Nolwenn Weiler
Diminuer la durée de vie des produits : c’est la stratégie mise en œuvre par les fabricants de biens électroniques et électroménagers pour assurer une consommation permanente de leurs produits. Comment ce turn-over perpétuel de nos machines à laver, réfrigérateurs ou téléphones portables est-il organisé ? Quelles conséquences ces déchets toujours plus nombreux entraînent-ils sur l’environnement ?
© Chris Jordan « La réparation vous coûtera aussi cher qu’un appareil neuf », « désolé mais c’est irréparable », « ce portable est has-been, tu devrais t’en acheter un neuf »... Ces réflexions courantes sont des avatars de « l’obsolescence programmée » : un processus par lequel un bien tombe en désuétude pour son utilisateur, parce qu’il est tombé en panne, ou parce qu’il n’est simplement plus « à la mode ». Cette « obsolescence programmée » est analysée dans un rapport récemment publié par les Amis de la terre et le Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid). Elle est née avec la révolution industrielle et la généralisation du modèle productiviste. Cette philosophie du « toujours moins bien pour toujours plus » multiplie les astuces visant à rendre un appareil obsolète afin qu’il soit rapidement remplacé par un nouveau produit. Et cette stratégie est clairement planifiée par les marques industrielles.
Le règne de l’irréparable
Le fait de ne pas pouvoir démonter du matériel est ainsi l’une des ruses les plus fréquemment utilisées. Derniers exemples en date : l’iPad ou l’iPhone d’Apple ont, par exemple, des batteries directement moulées dans le plastique, donc impossibles à démonter et à remplacer. Les appareils électroménagers ne sont pas en reste, avec « l’apparition, ces dernières années, d’appareils dont les parties externes sont moulées et qui donc, une fois cassées, ne sont ni démontables ni réparables. Ainsi, nous avons pu observer des réfrigérateurs avec le joint directement serti dans la porte ce qui le rendait plus difficilement démontable que s’il était doté de simples vis », signalent les réparateurs d’Emmaüs.
« Le vrai talon d’Achille de nos appareils de consommation courante, c’est l’électronique », indique Michel Ebran, journaliste, spécialiste en consommation et ancien chef du service enquêtes du mensuel Que choisir ?. Les pièces détachées sont, dans ce domaine, quasi-impossibles à trouver au bout de quelques années. « Il n’y a pas d’obligation de disponibilité de ces pièces détachées au-delà de la garantie de deux ans », précise Michel Ebran. « Prenons les écrans plats : ils ont été vendus comme une super technologie qui consommait moins, et pouvait tourner des centaines de milliers d’heures sans entretien. L’écran lui-même est certes solide mais les platines qui alimentent les néons le sont beaucoup moins ! Et elles sont, la plupart du temps, introuvables. Ou alors à des prix tout à fait prohibitifs. »
En cas de panne, c’est donc la poubelle, en général au bout de cinq à sept ans pour les écrans plats. Les télés à tube cathodique duraient, elles, 10 à 15 ans. « Nous sommes dans le règne du court terme, avertit Michel Ebran. Le personnel chargé de la conception a des objectifs à deux ou trois ans. » La fin de vie des appareils, ce n’est pas leur affaire. Résultat : en France, moins de la moitié des appareils qui tombent en panne sont réparés, 44% selon une étude de l’Ademe datant de 2007.
Services après-vente rendus incompétents
Côté Service après-vente (SAV), tout est également organisé pour assurer cette obsolescence. « Le marché français est découpé entre deux grands acteurs : le SAV de Darty, qui est énorme et qui fonctionne assez bien, et la Société française de garantie, qui gère environ 80% du SAV en France », détaille Michel Ebran. Cette filiale du groupe britannique Home Serve fédère et vend des savoir-faire aux fabricants et distributeurs de matériel électronique et électroménager. Elle dispose d’un réseau de petits dépanneurs répartis sur toute la France, qu’ils envoient chez tel ou tel client.
« Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’homogénéité de savoir-faire, dit Michel Ebran. L’un aura suivi telle formation pour telle marque de téléphone, l’autre pour telle marque de machine à laver, etc. Du coup, il se peut très bien que le réparateur qui vienne chez vous ne puisse réparer votre matériel simplement parce qu’il ne sait pas le faire. » Ces défauts de formation sont d’autant plus dommageables que, correctement diagnostiquée, une panne de platine est aisément réparable : il suffit de la remplacer.
L’obsolescence programmée s’appuie aussi sur le besoin de renouvellement perpétuel : l’importance d’être à la mode, alimentée par l’arrivée incessante de nouveaux objets, qui chassent les anciens. Le dernier Ipad rend archaïque les récents smartphones qui eux-mêmes transforment le baladeur MP3 en objet préhistorique. « L’obsolescence technique incite également les clients au remplacement plutôt qu’à la réparation », confirme Darty, interrogé par l’enquête conjointe des Amis de la Terre et du Cniid.
Des montagnes de déchets
Ces diverses stratégies s’avèrent redoutablement efficaces : « En 2010, un Français achète environ six fois plus d’équipements électriques et électroniques qu’au début des années 1990 et chacun se débarrasse annuellement de 16 à 20 kg de déchets électriques et électroniques », souligne le rapport. Le recyclage pourrait être une solution. Mais à peine un quart environ des déchets électriques et électroniques (DEE) sont recyclés et une infime partie réemployée, selon le ministère de l’Écologie. Le reste part en centre d’incinération ou en décharge. Une bonne partie s’en va aussi incognito dans les pays du Sud : environ la moitié des 20 à 50 millions de tonnes des DEE produits dans le monde chaque année ! Notons cependant l’effort de certaines associations et même – une fois n’est pas coutume – de gros opérateurs de téléphonie mobile, tel France Télécom-Orange, qui recyclent certains modèles de téléphone puis les revendent moins chers sous l’appellation mobile « reconditionné ».
À ces montagnes de déchets, s’ajoutent l’exploitation massive des ressources naturelles (plomb, nickel, argent, zinc...) et ses lourdes conséquences pour l’environnement et les populations dans les pays du Sud. « Le Pérou, qui alimente en grande partie le marché européen du cuivre (31% en 2007 et 21% en 2008), subit les effets négatifs liés à cette exploitation minière, souligne le rapport des deux ONG. L’activité est fortement consommatrice d’eau alors que la population souffre déjà d’une pénurie d’eau. La transformation des métaux menace également la santé des riverains : en 1999, le ministère péruvien de la Santé a mené une étude sur les enfants vivant à proximité des installations ; elle faisait état d’une teneur en plomb dans le sang trois fois supérieure au seuil préconisé par l’Organisation mondiale de la santé. »
Curieusement, alors que partout les signaux sont au rouge sur l’épuisement des ressources naturelles, le phénomène semble s’amplifier. À l’heure où les matériaux précieux tels que le cuivre, le plomb, le nickel, l’argent ou l’étain se font rares, il semblerait pourtant nécessaire de faire un effort... « Dans la plupart des cas, prolonger la durée de vie d’un produit en le réparant permet des économies de matières premières plus importantes que celles liées à l’achat d’un appareil neuf même plus performant », conseille l’Ademe, citée par le site de la semaine de réduction des déchets, qui se déroule du 20 au 28 novembre. Quand les industriels auront eux aussi des préoccupations de réduction des déchets, ce sera plus simple.
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