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29/07/2010

L’impact de la vidéosurveillance est de l’ordre de 1%

A Lyon, les caméras de vidéosurveillance permettent, en moyenne, une arrestation par caméra et par année. 200 arrestations, pour 219 caméras, comparées aux 20 604 actes de délinquance dits de voie publique… pour le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, “le résultat est clair : l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée par la police nationale à Lyon est de l’ordre de 1%“.

Les chiffres sont issus d’un récent rapport de la Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes (.pdf) sur la sécurité publique à Lyon. L’analyse du sociologue, l’un des meilleurs spécialistes français des questions de sécurité et de vidéosurveillance, est cinglante : la vidéosurveillance coûte très cher et ne sert pas à grand-chose. Le rapport de la Chambre régionale des comptes ne l’est pas moins :

En l’état actuel des données, relier directement l’installation de la vidéosurveillance et la baisse de la délinquance est pour le moins hasardeux.

Si l’on compare par exemple l’évolution de la délinquance de voie publique (DVP) entre Lyon, qui a fortement investi dans ce domaine, et Villeurbanne, où la commune n’a pas souhaité s‘y engager, on observe que la baisse est plus forte dans la commune qui ne bénéficie d’aucune caméra de voie publique.

Lyon n'est pas plus sûr que Villeurbanne

La baisse observée à Lyon (où se déroulent plus de la moitié des faits) est dans la moyenne de celle observée sur l’ensemble de la circonscription de sécurité publique (CSP) de Lyon, alors que celle enregistrée à Villeurbanne est nettement supérieure.

Lyon, laboratoire des politiques sécuritaires

La comparaison entre Lyon et Villeurbanne est particulièrement intéressante, dans la mesure où elle oppose deux conceptions opposées de la lutte contre l’insécurité, ou plutôt le “sentiment d’insécurité“.

Lyon, troisième ville de France, est dirigée par Gérard Collomb, maire PS élu en 2001 sur un programme qui avait fait de la sécurité une priorité, et qui voulait faire de Lyon un laboratoire d’une politique alliant répression et prévention, lutte contre la délinquance, aide aux victimes et soutien des policiers.

La Chambre régionale des comptes note ainsi que sa “police municipale est l’une des premières (si ce n’est la première) de France en nombre d’agents (327 agents, hors cadre administratif) et le ratio par habitant (67 pour 100 000 habitants) place la ville dans le peloton de tête du classement national” et que le nombre de policiers en service sur la ville y a augmenté de 27 agents (passant de 809 en 2003 à 836 en 2009).

Soulignant que “les sociétés privées de sécurité constituent un service non négligeable” pour la ville (qui y consacre 1,5M d’euros par an), le rapport s’étonne cela dit du recours à des prestataires privés pour la surveillance des berges du Rhône “la nuit pendant la belle saison“, alors que “celle-ci ne peut légalement être déléguée“, ce qui constitue une fragilité technique et juridique majeure qui peut conduire à des difficultés importantes en cas d’incident. Le problème est tel que le maire a dans la foulée pris “acte de la nécessité de mettre un terme à cette situation“.

Mise en place par Raymond Barre, la vidéosurveillance faisait bien évidemment partie du programme de Gérard Collomb, qui s’était donné pour objectif d’”étendre modérément la couverture géographique de la vidéosurveillance dans une totale transparence et en se préoccupant de répondre aux aspirations des citoyens et de respecter scrupuleusement l’avis d’un comité d’éthique.”

En fait de modération, le nombre de caméras a quasiment quadruplé, passant de 59 en 2001 à 219 en 2009. Et la Chambre note que si la charte d’éthique va au-delà des obligations législatives et réglementaires qui encadrent la vidéosurveillance, son collège d’éthique de la vidéosurveillance des espaces publics “n’a pas pour objet de formuler des avis sur la politique générale conduite par la ville dans le domaine de la vidéosurveillance et n’est pas amené, par exemple, à prendre position sur l’augmentation du nombre de caméras, ou l’utilité du dispositif“.

