaliste ?
On doit à un expert, Zbignew Brzezinsky, la solution retenue à la fin du débat. Cet ancien conseiller du président des États-Unis Jimmy Carter, et fondateur de la Conférence Trilatérale, s'était déjà distingué dans les années 1970 en prônant une « démocratie limitée » pour faire face à des revendications et des aspirations populaires de plus en plus difficiles à « gérer ». Cette fois-ci, il ne trouva rien de mieux de que ressortir, dans un langage actualisé, la vieille recette du panem et circences. En novlangue globalitaire : le tittytainment (de « enterainment », divertissement , et « tits », seins en argot étasunien). Ce néologisme en forme de collage désignait un « cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population de la planète [9] ».
De bonnes âmes ne manqueront pas de juger cette solution cynique et méprisante à l'égard du peuple. Rappelons tout de même, à cet égard, que les bourgeois, lorsqu'ils devisent entre eux d'affaires sérieuses, ne s'embarrassent pas de fleurs de rhétorique humanitaires. Et que les rapports issus de leurs cogitations à huis clos ne sont pas destinés à être communiqués au peuple soi-disant souverain de nos « démocraties ». Mais, pour en revenir au contenu et à y regarder de près, la solution avalisée par l'aréopage sélect réuni à San Francisco est précisément celle qui est déjà mise en œuvre depuis belle lurette dans des sociétés où le spectacle de la consommation va de pair avec la consommation du spectacle. Soit, par exemple, la télé, pour le divertissement abrutissant, et Carrefour - ou plutôt LeaderPrice - pour l'alimentation suffisante. Ou encore Disneyland et Mac Do, les jours de sortie en famille... Avec cette différence, cependant, que « développement durable » aidant, il sera recommandé aux masses de consommer moins pour consommer mieux. C'est pourquoi divertissement et alimentation seront désormais placés sous le signe d'un verdissement généralisé. Les loisirs seront de plus en plus « éco-responsables » et la bouffe de plus en plus « bio ».
Aux États-Unis, on qualifie de greenwashing du capitalisme, y compris dans les cercles de l'oligarchie, cette « poursuite du diamant vert » couplée à la recherche du profit. Même s'ils ont pris du retard par rapport à leurs homologues d'outre-atlantique, les industriels de l'Hexagone ne sont pas en reste. Deux morceaux choisis parmi beaucoup d'autres tirés de la prose patronale en attesteront.
Ce seront les mots de la fin : « L'introduction de la notion de “développement durable” pourrait avoir un effet aussi révolutionnaire que, à leur époque, l'introduction de la vapeur, de l'électricité et de l'électronique. Il s'agit là surtout d'une révolution intellectuelle. Pour la réussir, il faudra déployer un effort intense d'éducation et de formation afin de faire entrer les problèmes d'environnement dans la stratégie des entreprises. Tous les acteurs de l'entreprise sont concernés, du haut en bas de la hiérarchie. Les programmes de formation doivent intégrer le concept de développement durable et l'appliquer globalement, aussi bien pour les techniciens que pour les managers. Le milieu universitaire, plus lent à réagir, devra aussi être mobilisé rapidement et efficacement dans le cadre de programmes de coopération existants, financés en partie par l'industrie. » (Remodeler l'Europe, Table ronde des industriels européens, septembre 1991)
« L'important est que les industriels aient compris maintenant que, s'ils ne sont pas bons en environnement, ils ne seront pas compétents, et que, à la limite, ils ne pourront pas travailler. On peut non seulement réconcilier environnement et croissance mais aussi faire de l'environnement un facteur de croissance. » (Bernard Collomb, PDG de Lafarge-Coppée, La Tribune de l'expansion, 1er juin 1992)
[2] Ibid.
[3] La réaction cynique des autorités maltaises laissant périr en mer les candidats subsahariens à l’immigration sur leurs embarcations de fortune, sans même chercher à secourir les rescapés, donne un avant-goût, à une échelle très réduite, du sort qui attendra les dizaines de milliers de réfugiés « climatiques ».
