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28/07/2010

Sécurité aux Etats-unis: la CIA privatisée ?

Régis Soubrouillard

Le renseignement américain est inefficace et incontrôlable, c'est ce qu'affirme le Washington Post après une enquête de plus de deux ans menée dans les entrailles des services secrets. Depuis le 11 septembre, à trop empiler les réformes, les services, les rapports à chaque incident, la CIA est devenue un monstre à produire de l'information, chère et pas toujours pertinente. Pour une administration incapable de l'exploiter, d'assurer sa sécurité et de comprendre le monde qui l'entoure.

Sécurité aux Etats-unis: la CIA privatisée ?
Sur la sellette depuis qu’ils ont échoué à prévenir les attentats du 11 septembre, les services secrets américains ont fait l’objet de critiques féroces. De nombreux ouvrages politico-historiques ont tenté de comprendre pourquoi malgré ses nombreux échecs, la CIA a réussi à garder une solide réputation et à dissimuler ses erreurs sous le sceau du Secret Défense. Sa mission première était de connaître le monde. Quand elle n'y parvenait pas, elle s'arrangeait pour le changer. Elle n'a laissé derrière elle, pour reprendre les mots du président Eisenhower, que « des cendres en héritage ». Une incapacité cyclique à bâtir un service de renseignement efficace sur lequel s’était déjà penché le journaliste du New-York Times Tim Weiner.

Colosse aux pieds d’argile, la CIA n’a cessé de privilégier le renseignement électronique au détriment des espions de chair et de sang. Incarnation du côté sombre de la politique étrangère américaine, l’histoire de la CIA regorge d’opérations bâclées, erreurs de prévisions et surtout d’une méconnaissance chronique de ses théâtres d’opérations. « Faute d’agents sur le terrain et en dépit des informations fournies par les transfuges, le bloc de l’Est est resté terra incognita tout au long de la Guerre froide. Pendant la seule année 1949, la CIA n’a prévu ni l’explosion de la première bombe atomique russe, ni l’attaque de la Corée du Nord, ni même l’entrée de « volontaires » chinois dans le conflit. De même, ni les émeutes de 1956 en Hongrie, ni l’invasion soviétique en Afghanistan, ni même l’implosion de l’URSS n’ont été anticipées par les analystes ». Institution en crise, décrédibilisée par les attentats du 11 septembre et son rapport sur les armes de destruction massive en Irak, la CIA « a encore à devenir ce que ses créateurs ont voulu qu’elle soit ».

Un monstre tentaculaire inefficace et incontrôlable

La galaxie des sociétés organisations et sociétés privées liées au renseignement
La galaxie des sociétés organisations et sociétés privées liées au renseignement
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’en prend pas le chemin. C’est le Washington Post qui l’affirme dans une enquête dont la seule mise en scène impressionne. Développée sur trois jours dans le journal, elle se poursuit sur le web : mini-site web, page FaceBook et blog, chat avec les auteurs, moteur de recherches des agences de renseignement. Excusez du peu…
Au terme d’une enquête de deux ans, qui aura mobilisé une vingtaine de journalistes, le quotidien américain affirme que les réformes engagées dans les services de renseignements américaines ont entraîné une croissance « incontrôlable » de ces derniers. Une monstre sans tête hors de contrôle et tentaculaire, de type quasi-soviétique. Un comble.

Les chiffres sont éloquents : 1271 organisations gouvernementales liées au renseignement, 1931 compagnies privées et un total de 854.000 personnes qui « pondent » chaque année quelque 50.000 rapports - dont la plupart sont complètement ignorés- et ont par exemple accès aux informations classées « top secret ». De quoi relativiser largement la notion de secret…(NDLR : à ne rater sous aucun prétexte, les infographies, notamment la « grande roue » des sous-traitants, qui à elle seule démontre que le « machin intelligent » a complètement perdu la boule et ne peut prétendre à aucune efficacité).