On notera, enfin, que ce “laboratoire” avait valu à Gérard Collomb une nomination aux Big Brother Awards 2001, ainsi qu’un prix Orwell en 2002, mais également d’être régulièrement présenté comme un exemple à suivre par les partisans de la vidéosurveillance, à l’instar de Christophe Cornevin dans cet article du Figaro intitulé Ces villes encore réfractaires à la vidéosurveillance.

Spécialiste des questions de sécurité, Christophe Cornevin ne mentionne pas le rapport de la Chambre régionale de la cour des comptes, ni le fait que le nouveau gouvernement britannique a décidé d’enterrer la société de surveillance. Il n’en estime pas moins que “les postures «anti Big Brother» se ringardisent peu à peu” et que “les querelles idéologiques (…) sont en passe de s’estomper“.

Pour autant, et alors que 280 communes vont être vidéosurveillées par environ 3500 nouvelles caméras, “grâce aux subventions de l’Etat“, Christophe Cornevin s’étonne que “certaines municipalités de gauche, brandissant l’épouvantail “sécuritaire”, sont réfractaires aux caméras” :

“En la matière, Lille fait figure de symbole. Emmenée par la première secrétaire du PS Martine Aubry, la ville bannit quasiment la présence d’objectifs sur la voie publique.

Dans ce camp retranché des municipalités viscéralement allergiques aux caméras, figurent aussi Caen, Laval, La Roche-sur-Yon, Bobigny ou encore Clermont-Ferrand.”

Le maire qui dit “non” aux caméras

Christophe Cornevin aurait pu y rajouter Villeurbanne, dont le maire, Jean-Paul Bret, lui aussi socialiste, s’était illustré en mars dernier en publiant une tribune dans Le Monde en réponse au projet du gouvernement, prévu dans la Loppsi, d’imposer aux maires l’installation de caméras de vidéosurveillance dans leurs communes, et à son objectif de triplement du nombre de caméras, reprenant les arguments des chercheurs et universitaires qui avaient pointé du doigt les biais de l’étude du ministère de l’Intérieur qui était censé démontrer l’efficacité de la vidéosurveillance (voir Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance) :

En tant que maire de Villeurbanne, j’ai émis des réserves sur la pertinence de la vidéosurveillance. Je ne cultive pas les oppositions de principe. Je pense même qu’en quelques cas de figure elle peut s’avérer efficace, notamment dans des espaces clos. Mais - et tous les analystes le disent - elle ne peut pas être présentée comme un remède miracle, sachant que même Scotland Yard la qualifie de « fiasco ».

Parmi les études menées par de nombreux chercheurs, appartenant à différentes disciplines, aucune ne permet de conclure à une efficacité quantifiable. Quant aux démonstrations du ministère de l’intérieur, leur méthodologie est - pour le scientifique que je suis également - comparable à ce que l’astrologie est à l’astronomie.

Déplorant le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux (la police nationale de Villeurbanne a perdu 50 agents sur les 200 en poste il y a huit ans), Jean-Paul Bret prônait l’humain contre la machine, préférant de loin une présence policière de proximité et, interrogé par Lyon Capitale, déclarait préférer l’installation d’un lampadaire à celle d’une caméra :

“Peut-être ces caméras déplacent-elles les problèmes là où elles ne sont pas présentes ? Peut-être même qu’elles sont sans résultat sur la délinquance, renforçant seulement un sentiment de sécurité qui, lui, est difficilement quantifiable ? Parfois, je pense qu’il serait plus utile d’installer un lampadaire.”, lance-t-il, sans plaisanter.

La vidéosurveillance a un impact secondaire, et marginal

Pour mesurer l’efficacité de la vidéosurveillance sur la baisse de la délinquance, le rapport de la Chambre régionale des comptes souligne que la ville de Lyon établit chaque année un comparatif de l’évolution de la délinquance de voie publique entre les zones vidéosurveillées et les zones qui ne le sont pas.

