« La vérité, l’âpre vérité »
Danton
« Ceux qui imaginent le mal où il n'y en a pas, et ne voient pas le mal là
où il est – cultivant de fausses idées, ils connaîtront la douleur »
Le Dhammapada
« La guerre que l'Occident considérait comme un picnic »
Raj Gonsalkorale, Asian tribune, 13 juin 2009
« La tradition intellectuelle est celle de la servilité à l'égard du pouvoir »
Noam Chomsky
À Tamara Kunanayakam, Sri Lankaise, Tamoule et Internationaliste
En rose : territoire revendiqué par les Tamouls.
SRI-LANKA : « Qui sont nos ennemis ? Qui sont nos amis ! »[1]
Au sujet des « liaisons dangereuses » de quelques bonnes âmes occidentales [2]
Une récente déclaration de Marie-Georges Buffet sur le Sri Lanka appelle plusieurs commentaires.[3] D’autant plus qu’elle fut accompagnée d’une participation du directeur de l’Humanité, qui fut le journal de Jean Jaurès, à une manifestation organisée à Paris par l’organisation des Tigres tamouls, et que, à la différence de Buffet qui ne fait aucunement référence aux Tigres et à leurs textes, l’organisation des Jeunes communistes, eux, sont allés jusqu’à se déclarer solidaires de cette organisation, tandis que, d’un autre côté, dans les rangs du Nouveau parti anticapitaliste dirigé par Olivier Besancenot, on entend le cri : « Nous sommes tous des Tamouls ». Nous devons donc poser la question de ce qui se passe réellement au Sri Lanka depuis trente ans, des raisons qui expliquent pourquoi, tout d’un coup, les « grands » médias occidentaux ont abordé cette question avec une telle virulence au moment même où la guerre se termine par la défaite totale des Tigres tamouls. Et nous devons aussi essayer de comprendre pourquoi tant de contre-vérités, d’omissions délibérées, d’ignorances et de ralliements sont observés au sein de ce que fut la gauche anticolonialiste française. Cette situation est-elle soudaine ? Ou résulte-t-elle d’une évolution plus ancienne ? Et quelles en seraient les causes ? Certains parlent d’électoralisme, vu l’implantation du lobby des « Tigres » en Europe, grâce à des sources de financement extrêmement puissantes, d’autres avancent l’hyper médiatisation des causes les plus « exotiques », comme c’est aussi le cas avec le culte de l’ancien chef du régime esclavagiste théocratique tibétain, des épurateurs ethniques albanais au Kosovo ou, au contraire, avec la diabolisation des résistances palestinienne, irakienne ou libanaise, sans parler de Cuba, du Soudan ou du Venezuela et d’autres « Etats voyous » décrétés.
Robert Hue[4] considérait en effet déjà que la guerre en Yougoslavie et l’implication de la France aux côtés des Etats-Unis ne méritait pas une remise en cause de la participation du parti qu’il dirigeait au gouvernement socialiste. On peut poser la question si la prise de position sur Sri Lanka n’est pas dans le droit fil de cette évolution, comme d’ailleurs le fait que le PCF fut un des rares parti communiste dans le monde à appuyer la participation de la fraction du Parti communiste irakien ramenée dans les fourgons de l’occupant au sein du gouvernement mis en place par les légions de Georges Bush à Bagdad. Aujourd’hui, après trente ans de guerre pendant lesquels on n’a pratiquement pas parlé dans ladite gauche européenne des manœuvres impérialistes et des atteintes à la souveraineté du Sri Lanka, ou encore des attentats aveugles, des assassinats politiques, de l’embrigadement des enfants-soldats, des femmes de basses castes utilisés comme kamikazes, des racket, des faveurs accordées par les gouvernements occidentaux aux Tigres tamouls (LTTE) et à leur projet séparatiste, tout d’un coup, on découvre l’existence de cette Ile de l’Océan indien, et d’un peuple : les Tamouls. Et depuis quelques semaines, voilà tant de « bonnes âmes » qui courent les manifestations et les rassemblements des Tigres pour encourager à l’ingérence, « l’ingérence humanitaire » bien sur, ce concept dont l’ancien ministre du gouvernement français de la « gauche plurielle » et actuel ministre des affaires étrangères du gouvernement français de droite, Bernard Kouchner aime à rappeler qu’il en assume la paternité.
Échéances électorales obligent, on en appelle donc à l’Union européenne qui, depuis très longtemps en fait, aux cotés de la France, de la Grande-Bretagne, de la Norvège, des USA …et des Nations Unies, sont effectivement mobilisés pour faire pression et s’ingérer dans les affaires d’un État indépendant, au mépris de sa souveraineté. Certes, ceci est conforme au nouveau système de l’ONU mis en place par la réforme Kofi Annan en 2005 et qui considère la souveraineté des États comme une survivance anachronique du passé [5]. L’ingérence humanitaire n’est que la singerie de la vieille approche néocoloniale, c'est-à-dire une politique qui ne s’applique jamais de la même manière selon que l’on soit riche ou pauvre.
Rappelons que Kouchner fut le parrain du protectorat du Kosovo, du démembrement de la Yougoslavie, puis de la Serbie. Or, le Kosovo constitue justement le modèle qui a les faveurs des Tigres du LTTE et de leurs appuis en Europe comme outre-Atlantique. Le ralliement aux thèses du séparatisme, de la partition d’État, fut-ce d’États cinq fois millénaire comme le Sri Lanka, ne semblent pas embarrasser ceux et celles qui envisagent l’Europe sous l’angle de régions bâties sur la dévitalisation des nations. Cette Europe là même que pourtant les peuples rejettent massivement, au gré des (rares) référendums et d’élections où le vainqueur est toujours le parti des abstentionnistes. Ainsi une guerre ayant lieu à des milliers de kilomètres permet d’éclairer les convictions des partisans d’une Europe fédérale des régions axée sur démantèlement des Etats.
Parfois on peut incriminer l’ignorance ou la malveillance, ailleurs, il faut rechercher la logique de ceux qui se servent d’un conflit comme celui du Sri Lanka pour aider à embrigader les populations désorientées dans la nouvelle logique mondialisée de désintégration des peuples.
La guerre au Sri Lanka, qui sont ses victimes ?
On parle ainsi du nombre de victimes de cette guerre et qui seraient exclusivement dues à l’offensive de l’armée sri-lankaise, tout en semblant ignorer que, face à cette offensive, il y avait aussi une armée, celle des Tigres du LTTE disposant de bunkers, de canons à longue portée, d’avions, d’une marine, de sous-marins, de cargos porte containers et d’un armement des plus sophistiqués, allant des radars derniers modèles à l’usage de satellites, bref, une véritable armée conventionnelle utilisant des bombes au phosphore blanc, des mines par dizaines de milliers, comme des gosses soldats de 10 à 12 ans pour monter en premier ligne, et enfin près de 300 000 pauvres gens retenus comme otages et boucliers humains, fait indiscutable que le monde entier a reconnu, y compris l’ONU. Ce que les médecins français présents sur les lieux ont confirmé.
Quant au chiffre de 6 500 morts, chiffre auquel on fait référence sans preuves aucunes, il convient de préciser qu’il a été avancé par M. Neil Buhne, représentant de l’ONU à Colombo, puis repris complaisamment en boucle par Tamil.net, le site web du LTTE puis tous les grands médias occidentaux. M. Neil Buhne a reconnu ensuite publiquement, en présence d’ambassadeurs étrangers[6], avoir exagéré ce chiffre, à n’avoir aucun début de preuves et s’être livré (pour le compte de qui ?) à des estimations à partir d’information non vérifiées. La « grande » presse occidentale n’a toutefois publié aucun démenti, et elle a continué à avancer le même chiffre, en en rajoutant au besoin. Enfin, M. Buhne a présenté ses excuses aux autorités sri-lankaises. Or ce monsieur n’en était pas à son coup d’essai. Devant autant d’irresponsabilité, son expulsion avait été envisagée.
Revenant sur cette estimation, John Holmes secrétaire adjoint des Nations Unies chargé des Affaires humanitaires a déclaré : « Ce chiffre n’a pour ce qui nous concerne aucun statut… Honnêtement nous n’en savons rien, nous n’étions pas véritablement présents de manière systématique dans la zone des combats, c’est pourquoi nous ne les avons jamais publiés ! » accusépar The Times de connivence avec Colombo, John Holmes a également déclaré : « J’éprouve de l’amertume face à ces accusations… C’est nous qui avons attiré l’attention sur le problème quand les médias ne s’y intéressaient pas beaucoup il y a plusieurs mois »[7]. On doit donc demander où les bonnes âmes en Occident puisent-elles leurs sources ?
Des victimes il y en a eu évidemment beaucoup trop. Surtout lorsqu’elles s’échappaient des griffes des Tigres à travers des champs de mines, et que ces derniers les tiraient comme des lapins.
Avant de reprendre à leur compte le chiffre de 6 500 victimes donc, ces bonnes âmes auraient été bien inspirées, « de se poser quelques questions et de chercher à réfléchir de façon rationnelle. » [8]
- Quotidiennement, la Croix Rouge Internationale (ICRC) fournit un rapport sur le nombre de gens pris en charge. Dans la période concernée, c'est-à-dire de février jusqu’à début mai, le nombre de pris en charge a été de 13 826, parmi eux 5 499 étaient des blessés et un peu plus de 8 000 des déplacés, transportés parce que les moyens du ICRC le permettaient, ce qui logiquement laisse entendre qu’il n’y avait pas plus de blessés. Le ICRC utilisant des ratios, on peut, selon sa comptabilité macabre, estimer le nombre de morts pour cette période autour de 2 500 à 3 000.