[4] Le rapport reste muet sur le tri interne qui ne manquera pas de s’opérer entre les bénéficiaires. Le cyclone Katrina en a donné premier aperçu : ce sont les habitants noirs « défavorisés » de la Nouvelle Orléans qui en ont été les principales victimes.
[5] Tirant les enseignements des pratiques des régimes répressifs installés de par le monde avec l’accord et l’appui des États-Unis, le linguiste Noam Chomsky en avait conclu que « “sécurité nationale” signifie tout bonnement “guerre à la population” » (Class warfare, Pluto Press, London 1996).
[6] Rapport secret du Pentagone…, op. cit.
[7] Hans Peter Martin, Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation, Solin-Actes Sud,1997.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
http://blog.agone.org/post/2010/11/23/Surpopulation-les-deux-therapies
Le doute n'est, en effet, plus permis : il y a bien réchauffement. Et celui-ci a effectivement un rapport étroit avec l'effet de serre lié aux activités humaines productrices de CO2. Ce réchauffement a commencé à faire sentir ses effets désastreux. Il pousse déjà les populations à fuir les régions frappées par la sécheresse. Mais ce serait là seulement le premier épisode d'un changement plus radical : la fonte de la calotte de la banquise et du permafrost sibérien dans lesquels se met en place le Gulf Stream, lequel est un régulateur des températures, en particulier dans l'hémisphère nord. Que ce courant maritime s'arrête et c'est une période de glaciation, peut-être majeure, à laquelle on assistera dans le Nord de la planète, capturée dans une gangue très épaisse de glace. Selon cette hypothèse, l'Europe du nord (Scandinavie, Pays-Bas, Grande-Bretagne, une bonne partie de l'Allemagne et de la France) deviendrait inhabitable. Autre perspective, mais guère plus réjouissante : l'inondation de zones immenses, densément peuplées aujourd'hui, par suite du réchauffement de l'atmosphère, et qui, définitivement submergées , seraient également rendues impraticables.
Ce qu'ont en commun ces hypothèses à la fois catastrophiques et plausibles, c'est ce qu'elles impliquent : des masses énormes de population vont devoir s'expatrier, migrer, s'ajoutant à celles qui auront déjà été chassées par des conditions économiques de vie inhumaines. Or, il est facile de déduire que, dans le meilleur des cas, les zones demeurées habitables seraient rares et réduites en superficie. Ce qui conduit les penseurs du Pentagone à énoncer quelques suggestions d'ordre stratégique. À les lire, on peut comprendre que tout avait été mis en œuvre pour ne pas leur donner de publicité. Car elles sont tout à fait explicites : il faut prendre des dispositions à la fois pour « sécuriser » les dernières ressources vitales et pour repousser les innombrables « réfugiés climatiques » qui auraient « tendance à se déverser vers les dernières zones habitables » [2].
Certes, dans l'immédiat, les contraintes qu'un brusque changement climatique fera peser sur la nourriture, l'eau et l'énergie pourront être « gérées par des moyens diplomatiques, politiques et économiques tels que des traités et des embargos [sic] sur leur commerce ». Mais cette période de répit ne s'éternisera pas. « Avec le temps toutefois, avertissent les auteurs du rapport, les conflits à propos de l'utilisation des terres et de l'eau sont susceptibles de devenir plus aigus - et plus violents. À mesure que le désespoir des États [re-sic] grandira, le passage à l'action se fera plus pressant . » Sous quelle forme ? Ni plus ni moins que l'instauration d'une dictature à finalité « écologique » fondée sur un terrorisme d'État généralisé.