A contrario, certains programmes sont si secrets qu’ils ne sont connus que d’une poignée de personnes et jamais exploités. Le Washington Post cite l'exemple du vol Amsterdam-Détroit. Plusieurs organisations ont recueilli des informations sur le projet d'attentat raté d'Umar Farouk Abdulmuttalab «mais personne n'a réuni les pièces du puzzle car le système est si gigantesque que les responsabilités sont devenues brouillées», ont admis des officiels.

Trop de renseignements tue le renseignement

La carte du renseignement américain
La carte du renseignement américain

Les auteurs de l’enquête ont trouvé que, dans les années qui ont suivies le 11 Septembre, au moins 263 nouvelles organisations ont été crées ou réorganisées, 33 bâtiments ont été construits soit l'équivalent en surface de trois Pentagones. En 2009, près de 60 milliards d’euros ont été consacrés au renseignement, deux fois plus qu’avant le 11 septembre. Un chiffre qui ne comprend que les programmes officiels.

« Le monde secret que le gouvernement a créé pour répondre aux attaques terroristes du 11 Septembre 2001 est devenu si gros, si lourd et si secret que plus personne ne sait ce qu'il coûte, combien de personnes il emploie, combien de programmes il génère et combien d'agences y font le même travail. Résultat : impossible de déterminer son efficacité » écrit le journal. Et le cercle du renseignement a ses vices. A chaque nouvel incident de sécurité, les responsables réclament de nouvelles analyses, créent de nouvelles cellules spécialises. D’où un surcharge d’informations et de données inexploitables et inexploitées. Trop de renseignements, tue le renseignement…

Mais ce sont probablement les révélations sur la privatisation des services de renseignement qui posent le plus de questions.
Sur les 1931 sociétés privées qui travaillent pour le renseignement 110 se partagent 90% du marché. Des nouveaux mercenaires de la sécurité, dont les sociétés sont souvent côtées en bourse, qui échappent à tout contrôle politique et sont impliquées dans de nombreuses bavures sur les théâtres d’opérations et dont l’Agence est devenue, au fil du temps, dépendante.

Un état -privé- dans l'Etat

Sécurité aux Etats-unis: la CIA privatisée ?
Sur son blog, Jean-Dominique Merchet interroge Georges-Henri Bricet des Vallons, auteur d’Irak, terre mercenaire (éd. Favre) qui fait un constat accablant de cette intrusion du privé : «Alors qu’en 2000, l’effort budgétaire consacré à l’embauche de contractuels au sein des services de renseignement représentait une somme déjà substantielle de 17,5 milliards de dollars [13,5 milliards d’euros, ndlr], celui-ci crevait début 2008 le plafond des 42 milliards, précise. La privatisation a atteint un degré d’exubérance difficilement concevable : 50% des agents « clandestins » de la CIA et 35% de ceux de la DIA [Defense Intelligence Agency] sont des contractors. Le National Reconnaissance Office, qui pilote les programmes de satellites-espions américains, présente un cas paroxystique, puisque ses activités sont privatisées à 100%».

Heureusement, cette tendance à s’en remettre à des entreprises privées, motivées par le seul souci de rentabilité dans des activités de guerre et de sécurité a fini par interroger l’administration américaine.
L’administration Obama souhaite faire marche arrière et le président américain a réduit de 7% les embauches dans le privé. Interrogé par le Washington Post, le directeur de la CIA, Leon Panetta, estime que «depuis trop longtemps, nous dépendons de contractors pour le travail opérationnel qui devrait être fait par nos agents. Mais le remplacement ne se fera pas du jour au lendemain. Quand vous avez été dépendant pendant si longtemps de sociétés privées, il faut du temps pour reconstruire une expertise».

Un point de rupture avait été atteint. Selon le Washington Post, ces contractors tuaient des combattants ennemis, espionnaient les gouvernements étrangers et écoutaient les réseaux terroristes. Une importance et un degré de dépendance tels que leur absence aurait pu remettre en cause certaines missions et nui à la sécurité des Etats-Unis. Un état -privé- dans l’Etat…

http://www.marianne2.fr/Securite-aux-Etats-unis-la-CIA-privatisee_a195785.html

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