- Comme chacun est à même de le constater, dans aucun des chiffres communiqués, il n’est fait de distinction entre combattants et civils. Or, nul n’ignore par exemple que parmi les réfugiés et les blessés figurent des combattants du LTTE. Certains se sont rendus, d’autres non, et on peut supposer qu’un certain nombre se cachent parmi les centaines de milliers de civils. Par ailleurs, le LTTE ne communique jamais le nombre de ses morts et blessés, et même encore aujourd’hui, après la mort confirmée de ses principaux dirigeants et de leurs proches. Par conséquent, toutes les victimes sont considérées comme étant des civils et comptabilisés comme tels ! Cette situation est d’autant plus complexe à déterminer que nombre de civils et de victimes, y compris des enfants, ont été enrôlés de force, obligés de porter les armes alors qu’ils n’étaient qu’otages des Tigres. En particulier pendant les derniers combats de Puthukudiyirippu.
- Le 26 janvier dernier, le gouvernement sri lankais a mis en place la première « no fire zone », puis a décidé de suspendre les tirs à l’arme lourde pour épargner les civils. Niel Buhne a d’abord attribué les tirs sur ceux-ci à l’armée sri lankaise, puis celui-ci s’est une nouvelle fois rétracté pour les attribuer aux LTTE. L’évêque de Jaffna s’est engagé à ce moment à demander au gouvernement l’élargissement de cette zone, et aux Tigres d’en retirer leurs canons de longue portée. Ce qu’ils se sont bien gardés de faire !
- Le gouvernement sri lankais est par ailleurs engagé depuis plusieurs mois dans un programme de réhabilitation des enfants soldats, tout comme d’ailleurs des combattants plus âgés, c’est d’ailleurs une de ses priorités. 9 000 combattants du LTTE se sont rendus. Ce programme existe depuis des mois, donc bien avant la fin de la guerre et il est conduit en commun par les autorités sri lankaises et les agences spécialisées de l’ONU : PNUD, UNICEF, l’OIT et des organisations internationales comme l’Organisation internationale des Migrants (IOM).[9] Pourquoi ne pas en parler dans les « grands » médias abordant la situation ?
Toutes ces informations sont vérifiables, et les ignorer délibérément relève donc de la malveillance. Cette façon de nuire autant de la part des médias que des politiciens est d’autant plus sordide qu’elle utilise la comptabilité des morts au Sri Lanka tout en fermant les yeux sur le martyr des Palestiniens de Gaza et leurs bourreaux israéliens, sur le million de morts en Irak lors de l’embargo, dont 500 000 enfants affamés, ceux-là mêmes dont Madeleine Albright aimait à dire à la tribune du Conseil de sécurité de l’ONU qu’il y a des sacrifices inévitables et parfois nécessaires. Enfin ne parlons pas ici de ces dégâts « collatéraux » en Afghanistan, en Irak et au Pakistan et pour lesquels on attend toujours des commentaires de la part de Barack Obama avec un début de repentance, puisque celle-ci est dorénavant à la mode.
On a vraiment l’impression que les bonnes âmes politiciennes qui prennent la parole en Occident sur la question du Sri Lanka n’ont jamais entendu parler des Tigres, et de leurs activités, puisqu’il y est rarement fait référence. Ces mêmes âmes aiment en revanche pleurnicher avec Ingrid Betancourt et dénoncer l’inhumanité prétendue des FARC de Colombie.
Sri Lanka : aux origines d’une guerre de 30 ans
Il faut donc rappeler qui sont les Tigres du LTTE et les origines de ce conflit.
Les Tigres représentent en fait les intérêts de la petite bourgeoisie tamoule du nord du Sri Lanka, au centre duquel se trouve la ville de Jaffna. Ceux des propriétaires terriens aussi qui se sont accaparés des terres des Tamouls pauvres de l’est du pays et dont les intérêts sont entrés après l’indépendance[10] en contradiction avec ceux de la bourgeoisie cingalaise. Tout cela sur le dos donc de tous les Sri Lankais, qu’ils soient Tamouls, Cingalais, Musulmans, Burghers[11] ou Malais. Les Tamouls représentent environ 17% de la population du Sri Lanka et vivent dans l’ensemble du pays. Plus de 55% résident en dehors du nord du pays où ils forment la majorité. Ils sont fortement intégrés aux Cingalais, aux Musulmans, aux Burghers et aux Malais qui forment la population sri lankaise depuis des siècles. Les couples mixtes sont courants, en particulier à l’Est et au Sud, et on ne peut donc accepter les dires selon lesquels les Tamouls seraient des citoyens de seconde zone, car cela démontre seulement une ignorance sur ce qu’est la réalité présente et l’histoire du Sri Lanka.[12]
Il existe des problèmes au Sri Lanka et donc des revendications légitimes de la part des Tamouls. Celles-ci sont nées au moment de la politique dite de « Sinhala only[13] » formulée, soutenue et imposée par le conservateur J.R Jayawerdene à la fin des années 1950 et qui s’est accompagnée de mesures discriminatoires élaborées par les gouvernements de droite dans les domaines de la langue, de l’éducation, des services publics. Cette conception avait été combattue à l’époque par Colvin R. De Silva, un des dirigeants historiques du LSSP. A qui l’on doit la fameuse phrase : « une langue deux nations, deux langues une nation »[14]. Ces orientations ont en partie été corrigées, et le Sri Lanka compte aujourd’hui 3 langues officielles : le cingalais, le tamoul et l’anglais, les documents officiels doivent être rédigés dans ces langues, les fonctionnaires ont obligation de les parler. Le Sri Lanka est avec l’état indien du Tamil Nadu[15] le second pays au monde où le tamoul est une langue officielle. Pour autant, demeure de nombreux problèmes qui sont à l’origine de sujets d’insatisfaction réels. D’autant que la politique d’ouverture ultra libérale lancée en 1977 a contribué à appauvrir les paysans du Nord et de l’Est, confrontés aux prix de dumping des sociétés multinationales et aux exigences de la Banque mondiale qui avait soutenu la construction du barrage de Mahaweli ayant aussi pour objectif de modifier la démographie de la province de l’Est par des transferts de population.
Il faut ajouter à cela que les gouvernements de droite ou nationaliste ont cherché à de multiples reprises, et pour des raisons électorales, à opposer les Cingalais aux Tamouls, comme en 1983 en appliquant la leçon que leur avait enseignée les colonisateurs britanniques : « diviser pour régner ».[16] Et donc, « La guerre au Sri Lanka est aussi l’héritage laissé par les colonisateurs britanniques »[17]. Il est évident que cette situation n’a pas été sans créer un terrain fertile aux agissements des Tigres, et des puissances impérialistes.
Personne ne nie donc tous ces problèmes, à commencer par le Président Mahinda Rajapaksa, élu depuis décembre 2005. C’est pourquoi celui-ci a toujours défendu l’idée d’une importante dévolution de pouvoirs pour les provinces du Nord et de l’Est, dans le cadre d’un Sri Lanka souverain et unitaire, comme le prévoit d’ailleurs le 13ème amendement de la constitution sri lankaise, qui est déjà appliqué dans tout le reste du pays. Sauf au Nord donc, en raison du conflit.
On peut comprendre que, après trente ans de guerre, les Tamouls du Nord et de l’Est du pays, et tout particulièrement ceux qui ont subis la dictature des Tigres soient traumatisés et plus que jamais vulnérables. « Celui qui s’autoproclamait leur Messie les a conduit en enfer », et l’on peut dire que pour certains, « ils sont un peuple qui a peur d’espérer ».[18]
Ce à quoi Mahinda Rajapaksa répond « Mon devoir est de protéger le peuple tamoul de ce pays. Tous, nous devons vivre avec les mêmes droits sans peur et sans suspicion à l’égard de l’autre. C’est mon ambition ! Construisons ensemble cette nation ! »[19]
En fait, le présent gouvernement est le premier à prendre radicalement le contre-pied de ce qui a précédé, et c’est sans doute pour cela que les Occidentaux le mette aussi violemment en cause.[20] C’est lui qui a affirmé de façon claire que tous les Sri Lankais sont égaux, « la seule division dit-il étant entre patriotes et non patriotes ». Il est d’ailleurs significatif que depuis la fin du conflit, le pays ne soit le lieu d’aucune manifestation triomphaliste ou chauvine, encore moins à des discours extrémistes. Dans tous les propos du Président revient comme un leitmotiv : l’unité, le rassemblement et l’égalité de tous les Sri Lankais.