Bien entendu, vu du Pentagone, ce sont avant tout, pour ne pas dire exclusivement, les États-Unis qu'il s'agit de préparer à un tel changement. « Même si les États-Unis resteront eux-mêmes relativement bien lotis, et dotés d'une plus grand capacité d'adaptation, affirment en conclusion les auteurs du rapport, ils se trouveront dans un monde où des vagues de réfugiés viendront se briser sur leurs côtes [3] ; où l'Europe sera confrontée à des luttes internes ; où l'Asie sera plongée dans une crise grave à cause de l'eau et de la nourriture. »
C'est pourquoi les « stratégies de parade » qui devront être élaborée et appliquées le seront au bénéfice des seuls ressortissants états-uniens [4]. D'autant que, eu égard à leur avance scientifique, technique et organisationnelle, et du fait d'avoir « plus de ressources à leur disposition, en regard de la taille de la population, […] les nations susceptibles de s'adapter plus facilement à des évolutions brusques du climat [peuvent] provoquer un sentiment plus aigu d'une distinction entre possédants et démunis, entraînant un ressentiment envers ces nations à plus forte capacité d'accueil ». Ce qui, en langage clair, signifie que les deux objectifs auxquels les « stratégies de parade » devront répondre ne pourront être atteints qu'aux dépens des populations des autres pays. « Assurer un accès sûr aux ressources alimentaires », d'une part, revient en fait à laisser sans états d'âme le reste de l'humanité courir le risque de mourir de faim et de soif. Et « assurer une sécurité nationale maximale », d'autre part, laisse prévoir, quand on connaît le sens que cette formulation recouvre [5], la mise en place et le déploiement d'un arsenal répressif à usage externe, mais aussi interne, dont seuls les romans ou les films les plus pessimistes de science-fiction peuvent donner une idée. Encore qu'un happy end ne soit pas à écarter : « Les nombreux décès engendrés par la guerre, la famine et la maladie réduiront la taille de la population totale. Ce qui, avec le temps [re-sic], équilibrera le nombre de personnes sur Terre avec la capacité d'accueil de la planète. [6] »
À cet avenir peu riant et encore moins radieux pour la majorité des terriens, on peut opposer un scénario plus soft, du moins pour une partie d'entre eux. Lors d'une rencontre discrète dans le luxueux Hôtel Fairmont à San Fancisco, tenue en novembre 1995 sous l'égide de la Fondation… Gorbatchev - financée par le gotha du capitalisme transnational -, « cinq cent hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan » avaient confronté leurs vues sur l'avenir de la nouvelle civilisation planétaire issue de l'effondrement des régimes prétendument « socialistes » [7].
Cette auguste assemblée prit pour point de départ de sa réflexion le postulat, considéré par les participants comme une évidence, selon lequel, « dans le siècle à venir, deux dixième de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale » [8]. La « révolution scientifique et technique » qui ne pouvait que suivre son cours irrésistible continuerait en effet de remplacer les humains par des machines. Dès lors se posait le problème qu'allait devoir tôt ou tard affronter l'élite mondialisée : comment garantir la gouvernementalité ou la gouvernance - c'est-à-dire la domination - des quatre-vingts pour cent d'humanité surnuméraire dont les désastres écologiques à venir décimeraient certes les rangs, sans toutefois la faire disparaître tout à fait pour autant ? En d'autres termes, que faire des futurs « inutiles au monde » capitaliste ?
On doit à un expert, Zbignew Brzezinsky, la solution retenue à la fin du débat. Cet ancien conseiller du président des États-Unis Jimmy Carter, et fondateur de la Conférence Trilatérale, s'était déjà distingué dans les années 1970 en prônant une « démocratie limitée » pour faire face à des revendications et des aspirations populaires de plus en plus difficiles à « gérer ». Cette fois-ci, il ne trouva rien de mieux de que ressortir, dans un langage actualisé, la vieille recette du panem et circences. En novlangue globalitaire : le tittytainment (de « enterainment », divertissement , et « tits », seins en argot étasunien). Ce néologisme en forme de collage désignait un « cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population de la planète [9] ».