Or, et sur les trois dernières années, “la différence entre les zones équipées et les zones non équipées est pour le moins ténue : si la délinquance de voie publique (DVP) baisse de 22,6% sur l’ensemble de la ville, elle baisse de 23,5 % dans les îlots où le dispositif de vidéosurveillance est installé et de 21,9% dans les îlots ou aucune caméra n’est installée.

De plus, si le Centre de supervision urbaine (CSU), qui fonctionne 24h/24 et emploie 29 agents, développe de nombreuses relations avec les services de la police municipale et nationale, “il est utilisé prioritairement pour des problèmes de troubles à l’ordre public : ce sont à la fois les faits les plus constatés par les opérateurs sur les images et les faits pour lesquels le centre est le plus sollicité.”

La Chambre note ainsi que l’utilisation du dispositif dans l’activité policière quotidienne pour les atteintes aux biens et aux personnes est secondaire ce qui, souligne Laurent Mucchielli, revient à considérer que “la vidéosurveillance de voie publique sert principalement à détecter les problèmes les plus visibles et les plus collectifs, elle ne concerne guère les vols et les agressions interpersonnelles“.

En outre, “le nombre d’utilisation judiciaire/caméra est de 1,7“, et “le nombre d’affaires pour lesquelles les enquêteurs ont recours aux images enregistrées est marginal, même si celles-ci sont parfois significatives“.

Si “l’impact du dispositif sur la baisse de la délinquance de voie publique est techniquement difficile à évaluer et, au vu des données actuelles, n’est pas évident” conclue le rapport, “il est intéressant d’observer par exemple qu’en 2008, le dispositif de vidéosurveillance n’a pas permis de contenir la forte augmentation de vols à la roulotte sur le quartier de Gerland

Enfin, si les chiffres de la délinquance ont enregistré une ““baisse significative, le nombre des faits de voie publique étant passé de 30 685 en 2003 à 22 970 en 2007, soit une diminution de 5,6% par an, il convient de nuancer ce constat :

“Ce sont surtout les faits de délinquance liés à l’automobile qui diminuent (vols à la roulotte, vols de véhicules) principalement du fait des nouvelles techniques des constructeurs.

En revanche, les violences volontaires, les incendies et dégradations sont en augmentation. Les cambriolages, les vols à la tire les vols avec violence sont soit globalement stables, soit en baisse modérée.”

La réponse du maire ? Une thèse universitaire

Pour Laurent Mucchielli, la conclusion est de plus en plus claire : n’en déplaise au ministère de l’Intérieur et à sa prétention de compenser la diminution des effectifs de policiers et de gendarmes, comme technique de lutte contre la délinquance la vidéosurveillance a un impact certes non nul mais extrêmement faible.

Sauf qu’elle occasionne une véritable gabegie pour les finances publiques lorsque l’on chiffre le coût qu’il représente pour une municipalité et la privation d’autres investissements et d’autres actions de prévention et de sécurité qui en découle.

Le rapport de la Chambre régionale des comptes relève ainsi Lyon a dépensé “7 284 290 euros entre 2001 et 2008 pour l’installation de 124 caméras (soit une moyenne de 58 744 euros par caméra)“, et qu’elle y consacre en moyenne environ 850 000 euros par an depuis 2003 (chiffre qui devrait grimper à 1,5 millions de 2009 à 2011), et que la ville dépense en moyenne 200 000 euros par an en maintenance, soit 1,7 millions d’euros pas an, à quoi il convient de rajouter le salaire des 29 employés, “soit au moins 900 000 euros, sans doute un peu plus“, mais également le coût des locaux, de leurs équipement et de leur fonctionnement.