Depuis les années 1970, la réalité est devenue contrastée. D’ailleurs si l’on trouve un grand nombre de Sri Lankais d’origine tamoule parmi les professions libérales et les fonctionnaires, il faut ajouter à ce fait indiscutable un autre dont on parle rarement : celui des Tamouls des plantations de thé qui sont près d’un million et qui vivent dans le centre montagneux du pays. Issus des castes les plus basses, exploités parmi les exploités, le LTTE ne s’est jamais préoccupé de la libération sociale de ces Tamouls là, malgré leur nombre et leur concentration. C’est pourquoi il est intéressant de noter pour une organisation qui se réclame de la libération nationale de son peuple, que celle-ci ne fait jamais mention dans ses déclarations, ses textes et surtout ceux de son chef, de justice et de développement social. C’est sans doute pourquoi les Tamouls des plantations refusent d’entendre parler d’un État séparé. Leur revendication principale est d’achever leur intégration au sein de la population sri lankaise, après qu’ils aient été déportés comme quasi-esclaves du sud de l’Inde par le colonisateur britannique. Ne les a-t-on pas considéré pendant près d’un siècle comme apatrides ?
Qui sont les Tigres du LTTE ?
Les Tigres sont nés en 1975, pour partie en venant des rangs du Tamil New Tigers (TNT), [21]et pour partie du Tamil United Liberation Front (TULF), un parti politique modéré, libéral, représentatif de l’élite tamoule du Nord, qui s’était assignée comme but la création d’ un État séparé, mais sans jamais tirer les conséquences de leur choix ; les Tigres ont repris à leur compte cet objectif, mais en faisant le choix de l’accomplir par la lutte armée. Ils ont revendiqué d’emblée être l’unique et seul représentant du peuple tamoul et de pouvoir parler en son nom exclusif. Ce qui les a conduit fort logiquement à éliminer physiquement les militants politiques tamouls qui leurs étaient hostiles, à commencer par le maire de Jaffna, Alfred Duuryappa, et les deux autres maires qui lui ont succédés, crimes qui pour le premier portait la signature personnelle du chef des Tigres : Prabhakaran lui même, et de son entrée en politique. Puis les Tigres ont assassiné les dirigeants du TULF, Amirthalingam et Yogeswaran, et bien d’autres Tamouls, des personnalités politiques progressistes indépendantes, des journalistes, des poètes, des intellectuels qui, comme le constitutionnaliste de renom Neelan Thiruchelvam en 1999 ou le dirigeant de la gauche Ketesh Loganathan en août 2006, avaient le malheur de contester aux Tigres la prétention de parler en leur nom [22].
Dans les années 1980, on assista au retour en force de la droite au pouvoir au Sri Lanka[23]. Celle-ci a mis le pays à feu et à sang, dans une étroite connivence avec les pays occidentaux. De cette période-là datent les pogroms anti-Tamouls de 1983, encouragés et organisés par le gouvernement conservateur du Président Jayawardene, soutenu par les USA, la Grande-Bretagne et Israël.
Les accords Indo-Sri Lankais
En 1987, Rajiv Gandhi décida d’intervenir militairement pour ramener l’ordre dans un Sri Lanka en proie à la violence.[24] L’Inde était tout à la fois préoccupée par l’existence d’un gouvernement pro-US à Colombo, par la présence d’instructeurs et de mercenaires britanniques ou du Mossad israélien, ainsi que par l’agitation des groupes armés, dont le LTTE n’était pas un des moins actifs. Sur recommandation d’Indira Gandhi, ce dernier comme d’autres groupes, avait été formé et entraîné au départ quelques années auparavant par l’armée indienne elle-même. De plus, il y avait alors la situation interne en Inde : la crise du Parti du Congrès, les affaires de corruption impliquant ministres et CIA, les succès des communistes du CPI-M[25] qui dirigaient dorénavant plusieurs états, dont le Kerala et le Bengale occidental, l’état le plus peuplé de l’Inde.
L’Inde allait donc intervenir militairement pour ramener l’ordre. Pour la forme, à la demande de Colombo, elle allait ainsi imposer ce qui allait rester dans l’histoire comme les accords Indo-Sri Lankais. L’ensemble des partis politiques, cingalais, tamoulsou musulmans, de gauche comme de droite, allaient donner leur approbation à ces propositions bien qu’avec des réticences. Tous, à l’exception …des Tigres. Finalement, les accords ne furent jamais réellement appliqués, car le LTTE allait bluffer Rajiv Gandhi. Prabhakharan exigeant du Premier ministre indien plusieurs garanties pour son mouvement ; les discussions allèrent bon train entre celui qui apparaît avec le recul, comme un retors, et un naïf, Rajiv Gandhi.
Il est prévu dans ces textes une importante dévolution de pouvoir aux provinces du Nord et de l’Est qui devaient fusionner et il était aussi prévu d’accorder au LTTE, l'’administration, et à Prabhakaran le poste de chef du gouvernement de la nouvelle province Nord/Est, dorénavant à majorité tamoule. Enfin, le caractère de foyer du peuple tamoul de ce territoire devait être reconnu. Rajiv Gandhi s’engagea personnellement dans des discussions directes le 27 juillet 1987 à New Delhi avec Prabhakaran et Anton Ballasingham l’idéologue du LTTE. Il donna son accord également pour fermer les yeux sur l’élimination des dirigeants du EPRLF[26].
Toutefois, l’Inde mit plusieurs conditions : cette reconnaissance des revendications des Tigres tamouls devait s’accompagner du désarmement de tous les groupes armés. Il était prévu dans un additif à l’accord : la non utilisation par une puissance étrangère du plus grand port en eau profonde de toute l’Asie, situé dans la province de l’Est: Trincomalee, dont l’aménagement devait à l’origine être confié à des entreprises US travaillant étroitement avec le Pentagone, ainsi qu’un terme mis à l’hostilité des programmes de la radio « Voice of America » complaisamment installée par le pouvoir de droite pour le compte de la CIA et de l’allemande
Deutsche Welle et qui servaient aussi à brouiller les émissions radios des militaires indiens, comme à couvrir de propagande anticommuniste visant les pays socialistes de la région, dont la Chine.
Loin de faire cesser l’agitation, ces accords allaient paradoxalement contribuer à favoriser à Sri Lanka un front anti-indien, formé d’une partie du gouvernement de droite[27], du JVP [28] et des Tigres du LTTE, ce qui allait déboucher finalement sur le départ humiliant des forces militaires indiennes, la 4ème armée du monde par le nombre d’hommes. La force armée indienne de maintien de la paix renvoyée chez elle, on allait ensuite assister à un partage du travail entre le LTTE et le gouvernement du Président Premadasa qui succéda au Président Jayawardene qui était du même parti, mais qui était jugé trop complaisant vis-à-vis de New Delhi.
Le nouveau gouvernement conservateur, avec les encouragements de Washington, allait s’employer à liquider physiquement la gauche cingalaise, avec l’appui des pays occidentaux, pendant que le LTTE disposant alors, lui, de l’aide logistique de l’armée sri lankaise allait s’occuper de la liquidation physique et méthodique de la gauche tamoule. Ainsi, les dirigeants de ces organisations : PLOT, TELO, EPRLF, EROS,[29] furent quasiment tous éliminés. On a peine à imaginer dans nos contrées des méthodes comme l’assassinat à la mitrailleuse et par leurs « nouveaux amis » du LTTE de tout le Comité central du EPRLF, moins un de ses membres, lors d’une de ses réunions clandestine et du meurtre de 175 dirigeants du TELO en moins de 24h. « La nuit des longs couteaux » avait fait des émules chez les Tigres. Dans la foulée, le LTTE et la droite après s’être retournés contre la gauche s’attaquèrent ensuite au JVP. Résultats de ces tueries successives : 50 000 morts et disparus. Cene furent pas les seuls : Rajiv Ghandi fut lui-aussi assassiné en 1991 par les Tigres, et en 1993, ce fut le tour du Président Premadasa, qui avait pourtant un temps été leur allié, puis plus tard, ils ratèrent de peu la propre fille de Sirimavo Bandanaraike : la Présidente Chandrika Kumaratunga, dont l’époux Vijaya, artiste et militant de gauche, leader national, fut quant à lui assassiné en 1989, probablement sur ordre de la CIA, inquiète de sa popularité politique tant chez les Tamouls que chez les Cingalais qu’il voulait rassembler sans discriminations.
À cette époque, celui qui défendait les droits de l’homme et élevait la voix dans les institutions internationales contre ces massacres était lui-même un militant traqué par les tueurs. Il s’était fait l’avocat des « Mères des disparus » à un moment où il fallait du courage pour s’assumer ainsi publiquement. Il était l’héritier politique de Mme Sirimavo Bandaranaike et s’appelait Mahinda Rajapaksa. Dans les années 1960, celle-ci avait succédé à son mari, le premier ministre Bandaranaike, assassiné par un moine bouddhiste nationaliste cingalais chauvin. C’est elle qui a donné son nom de République socialiste au Sri Lanka[30] et ce fut une des fondatrices du Mouvement des Non-Alignés aux cotés de Fidel Castro, Nehru, Tito, Nasser, Sukarno, Chou en lai, Nyerere, N’Krumah, Kenyatta. Mahinda Rajapaksa est aujourd’hui Président du Sri Lanka et à la tête d’un gouvernement qui compte des communistes, des trotskistes, des marxistes, des personnalités indépendantes et même des libéraux qui ont quitté l’opposition pour le rejoindre.