De bonnes âmes ne manqueront pas de juger cette solution cynique et méprisante à l'égard du peuple. Rappelons tout de même, à cet égard, que les bourgeois, lorsqu'ils devisent entre eux d'affaires sérieuses, ne s'embarrassent pas de fleurs de rhétorique humanitaires. Et que les rapports issus de leurs cogitations à huis clos ne sont pas destinés à être communiqués au peuple soi-disant souverain de nos « démocraties ». Mais, pour en revenir au contenu et à y regarder de près, la solution avalisée par l'aréopage sélect réuni à San Francisco est précisément celle qui est déjà mise en œuvre depuis belle lurette dans des sociétés où le spectacle de la consommation va de pair avec la consommation du spectacle. Soit, par exemple, la télé, pour le divertissement abrutissant, et Carrefour - ou plutôt LeaderPrice - pour l'alimentation suffisante. Ou encore Disneyland et Mac Do, les jours de sortie en famille... Avec cette différence, cependant, que « développement durable » aidant, il sera recommandé aux masses de consommer moins pour consommer mieux. C'est pourquoi divertissement et alimentation seront désormais placés sous le signe d'un verdissement généralisé. Les loisirs seront de plus en plus « éco-responsables » et la bouffe de plus en plus « bio ».
Aux États-Unis, on qualifie de greenwashing du capitalisme, y compris dans les cercles de l'oligarchie, cette « poursuite du diamant vert » couplée à la recherche du profit. Même s'ils ont pris du retard par rapport à leurs homologues d'outre-atlantique, les industriels de l'Hexagone ne sont pas en reste. Deux morceaux choisis parmi beaucoup d'autres tirés de la prose patronale en attesteront.
Ce seront les mots de la fin : « L'introduction de la notion de “développement durable” pourrait avoir un effet aussi révolutionnaire que, à leur époque, l'introduction de la vapeur, de l'électricité et de l'électronique. Il s'agit là surtout d'une révolution intellectuelle. Pour la réussir, il faudra déployer un effort intense d'éducation et de formation afin de faire entrer les problèmes d'environnement dans la stratégie des entreprises. Tous les acteurs de l'entreprise sont concernés, du haut en bas de la hiérarchie. Les programmes de formation doivent intégrer le concept de développement durable et l'appliquer globalement, aussi bien pour les techniciens que pour les managers. Le milieu universitaire, plus lent à réagir, devra aussi être mobilisé rapidement et efficacement dans le cadre de programmes de coopération existants, financés en partie par l'industrie. » (Remodeler l'Europe, Table ronde des industriels européens, septembre 1991)
« L'important est que les industriels aient compris maintenant que, s'ils ne sont pas bons en environnement, ils ne seront pas compétents, et que, à la limite, ils ne pourront pas travailler. On peut non seulement réconcilier environnement et croissance mais aussi faire de l'environnement un facteur de croissance. » (Bernard Collomb, PDG de Lafarge-Coppée, La Tribune de l'expansion, 1er juin 1992)
Notes
[1] Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique, Allia, 2006.[2] Ibid.
[3] La réaction cynique des autorités maltaises laissant périr en mer les candidats subsahariens à l’immigration sur leurs embarcations de fortune, sans même chercher à secourir les rescapés, donne un avant-goût, à une échelle très réduite, du sort qui attendra les dizaines de milliers de réfugiés « climatiques ».
[4] Le rapport reste muet sur le tri interne qui ne manquera pas de s’opérer entre les bénéficiaires. Le cyclone Katrina en a donné premier aperçu : ce sont les habitants noirs « défavorisés » de la Nouvelle Orléans qui en ont été les principales victimes.
[5] Tirant les enseignements des pratiques des régimes répressifs installés de par le monde avec l’accord et l’appui des États-Unis, le linguiste Noam Chomsky en avait conclu que « “sécurité nationale” signifie tout bonnement “guerre à la population” » (Class warfare, Pluto Press, London 1996).
[6] Rapport secret du Pentagone…, op. cit.
[7] Hans Peter Martin, Harald Schumann, Le Piège de la mondialisation, Solin-Actes Sud,1997.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
http://blog.agone.org/post/2010/11/23/Surpopulation-les-deux-therapies
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