Laurent Mucchielli estime ainsi que “la vidéosurveillance coûte donc probablement à la ville de Lyon (donc aux lyonnais) entre 2,7 et 3 millions d’euros. Ce qui pourrait représenter près d’une centaine d’emplois municipaux de proximité (qu’il s’agisse de policiers municipaux, d’agents de médiation, d’éducateurs, de correspondants de nuit, etc.), potentiellement capables de rassurer la population et de réguler les conflits de la vie quotidienne de manière autrement plus efficace“.

La Chambre régionale des comptes conclue elle-même que “s’il peut apparaître réducteur de juger de la pertinence du dispositif sur les seuls chiffres de la baisse de la délinquance, on peut observer que l’outil est suffisamment coûteux (plus d’un million par an en moyenne depuis 2003, hors personnel et frais généraux liés au service) pour qu’une évaluation globale de son intérêt soit entreprise“.

En réponse à cette observation, Gérard Collomb a indiqué son intention de “lancer le projet d’une thèse universitaire ayant pour objet une évaluation de fond de son dispositif de vidéosurveillance“. En attendant, l’exemple à suivre des partisans de la vidéosurveillance a comme qui dirait du plomb dans l’aile…

De la paresse intellectuelle en milieu idéologique

MaJ, 17h06 : Dans l’éditorial qui accompagne l’article de Christophe Cornevin, Paul-Henri Du Limbert, directeur adjoint de la rédaction, fustige “la paresse de la gauche“, mais assène aussi et surtout les contre-vérités :

“Toute les études ont prouvé que l’installation de caméras a un effet immédiat sur la délinquance. Elles dissuadent. Et quand elles ne dissuadent pas, elles permettent de retrouver les auteurs d’agressions.”

Les études, qu’elles soient universitaires et indépendantes, ou mandatées par les autorités, consacrées à l’efficacité de la vidéosurveillance estiment, à contrario, qu’elle est certes relativement efficace dans les lieux fermés, mais pas sur la voie publique, où les caméras seraient, a contrario, aussi efficaces que des “boites en carton peintes en noires sur des poteaux”.

Voir, à ce titre, l’imposant dossier constitué à ce sujet par Laurent Mucchielli, et notamment l’article (.pdf) consacré à la ville de Saint Etienne, qui évoque “un coût exorbitant que l’Etat cherche à imposer aux collectivités territoriales, qui « plombe » les budgets locaux et diminue d’autant le financement d’autres actions de prévention, pour des résultats très faibles“.

“Et pourtant, de nombreuses villes gérées par la gauche refusent de s’équiper. Il y a dans ce refus un mélange d’idéologie et de paresse intellectuelle (…) le temps passant, l’opinion publique ne fait plus de la vidéosurveillance une affaire idéologique.”

La paresse intellectuelle, c’est de relayer l’étude biaisée du ministère de l’Intérieur, sans prendre la peine de la lire, comme l’avait fait Jean-Marc Leclerc, autre spécialiste de la sécurité du Figaro, l’été dernier (voir Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance), ou encore d’asséner ce genre de discours aux relents idéologiques évidents sans prendre la peine de lire les études consacrées à l’efficacité de la vidéosurveillance, à commencer par ce rapport de la Chambre régionale des comptes.

La question de la vidéosurveillance n’est pas idéologique : elle est politique. Et si la politique se nourrit d’idées, elle ne peut faire l’économie de se nourrir, aussi, des rapports écrits par les institutions censées nous représenter. Encore faut-il prendre le temps de se pencher sérieusement sur la question. Au-delà de toute “idéologie“.

PS qui n’a rien à voir : dans le cadre de l’opération 1 livre offert pour 2 livres achetés, offrez-vous donc le livre que vous voulez en achetant le mien, La vie privée, un problème de vieux cons ? (présentation), ainsi que Les surveillants surveillés, anthologie des Big Brother Awards à laquelle j’ai contribué et qui sera bientôt épuisée…

http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2010/07/28/limpact-de-la-videosurveillance-est-de-lordre-de-1/

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