The « Eelam entreprise »
Tout au long de ces années et bénéficiant du soutien de Tamouls pour certains fort riches expatriés aux USA, Canada, Australie comme dans plusieurs pays européens, de solides lobbies se sont mis en place au bénéfice du LTTE. Celui-ci devient rapidement une puissance financière sans pareil, grâce à une diaspora lui permettant de disposer quasiment d’une armée conventionnelle. Le LTTE infligea d’ailleurs de sérieux revers à l’armée sri lankaise. Ses relations étroites avec les gouvernements occidentaux sont de notoriété publique. Certains de ses cadres militaires furent alors formés secrètement par l’armée norvégienne et par d’autres ; en Thailande notamment.
Fin 1990, et pour la forme, on allait placer le LTTE sur la liste internationale des organisations terroristes, mais dans leur cas, aucun gouvernement occidental n’en tirera aucune conséquence pratique, à l’exception de quelques lampistes pour donner le change. Pour être retiré de cette liste en principe infamante, le LTTE utilise ses relais et fait pression à coups de millions de dollars pour obtenir un vote positif des membres du Congrès US, la même méthode est utilisée au Parlement britannique. Des ONG et des journalistes sont commis d’office, mobilisés et sollicités dans ce sens. Lors de la campagne des primaires d’Hillary Clinton on a ainsi découvert qu’un des importants financiers trésoriers du LTTE finançait la candidate démocrate. Le scandale a été tel qu’elle a du refuser l’argent et rendre ce qui lui avait été versé. On a ainsi compris beaucoup mieux ses déclarations condamnant le gouvernement sri lankais et faisant la part belle aux séparatistes. Secrétaire du département d’Etat, elle n’a cessé depuis de menacer le Sri Lanka de sanctions et de mesures coercitives, en particulier « celles consistant à bloquer des emprunts auprès des institutions financières internationales dont le FMI ».[31] Aussi à quelques jours du dénouement de la guerre, on ne s’étonnera pas d’avoir vu Washington proposer que Prabhakaran et son gang « ne se rendent pas aux autorités sri lankaises mais à un tiers (sic…). »[32] L’U.S Navy avait ainsi fait valoir sa disponibilité pour une « intervention humanitaire » dans la zone de guerre. Négocier dans ce sens, et à « l’intervention humanitaire » se serait vite substitué une «ingérence » tout court, dont on peut mesurer ce qu’en auraient été les conséquences.[33]
Donc les dollars ne manquent pas aux Tigres qui bénéficient d’un total laissez faire dans de nombreux pays comme la Suisse, les pays scandinaves, la Grande-Bretagne, les USA, le Canada, l’Australie, l’Allemagne et la France. La dernière chaîne de TV des Tigres est ainsi relayée par un satellite français avec l’accord tacite de Sarkozy. «L’Eelam business» est devenu florissant,[34] non sans avantages et sans intéressements pour ceux qui facilitent les opérations des Tigres. L’extorsion de fond, les trafics en tout genre : drogue, cartes de crédit, armes, impôt obligatoire imposés aux entreprises comme aux individus sous peine de représailles, règlements de compte ont ainsi fait l’objet et pendant des années de la plus parfaite impunité…
De multiples organisations écrans, comme le TRO, d’ONG, d’oeuvres de charité comme The Tamil Refugees Training, etc. ont permis d’organiser à une échelle mondiale le racket des Tigres à l’égard des plus modestes comme des plus riches des Tamouls, et de bien d’autres abusés par la rhétorique d’une organisation caméléon pouvant selon les circonstances épouser tous les programmes politiques accessibles, pour peu que cela lui rapporte. Chaque événement, même le plus tragique, comme le tsunami, a donné ainsi lieu à une collecte de fonds pour un LTTE qui est devenu maître dans l’organisation d’une confusion savamment distillée et qui sait passer de la solidarité humanitaire au soutien politique et idéologique.
Une ancienne membre des Tigres, Nirmala Rajasingam,[35] dont la sœur médecin et militante des droits de l’homme à Jaffna fut assassinée par le LTTE a récemment souligné combien politique et finance avaient complètement fusionné en une « Eelam entreprise», permettant d’assurer le trafic d’armes comme une vie luxueuse pour les dirigeants de l’organisation jouissant de villas, piscines, voitures blindées, téléphones satellitaires, comme on vient de le découvrir dans les zones du Wanni que les Tigres contrôlaient depuis des années. Une véritable Mafia fonctionnant par la terreur et le culte du chef : « the Sun God» le dieu soleil, comme aimait à se faire appeler Prabhakaran qui aimait être comparé à une divinité hindoue. A titre d’exemple, les seuls profits tirés du racket du LTTE ont été estimés annuellement à 320 millions de dollars US[36].
Le recrutement forcé constitue un autre aspect de l’activité des Tigres. Pendant que les enfants de Prabkharan font leurs études dans les meilleurs collèges anglais, ou en Irlande pour son fils/dauphin Charles Antony, les familles tamoules dans les territoires contrôlés par le LTTE doivent fournir un enfant puis deux pour les rangs de son armée ou pour ses commandos suicides : « les Blacks Tigers ». Des enfants militarisés, faisant irrésistiblement penser aux « Hitler Jugend » munis de leur capsule de cyanure autour du cou et envoyés des leur plus jeune âge au combat en première ligne, fanatisés au sein des « baby brigade » au point d’être utilisés également comme kamikazes et suicide bomber, quand on ne recoure pas aux femmes enceintes et aux handicapés. Tous et toutes sont bien sur et en priorité issus de basses castes, d’autant que Prabhakharan ne plaisante pas avec ce système rétrograde que combattait Gandhi. C’est ainsi que les Tigres LTTE sont devenus les précurseurs historiques des attentats suicides. Des observateurs de l’histoire contemporaine sri lankaise et des journalistes ont conclus récemment que pendant toutes ces années, cette organisation que certains n’hésitent pas à qualifier de fasciste et de raciste que fut le LTTE et qui aura terrorisé son propre peuple aura « paradoxalement tué davantage de Tamouls que de Cingalais »[37].
Le modèle du Kosovo et de l’UCK
En février 2002, les Occidentaux ont commencé à accentuer leur pression afin que le gouvernement ultra libéral de Ranil Vrimasijnghe signe un accord de cessez le feu avec les Tigres. Cet accord consacra alors une véritable capitulation de la part de Colombo. Les Norvégiens, pour le compte des Etatsuniens et des Européens, firent en sorte d’y contribuer, tous pressés qu’ils sont d’utiliser le Sri Lanka comme plate forme dans un contexte de guerre économique au plan international. Le retour en force de la Russie, une Chine plus entreprenante que jamais et une région en plein bouleversement s’ouvrant sur l’Afrique et l’Amérique Latine, la perspective de la guerre en Irak et l’instabilité de l’Afghanistan furent autant de motifs d’interrogations et de raisons d’intervention pour les stratèges de l’impérialisme.
Dans ces conditions, la partition du pays fut sérieusement envisagée et des assurances furent données à Prabhakaran à ce sujet, le Kosovo faisant déjà référence « surtout depuis que l’ONU l’a confié à B. Kouchner »[38]. Les discussions allèrent assez loin puisque le Finlandais Marti Ahtissari, la véritable cheville ouvrière d’une indépendance du Kosovo décrétée unilatéralement, allait être pressenti comme négociateur. Il débarqua à Colombo introduit par un des conseillers de la présidente Kumaratunga dont les liens avec la France sont bien connus. Le Tamoul Lakshman Kadirgamar, ministre des Affaires étrangères, brillant intellectuel internationalement reconnu, s’opposa à ce choix, il allait être assassiné par un sniper du LTTE.
S’agissant de l’histoire du Kosovo on connaît la suite[39]. Vladimir Poutine pourra dénoncer « le caractère immoral et illégal », les pays occidentaux ont décidé de passer outre et aujourd’hui, c’est l’ancien chef du Kosovo Libération Army (KLA) organisation largement considérée par les observateurs comme terroriste et mafieuse, qui dut son développement aux services de renseignement occidentaux, qui dirige dorénavant et simultanément les affaires du gouvernement et de ses réseaux économiques souvent assimilés à des gangs s’occupant de drogue, prostitution, armes, extorsion. Comme les pays occidentaux ne semblent pas intéressés à enquêter sur les activités d’un « gouvernement » en place dans un territoire qu’ils occupent pourtant militairement, on peut comprendre pouquoi, pour Prabhakaran, le Kosovo devint un modèle.
En Février 2002, les conquêtes des Tigres représentaient pratiquement 1/3 du territoire sri lankais… On avait seulement un besoin urgent d’accord entre le gouvernement et le LTTE pour permettre au « business » de se mettre sur les rails.[40] Eric Solheim, ancien responsable norvégien d’une ONG, devenu ministre et facilitateur des accords Colombo/LTTE, en parle encore avec nostalgie[41]. La situation était alors rendue d’autant plus propice à cet échafaudage que le Premier ministre Ranil Vickremasinghe, dit « le looser », se disait prêt à tout accepter de ses amis libéraux européens et étatsuniens.
Comme ce fut le cas en d’autres temps et dans d’autres conflits, le LTTE allait utiliser le cessez le feu pour se réorganiser, multiplier les contacts internationaux, chercher des garanties, donner des assurances à ses partenaires occidentaux et se réarmer jusqu'aux dents, au point de se doter d’une petite flotte d’avions et de sous marins. Le détournement de l’aide internationale à travers des centaines d’ONG locales et internationales fait de cette période une époque bénie par tout le Panthéon des divinités hindoues.
Toutefois, le laisser faire de Ranil Vickremasinghe allait précipiter les événements, car il perdit les élections générales. Le poste de Premier ministre revint alors au chef de l’opposition, dirigeant du SLFP, Mahinda Rajapaksa. Les élections présidentielles étaient en vue, dans ce pays dont la constitution avait été copiée par la droite sri lankaise en 1977 sur celle de la 5ème République française. Kumaratunga ne peut se représenter ! Par ailleurs elle est totalement discréditée par la corruption. Il y a longtemps que celle-ci a oublié l’héritage politique progressiste de ses parents : les Bandaranaike. Décembre 2005, Mahinda Rajapaksa est élu de justesse, mais il bat le libéral, « l’éternel perdant » Ranil Vrikamasinghe, ami de Nicolas Sarkozy.
Mahinda Rajapaksa et les défis du LTTE
Mahinda Rajapksa est un homme d’une grande simplicité, jovial, progressiste, populiste. Son père fut avec Bandanaraike l’un des fondateurs du SLFP[42], et, comme lui, il est très attaché aux valeurs d’indépendance et de souveraineté. Ami des Palestiniens, il est le seul homme d’État au monde dont une rue de Ramallah porte son nom. Il est aussi le parrain du groupe d’amitié parlementaire Cuba/Sri Lanka. La bourgeoisie de Colombo le raille, car il n’a pas fréquenté St Thomas et le Royal college, les écoles de l’élite. Pour répliquer à l’ambassadeur britannique qui prétendait « que l’origine des problèmes du pays était lié au fait qu’on y parlait mal anglais », Mahinda Rajapaksa répondit non sans humour en s’adressant à l’Assemblée générale des Nations Unies en cingalais et tamoul.
Les Tigres allaient dès lors violer de façon systématique les accords de cessez le feu, dans des proportions folles : 15 fois supérieure à l’armée sri lankaise selon les observateurs internationaux. L’élection de Mahinda Rajapaksa allait coïncider avec la première grande attaque que les Tigres lancèrent depuis la trêve. Ils multiplièrent les attentats au sein de la population civile. Par ailleurs, une tentative d’assassinat du nouveau Chef d’Etat-major, le Général Sarath Fonseka, a manqué d’aboutir, il lui fallut six mois pour récupérer de ses blessures ! Les provocations se multiplièrent mais les Occidentaux observaient et laissaient faire. L’armée sri lankaise était en position défensive.
En février 2006, les négociations reprirent à Genève, elles échouèrent, le négociateur norvégien, au nom des Occidentaux, perdit toute crédibilité en jouant ouvertement la même partition aux cotés des Tigres. Les attentats suicides redoublèrent alors. En juillet, les Tigres fermaient les vannes d’un réservoir à Mavil Aru dans la province orientale de l’Ile, et privèrent d’eau plus de 70 000 personnes, obligeant le gouvernement et l’armée à intervenir pour éviter une catastrophe humanitaire… Le 15 juin 2006, une mine détruisit un bus à Kebititgollawa : 64 civils furent tués, des femmes enceintes, des enfants, des moines. Cette violence, loin de s’arrêter, allait se multiplier et frapper aveuglément avec l’objectif de pousser la communauté cingalaise à s’en prendre à la communauté tamoule.
Le gouvernement fut alors accusé par la droite, les ONG et les gouvernements occidentaux, tantôt de laisser faire, tantôt de provoquer les attentats, tantôt de réprimer leurs auteurs sans discernements. Ranil Vickremasinghe, le chef de l’opposition de droite, fit alors le tour des capitales occidentales pour convaincre « que les libertés publiques sont menacées et l’économie du pays quasiment ruinée ». Ces initiatives ne firent qu’apporter de l’eau au moulin des Tigres. Elles contribuèrent à renforcer leur stratégie, en poussant aux affrontements inter communautaires. Elles échouèrent, les Sri Lankais firent preuve d’un sang froid qui força l’admiration de nombreux observateurs. Le discours unitaire et tolérant du Président fut dès lors de mieux en mieux entendu. Isoler les Tigres, mettre un terme au terrorisme. Pour cela, l’armée devait être réorganisée, et être dirigée autrement. Sa stratégie devait être totalement revue. Ce fut le travail du général Sarath Fonseka, et du propre frère de Mahinda Rajapaksa : Gothabaya Rajapkasa, devenu secrétaire à la Défense.
Cette exacerbation de la violence commise par les Tigres n’alla pas sans contribuer à un rejet grandissant du LTTE dans la communauté tamoule, ni sans provoquer des contradictions au sein même de l’organisation. Prabhakaran avait pris l’habitude de régler les problèmes d’une façon expéditive pouvant rappeler le film du Don Corleone dans le « Parrain ». Plusieurs de ses lieutenants ont ainsi payé de leur vie ces méthodes, comme Suthumali Pattkunam. Mais cette fois, la crise qui éclata au sein du LTTE eut des conséquences lourdes. Le Colonel Vinayagamoortrthi Muralitharan alias Karuna, chef des Tigres de l’Est, et numéro 3 de l’organisation fit sécession avec 6 000 de ses hommes. Il allait ouvrir des négociations avec le gouvernement central, contribuant ainsi à libérer la province de l’Est, puis à transformer sa propre organisation en un parti politique, à rendre les armes, et à intégrer la vie politique sri lankaise. La province de l’Est, complètement libérée du LTTE, on put y organiser des élections en 2007, et elles furent gagnées par les listes du SLFP et celles du parti de Karuna. Le parti de droite UNP s’effondrant, et toutes les élections provinciales qui suivirent furent largement gagnées par le parti du Président et ses alliés du People’s Alliance. Mahinda Rajapaksa proposa alors au poste de chef du gouvernement de la province Est, un ancien « enfant soldat » du LTTE et un des lieutenants de Karuna. Quant à celui-ci, il est devenu membre du gouvernement central et son organisation politique a rejoint les rangs du SLFP en 2009.
Sur le plan politique, mais aussi sur le plan militaire, l’initiative a progressivement changé de camp. Les Tigres se sont cramponnés à leur territoire, mais petit à petit, ils durent reculer et céder du terrain. À plusieurs reprises, Mahinda Rajapaksa proposa à Prabakaharan une rencontre en tête à tête. Celui-ci ne daigna même pas répondre. Lorsque le porte parole des Tigres fut victime d’un grave incident cardiaque, le Président lui envoya un hélicoptère, le fit soigner à Colombo par les meilleurs spécialistes puis le renvoya dans les territoires que contrôlaient les séparatistes. Rien n’y fit. Les attentats se poursuivirent. Cette fois, le LTTE utilisa des avions pour bombarder la capitale et l’aéroport international, les médias occidentaux tournaient en dérision l’armée sri lankaise, et tous de s’émerveiller sur ces Tigres que les spécialistes occidentaux « ès terrorisme » présentaient comme « si imaginatifs » imbattables et quasi invincibles. L’évolution des événements allait pourtant les contredire, réduisant leur expertise à peu de choses, sinon à rien !
En fait, il apparut de plus en plus évident que le LTTE n’avait nullement l’intention de négocier. Apres la disparition d’Anton Balasingham, leur idéologue qui mourut d’un cancer, puis plus tard de S.P. Thamilselvan, négociateur et chef de l’aile politique dans un raid aérien de l’armée sri lankaise, Prabhakharan fit le choix d’une véritable fuite en avant. Le LTTE évolua vers un comportement de secte fanatique, dont la finalité était d’exister pour elle-même et pour se reproduire indéfiniment par la terreur qu’elle imposait aux Tamouls sous son contrôle de type totalitaire. Son objectif d’État séparé étant non négociable, le chef des Tigres vida de tout contenu la moindre possibilité de discussion et de négociation. Pour Prabhakaran, les discours annuels du « Heroe’s Day » furent l’occasion de véritables proclamations racistes anti-cingalaises et anti-bouddhistes. Il voulait entretenir idéologiquement l’idée que le peuple tamoul est victime d’un génocide et la prochaine victime d’un holocauste. Les multiples relais et les lobbies qui financent la diaspora dans les pays occidentaux relayent ses incantations, pourtant largement contredites par la réalité.
Image, émotion et stratégie impérialiste
Les médias occidentaux et un nombre non négligeable d’ONG participent à ce qui s’apparente pour beaucoup à un délire depuis les palaces 5 étoiles de Colombo. On infantilise totalement des millions de gens abreuvés presque quotidiennement par les images chocs de ces réfugiés du tiers monde au quatre coins de la planète soumis à la barbarie de leurs dirigeants. « L’image envahissante, privilégie l’émotion aux dépens de la raison »[43]. Combinaison rêvée pour celui qui veut légitimer une guerre, une ingérence au nom des raisons humanitaires sans faire référence à un cadre historique comme celui du Sri Lanka et dans des conditions où il faut cacher les enjeux géostratégiques globaux par rapport à la région, par rapport au pays qui lui apparaît comme le champ d’application de stratégies beaucoup plus vaste.
« Privilégier l’émotion, c’est multiplier un certain type de reportage ayant pour but d’entretenir la compassion pour les victimes »[44], plus exactement pour les victimes élues et non pour celles dans le camp du « méchant », par la diabolisation de l’adversaire et la glorification de ceux qui ont pour tâche de le terrasser. Et pendant que l’émotion est excitée, la réflexion et le sens critique s’émoussent.
Le Sri Lanka dont la population est bouddhiste à 70%, religion sous d’autres cieux présentée comme irrémédiablement pacifiste, est frappé par ces campagnes incessantes qui visent à le culpabiliser, à le faire douter, à l’affaiblir sur le plan politique autant que économique. En fait, cela renvoie à un débat ouvert voici quelques années par la publication à Washington d’un rapport sur « l’autodétermination dans le nouvel ordre mondial ». Il a été écrit par la Carnegie Endowment, une fondation privée proche de Bill Clinton et de Al Gore.[45] Le but de ce rapport est de récupérer le principe politique du droit des peuples à l’autodétermination pour en faire un outil au service de la stratégie américaine. Ce principe met en cause la stabilité des États et heurte le principe de l’inviolabilité des frontières. Il n’en est pas moins récupéré à la faveur de la destruction de l’autonomie économique dans le cas des pays les plus faibles comme de la décomposition des États multinationaux après l’effondrement de l’URSS, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. C’est dans ce double processus que l’on a vu ressurgir voici quelques années la question nationale à une grande échelle. Les Nord-Américains ont vite compris tout le profit qu’ils pouvaient tirer de cette situation pour faire avancer leur stratégie générale. « Le retour de la question nationale dans des conditions chaotiques et souvent explosives fournit aux Etats-Unis le parfait prétexte pour intervenir au nom de l’autodétermination et du respect des droits de l’homme dans les affaires intérieures des Etats étrangers. »[46]
Il n’a pas été difficile pour la Fondation Carnegie et les autres « think tank » stratégiques de prévoir que la revendication d’indépendance par une minorité nationale, et la répression qu’elle susciterait de la part d’un État, seraient suivies de conflits armés nécessairement attentatoires aux doits de l’homme. « Quand une revendication d’autodétermination déclenche un conflit armé qui se transforme en crise humanitaire, l’exigence d’apporter de la nourriture, des médicaments et l’abri aux milliers ou aux millions de civils devient un impératif auquel on ne peut plus échapper. Un nouveau rejet radical de telles tragédies humaines fait dorénavant son apparition dans le monde d’après guerre froide et redéfinit le principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats ». La Fondation Carnegie allait plus loin, et s’interrogeait : comment les Etats-Unis doivent procéder ? « Ils doivent chercher, répondait-elle, à construire un consensus autour de leur position au sein des organisations régionales et internationales, mais ils ne doivent pas sacrifier leur propre jugement et leurs propres principes si un tel consensus faisait défaut »[47]. Avec une telle vision, c’en était évidemment terminé des institutions et des principes nés après la Seconde Guerre mondiale, dont la Charte des Nations Unies constitue le fondement. Il fallait une réforme des Nations-Unies pour donner une apparence de légalité à tout cela. Elle a été faite dans ce but.
Pour peu que les médias fonctionnent sur le mode de l’émotion et de l’instant, les sensibilités de millions de téléspectateurs peuvent dorénavant être chauffées à blanc et donner naissance à une demande « d’ingérence humanitaire ». C’est pourquoi la vision prétendue morale, émotionnelle et opportuniste de beaucoup de dirigeants politiques se prétendant progressiste s’apparente plus à cette vision désuète et passéiste de l’ordre du monde, colportée par les médias et qui ne voit celui-ci qu’à travers l’uniformité d’un tiers monde censé être incapable de se prendre en charge et ayant donc besoin qu’on décide à sa place, qu’on le guide, et qu’on le retienne de céder à ses pulsions sauvages et barbares.
La défaite annoncée de Prabhakaran
À partir d’août 2006 et de la fermeture de l’autoroute A9[48], les choses allaient se précipiter, jusqu'à l’issue fatale du matin du 17 mai 2009 où toute la direction du LTTE livra son dernier combat. La A9 relie Colombo à Jaffna, elle traverse les territoires contrôlés par le LTTE, et sur cette route stratégique, les Tigres percevaient un droit de passage. C’était là une de leurs plus importantes ressources financières locales. A ce sujet, il n’est pas inutile de mentionner ici que pendant près de 25 ans, le gouvernement central de Colombo a maintenu ses propres administrations avec ses fonctionnaires dans les zones sous contrôle du LTTE. Les Tigres ne se privant pas d’utiliser pour leur propre compte toutes ces infrastructures, d’autant qu’ils n’en établirent aucune autre pour améliorer la vie des gens. Bien étrange « Mouvement de libération nationale » qui ne se préoccupa jamais du développement économique et social des territoires qu’ils avaient placé sous son contrôle tatillon ni de réaliser une réforme agraire, un système d’irrigation, des écoles, des cliniques, des infrastructures, des industries…[49] mais qui n’oublia pas de mettre en place, des tribunaux, une police, des services de renseignements et des prisons sans oublier les salles de torture…
À partir de 2007 et de la libération de la province de l’Est, le LTTE allait donc céder du terrain jour après jour. Et l’issue apparaissait comme inévitable. Le gouvernement proposa alors aux Tigres de déposer leurs armes, de proclamer une amnistie, mais leurs dirigeants préférèrent préfèrent se tourner vers leurs relais internationaux, d’autant que les lobbies fonctionnaient à plein, en particulier ceux regroupés au Tamil Nadu, Etat du sud de l’Inde où vivent 50 millions de Tamouls et où le gouvernement nationaliste chauvin de Karunanidhi affichait un soutien inconditionnel à Prabhakaran.
D’ailleurs, les gouvernements occidentaux ne sont pas en reste, et tous d’appeler à une solution politique et une négociation. Une négociation sur quoi : la partition ? Mahinda Rajapaksa lui également défend une solution politique, mais exige un préalable : le désarmement d’une organisation considérée en principe par la communauté internationale comme la mieux organisée et la plus dangereuse des organisations terroristes.[50] Personne n’évoque pourtant le sujet d’autant qu’à Londres, à Toronto, à Melbourne, à Genève, à New York ou Paris… les Tigres ont pignon sur rues et qu’on les laisse faire.
Tout ce monde semblait ainsi persuadé qu’on finirait par faire céder le président sri lankais. L’Union européenne, l’ONU furent mobilisés, et Louise Arbour, Haut commissaire aux doits de l’homme à Genève ne ménagea pas ses efforts, au point de prendre le risque de se discréditer lorsqu’elle se rendit à Colombo et qu’elle exigea des autorités qu’elles fassent pression sur la presse locale pour faire retirer tous les articles qui la critiquait.
Louise Arbour sans aucune prudence reprit donc à son compte [51] le concept de « failed state »[52]de l’administration Bush, et s’agissant du Sri Lanka, elle alla jusqu'à proposer, avec le soutien actif des gouvernements occidentaux, de personnalités comme Bernard Kouchner et d’autres de certaines ONG comme Human Rights Watch, Amnesty international, Reporters sans frontières et Inform qui mettraient en place une structure de substitution aux services de l’Etat pour assurer la « protection des citoyens ». Louise Arbour dut repartir à Genève avec sa proposition, sa mission ayant échoué.
Toutefois le temps passant, les pertes du LTTE furent de plus en plus lourdes. Après la chute de Mannar et de toute la côte Nord-Ouest du pays, l’accès terrestre à Jaffna sous contrôle de l’armée fut rétablit, les Tigres s se virent couper d’une part essentielle de leur approvisionnement maritime, deux de leur cargos porte-containers furent ainsi coulés par la marine sri lankaise. La prise en tenaille du Wanni se poursuivit avec un objectif, la prise de Kilinochi, la capitale politique des Tigres. Celle-ci tomba le 1er janvier 2009. À partir de ce moment là, les jours étaient comptés pour l’organisation séparatiste. L’armée reprit ensuite « Elephant pass » perdue depuis 1996, libérant ainsi totalement l’accès à Jaffna et sa péninsule.
Pendant ce temps, Prabhakaharan et son armée taillée en pièces avaient rejoint Mullaiithivu avec 300 000 otages, du jamais vu en terme de prise d’otages. Mais le chef des Tigres avait complètement sous-estimé les forces adverses et leur détermination. Moins d’un mois après la chute de Kilinochi, la deuxième capitale des Tigres tomba : Mullathivu fut libérée le 25 janvier. Prabhakaran n’avait plus de choix et continuait à protéger sa fuite avec des otages qui cherchaient à lui échapper pour rejoindre les lignes de l’armée sri lankaise. Le chef des Tigres donna alors l’ordre d’exécuter ceux qui s’enfuyaient. Le 10 février à Mullathivu, 19 furent tués et 69 blessés. Poussant les gens comme « bouclier humain » Prabhakaran rejoignit alors Puthukkudiyuppu, qui devint le lieu de la dernière bataille. Du 20 au 23 avril, 125 000 civils arrivèrent à s’échapper des Tigres pour chercher refuge auprès de l’armée. Le gouvernement sri lankais organisa alors le plus grand sauvetage d’otages jamais organisé dans le monde. Il concernait 250 000 personnes.
Une campagne odieuse
On assista alors à un véritable déferlement médiatique, une campagne odieuse contre le Sri Lanka, dont les ambassades furent attaquées par les représentants des Tigres, dans la plus totale impunité à La Haye, à Paris, à Londres, à Berlin, Oslo, À Paris, les Tigres après le Trocadero, s’installèrent sur la Place de la République avec des banderoles qui appellent a ne pas déposer les armes, en osant comparer le Sri Lanka à Gaza. Il s’agit d’une organisation considérée comme terroriste, mais le pouvoir a laissé faire, la police est invisible. Imaginons la même scène avec des Palestiniens, des Sans-papiers ou tout simplement des travailleurs en grève comme comme ceux de Caterpilar ou de Continental. Le jour de la manifestation du 1er mai, les dirigeant syndicaux laissèrent défiler dans le cortège des membres du LTTE en uniforme militaire et armé, ce qui d’ailleurs n’était pas la première fois. À Londres, les LTTE ont même attaqué l’ambassade de Chine, et les bobbies ont laissé faire, eux aussi, pendant que le secrétaire aux affaires étrangères de Grande Bretagne, David Miliband, faisait la leçon au Sri Lanka sur l’usage de la violence. Il est vrai qu’au même moment en Irak et en Afghanistan l’armée britannique renoue avec ses vieux démons et les « violences coloniales », [53] qu’on présente comme de « regrettables dommages collatéraux ».
Les médias relaient complaisamment. Bernard Kouchner est ravi et avec David Miliband, ils en appellent cette fois et ouvertement à l’ingérence humanitaire. Il devient clair qu’aux côtés d’Hillary Clinton, ils veulent sauver ce qui reste du LTTE en cherchant à le légitimer pour mieux l’imposer comme « seul » interlocuteur. Ensemble, ils exigent un cessez le feu et la négociation, sans aller toutefois jusqu’à demander aux Tigres de déposer les armes, de se rendre et de libérer les otages. Les jugements critiques sur le LTTE, quand il y en a, se font de façon purement formelle et sont pratiquement absents des médias. Ces derniers s’employant à assimiler les Tigres à l’ensemble des Tamouls. Ce que beaucoup de Tamouls sri lankais considèrent comme une injure.
Les médias occidentaux ont mené une campagne sur le thème de l’impossibilité de rendre compte des faits. Le pays, les provinces du Nord et de l’Est, les zones de combat leurs seraient interdits. Outre qu’on ne saurait contester le droit d’un pays à vouloir veiller à la sécurité des journalistes, cette campagne est totalement infondée. De janvier 2009 au 5 juin 2009, pas moins de 173 correspondants de médias internationaux ont pu se rendre dans le Wanni, à Kiliinochi, a Pudumathalan, etc. Ils ont visité les camps d’hébergements de déplacés, pas moins de 20 journalistes accompagnaient le Secrétaire général de l’ONU dans sa mission. Tous les grands networks étaient et sont présents au Sri Lanka : BBC, CNN, Al Jazeera, Channel 4, Daily telegraph, The Times, AFP, AP, Reuters, The independant, The Washington Post, Australian Broadcasting Corporation, Christian Science Monitor, Asashi Shimbum, Sky News, Arte, France TV 24, etc. ont ainsi visité le Nord[54]. Il faudrait ajouter à cette liste, les médias de toute la région, en particulier indiens et chinois.
Mais comme il s’agit de calomnier, on en a cure, il faut concentrer le tir sur le gouvernement sri lankais et sur Mahinda Rajapaksa présenté comme un chauvin qui veut régler le problème tamoul par la force militaire. Il est coupable aux yeux des Occidentaux d’avoir fait la preuve de ses capacités, en résistant aux pressions, en préservant l’indépendance du pays, son intégrité, sans ingérence étrangère et de surcroît d’avoir seul libéré le Sri Lanka de ce que la majorité de ses citoyens considèrent comme la malfaisance d’un groupe terroriste. Pour Washington, Londres, Paris et Bruxelles qui font en principe de la lutte contre le terrorisme la priorité des priorités, tout en étant empêtrés en Irak et en Afghanistan, cette leçon donnée par un petit pays du tiers monde semble insupportable, comme est insupportable la résistance et la solidarité de Cuba, du Venezuela, du Nicaragua, de la Bolivie, du Mouvement des Non Alignés et de la Conférence islamique comme celle des Etats africains, de la Chine, de la Russie et même du Japon qui appuient sans restrictions l’action du peuple et du gouvernement sri lankais.
Alors que les autorités sri lankaises faisaient tout pour organiser le sauvetage de dizaines de milliers de gens terrorisées, qu’ils suspendent les tirs à l’arme lourde et les raids de l’aviation pour protéger les civils, le LTTE va jusqu'à à organiser des attentats parmi les déplacés comme à Visuamadu. Le 9 février, une femme kamikaze se faisait sauter avec sa bombe : 30 morts, 75 blessés. Les médias se livrèrent a une frénétique campagne d’intoxication, on parle de génocide, d’holocauste, on critique de façon unilatérale, on dénonce l’absence d’ONG dans les camps de déplacés, alors que 54 d’entre elles y sont présentes et travaillent, de même que les agences de l’ONU, ou le ICRC dans les zones de combat. Jamais on ne demande à celles-ci de témoigner si les gens meurent de faim, mais on recherche le sensationnel, les témoignages reposent alors et pour l’essentiel sur ce que le LTTE communique d’autant plus complaisamment qu’il est certain d’être entendu par tous les hauts parleurs bienveillants mis à sa disposition.
Les 15, 16, 17 mai, près de 70 000 otages arrivent encore à s’échapper. De son côté, l’armée a réussi à passer à travers le mur de terre long de 100 Kms et haut de 5 mètres que les Tigres ont édifié comme dernier rempart, puis elle fait sa jonction, encerclant totalement les derniers combattants. Plusieurs dirigeants se rendent, dont l’ancien porte-parole du LTTE, Daya Master, la famille de Sosai, chef de la puissante marine des Tigres est récupérée sur une barque, Prabhakaran espère encore, il fait pression sur Pathmanathan, chef des relations internationales du LTTE. Celui qui négocie les livraisons d’armes et qui gère les millions de dollars $ de la diaspora, discute avec les gouvernements occidentaux pour obtenir une intervention de leur part.[55] Puis le résultat des élections en Inde tombe, à la surprise générale et contrairement aux projections des instituts de sondage, le Parti du Congrès l’emporte et, au Tamil Nadu, les partis qui soutiennent ouvertement le LTTE et font campagne en sa faveur s’effondrent. C’est un désaveu cinglant et sans précédent infligé par la population tamoule aux amis politiques de Prabhakara. Le soutien de New Delhi à Colombo est sans équivoque, il s’exprime une nouvelle fois[56]. « Cette guerre, le Sri Lanka ne l’avait elle pas aussi mené pour l’Inde et toute l’Asie du Sud » ?[57] Mahinda Rajapksa revient précipitamment du G11 qui se tient à Amman. Une dernière fois, il propose une reddition honorable à Prabhakaran et aux derniers dirigeants du LTTE acculés sur une surface de 1 km carré, encerclés de toutes parts. En vain !
Le matin à l’aube du 17 mai, les black Tigers et leurs chefs livrent leur dernier combat, ils seront tous tués, on retrouvera quelques heures plus tard le corps de Prabhakaran[58], son fils Charles Anthony et les principaux chefs du mouvement séparatiste. Karuna, l’ancien numéro trois, viendra confirmer l’identité de ceux qui pendant trente ans furent craints par tous et proches de faire main basse sur 1/3 du Sri Lanka et 15 000 km carrés, non sans l’aide des puissances impérialistes et de ceux qui en jouant les apprentis sorciers avaient donné naissance à ce qui apparaît comme aux yeux de beaucoup dans le pays comme un monstre.
Une page d’histoire se tourne
Le 19 mai 2009, le Président sri lankais pouvait annoncer la fin de la guerre devant le Parlement. Une page particulièrement sanglante d’un pays de l’Océan Indien se tourne, ce même pays dont Octave Mirbeau[59] aimait à dire « s’il y a un paradis sur terre, alors il est à Ceylan ».
Les victimes furent nombreuses. Mais si les Tamouls ont souffert du terrorisme des Tigres, il en va également de toute la population sri lankaise : cingalaise, musulmane, Burghers… Faut il rappeler l’indifférence lors des assassinats contre d’éminents intellectuels, des militants de gauche, des parlementaires, des membres du gouvernement, les tentatives d’assassinat d’ambassadeurs comme celui du Pakistan et les centaines d’attentats aveugles commis dans les bus les trains, les lieux publics, comme celui du World Trade Center de Colombo en janvier 1996 : 91 morts, ou encore de la mosquée de Kattankudi : 103 morts, dont 23 enfants en bas age, celui du mitraillage aveugle de Sri Maha Bodhi, un des lieux les plus sacrés du Bouddhisme : 120 morts, la destruction de monuments historiques patrimoine de l’Humanité, dont le grand temple bouddhiste de la relique sacrée de Kandy en janvier 1998, les exécutions de prêtres et de moines, l’assèchement des rizières, ou le dynamitage des grands Tanks, ouvrages d’art millénaire libérant des tonnes d’eau et détruisant tout sur leur passage, villages et récoltes, le détournement des fonds récoltés internationalement pour les victimes du tsunami avec la complicité de nombreuses ONG ,[60]le nettoyage ethnique pratiqué par les Tigres à l’égard de 100 000 musulmans du Nord[61] forcés d’abandonner leurs biens en 24h parce que coupables de ne pas être hindouistes et d’occuper des terres par essence tamoule, selon la vision raciste et cruelle de Prabhakaran.
Il serait facile de poursuivre cette longue énumération d’horreurs dont le pays est en train de tourner la page. Mais comment ne pas évoquer pour en finir avec la stupéfaction de ceux qui ont trouvé Kilinochi, ancienne capitale des Tigres, abandonnée par le LTTE et transformé, comme plus tard Mullaithivu, en villes fantômes ou tout aura été détruit jusqu’aux portes et fenêtres, les immeubles incendiés et la population contrainte par la force d’accompagner les lambeaux de l’armée du LTTE pour mieux protéger la bande de Prabhakaran dans sa déroute.
Voilà pourquoi quand on fait la somme des souffrances et des sacrifices endurés pendant presque trente ans par l’ensemble du peuple sri lankais et sans distinction, on ne peut être qu’indigné devant la colère sélective manifestée par de nombreux politiciens occidentaux, y compris ceux qui se proclament opposés au racisme, à l’intégrisme et favorables au progrès social et à l’internationalisme. Comment peut-on en arriver à faire un tri parmi les morts, et ne pas avoir la moindre compassion pour toutes les victimes, ne retenir que celles qui intéresse parce qu’il est dans l’air du temps de s‘apitoyer sur les dizaines de milliers de gens déplacés, et qui ne sont pas que des Tamouls mais les victimes trop nombreuses de cette guerre.
Ce que décidément ces « progressistes » occidentaux ne comprennent pas, c’est que ce sont tous les Sri lankais qui ont subi cette guerre et c’est tous ensemble qu’ils y ont résisté, en isolant les chauvins de tous bords, en refusant de céder aux pièges de l’extrémisme, et ils l’ont fait eux-mêmes sans l’aide de personne. Pourtant les conseillers n’ont pas manqué, surtout ceux qui pensaient comme pour d’autres conflits que l’ingérence humanitaire allait s’imposer d’elle-même.
Les ONG par centaines n’auront pas été en reste, y compris certaines ONG locales dont le financement est assuré par les Fondations US et les gouvernements européens, canadien et surtout Nord-américain, parmi celles-ci, INFORM soutenue par Human Rights Watch, ou encore Free media Movement qui l’est par IFEX[62] financé par Freedom House dont l’ancien directeur n’était autre que James Woolsey, ancien directeur de la CIA. Le Free Media Movement est aussi lié à Reporters sans frontières et au CPJ,[63] lui même soutenu par le Carlyle group dont la réputation n’est plus à faire depuis la guerre en Irak. Le Groupe pilier du complexe militaro industriel US et qui est lui présidé par Franck Carlucci, ancien directeur adjoint de la CIA.[64]
Le Sri Lanka un enjeu stratégique de toute première importance
Le moment est venu de réfléchir aux enjeux, de replacer cette guerre et son issue dans le contexte géopolitique qui va aussi déterminer la suite des événements, car si une nouvelle période commence, si un espace démocratique s’ouvre sur de nouvelles opportunités, il doit bénéficier à tous les Sri Lankais, et cela sans exception. Il est clair qu’au silence des fusils va succéder une intense bataille politique. En premier lieu au Sri lanka, où il va falloir apporter des réponses urgentes et concrètes aux Sri Lankais en général, et aux Tamouls en particulier. La question nationale appelle des réponses nouvelles, l’avenir du pays et de ceux qui composent son peuple en dépend.
Subha Wijesiriwardana est un acteur sri lankais. Quelques jours après la défaite militaire du LTTE il a été interviewé par la BBC. Que dit il : « J’ai des sentiments partagés. Je ne peux pas dire que je suis heureux. Nous avons payé si cher cette victoire militaire, le prix a été si élevé. Ce n’est pas une victoire qui me donne envie de sauter de joie. Je ressens quelque chose de différent, comme le commencement de quelque chose. Plus qu’une victoire militaire, ce qui est important ce sont les décisions que nous allons prendre maintenant »[65]
Au niveau international d’abord, car l’importance stratégique du Sri Lanka constitue un enjeu de toute premier plan dans la partie de bras de fer qui se joue sur fond de crise du capitalisme et de nouvel ordre mondial. Si cette guerre est l’échec du séparatisme, elle est aussi l’échec de l’impérialisme, de sa politique d’ingérence prétendument humanitaire comme de sa politique de recolonisation tout simplement. Pour la première fois et depuis bien longtemps un pays du tiers-monde a démontré qu’il est possible de trouver des solutions tout en préservant et même en renforçant son unité, dans le respect du caractère multiculturel, multiethnique, multilinguistique, et multireligieux de sa société. Le fait qu’il a été capable de rassembler autour de lui les pays qui forment les 4/5 de l’humanité n’est pas sans signification, comme on vient de le voir à la session spéciale du Conseil des droits de l’homme à Genève. Cela démontre, s’il le fallait, que nous avons bien changé d’époque ; ce que les Etats les plus riches de la planète ont commencé à vérifier à leurs dépens. Le monde unipolaire que nous avons connu est en train de céder du terrain face aux alliances anti-hégémoniques qui se nouent et témoignent combien le rapport des forces s’est modifié. Les contradictions devront se résoudre d’une manière ou d’une autre. L’initiative est en train de changer de camp. « L’aube n’est jamais si proche qu’au plus noir de la nuit »
Dans cette région du monde qu’en est il ?
Le Sri Lanka, ancienne Ceylan, est un des pays du tiers-monde qui aura subi la plus longue colonisation et qui y aura résisté courageusement. Plus de 4 siècles et demi : portugaise, hollandaise et britannique, pendant 150 ans. Ces derniers furent les seuls à totalement conquérir le pays, non sans difficultés. Napoléon l’avait compris, lui qui avait cédé Ceylan aux Britanniques lors du traité d’Amiens. Situé au sud de l’Inde, Sri Lanka se trouve au carrefour de tous les corridors maritimes de cette région du monde, une région en plein bouleversement économique du fait notamment du développement rapide de deux géants : l’Inde et la Chine, mais également de l’Iran et du Pakistan. 70% du trafic pétrolier mondial, et 50% de celui des containers, passe par l’Océan Indien. Ce n’est pas tout ! Pour la Chine, Sri Lanka représente un formidable attrait, outre qu’il permet de faciliter l’approvisionnement de sa flotte et les liens avec la province sud du Yunnan. Si par ailleurs se concrétise le projet de canal à travers l’isthme de Kra en Thailande reliant l’Océan Indien avec la côte pacifique de la Chine, il est certain que le rapport des forces en Asie sera considérablement modifié. L’aide de la Chine au Sri Lanka a atteint 1 milliard de dollars $ l’an passé, devant le Japon. Les USA auront accordés 7,4 millions de dollars $ et la Grande Bretagne. 1,9 million de dollars $.
C’est dire l’importance stratégique de ce pays. Comme souligné plus haut, celui-ci dispose du plus grand port en eau profonde d’Asie : Trincomalee, déjà utilisé par la marine britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, et pour lequel un accord secret liait les Tigres et les USA qui rêvent depuis longtemps d’y voir mouiller leur 7ème flotte et d’y installer une tête de pont de l’OTAN. Le soutien à la partition du pays sur le modèle du Kosovo valait bien à Washington ce cadeau royal au Dieu Soleil Prabhakharan. Mais ce n’était pas le seul cadeau !
Car, outre les corridors maritimes, sa position géographique unique en fait une sorte de porte-avions naturel, Sri Lanka dispose de richesses naturelles considérables : le caoutchouc, les pierres précieuses, en particulier les saphirs, le thé et les épices, Sri Lanka possède par sa variété le plus important jardin de plantes médicinales du monde… Et ce n’est pas tout, Sri Lanka dispose de champs pétrolières et gaziers les plus étendus de l’Asie du sud.
Sri Lanka partage en effet avec l’Inde les très riches gisements du Bassin de Cauvery qui se trouvent au nord du pays, sur une ligne imaginaire allant de Chillaw à l’Ouest à Trincomalee à l’Est. C'est-à-dire la région revendiquée par les séparatistes et leurs commanditaires. Les recherches géologiques, en particulier celles de l’US Geological Survey et du Suédois Petroscan, ont confirmé qu’il s’agissait là des réserves considérables. Ce bassin pour la part qui est la sienne assure actuellement 60% des besoins de l’Inde, mais la partie la plus importante appartient au Sri Lanka. Les recherches sont conduites notamment par des entreprises indiennes et chinoises.
Et cela ne s’arrête encore pas là, car les Norvégiens ont découvert que d’autres réserves vont Off Shore bien au-delà, vers le sud du pays et Hambantota. Sri Lanka construit actuellement 5 terminaux et deux ports, dont un à Galle. Le temps n’est pas éloigné ou Sri Lanka pourra devenir une plateforme, un « hub » pour les échanges commerciaux dans toute l’Asie du Sud comme pour le transport pétrolier et gazier entre l’Asie de l’Ouest et l’Asie de l’Est.[66]
Faut il aussi ajouter à tout cela : le niveau de développement de ce pays dont son système d’éducation et de santé est parmi les plus développé de l’Asie du Sud, ses services publics, l’extraordinaire savoir-faire et les talents de son peuple qui suscitent depuis des siècles les convoitises des pays impérialistes et des puissance de la région. Comment s’étonner que nombreux sont ceux qui ont pensé un jour, à l’instar du Président J.R Jayewardene, à faire du Sri Lanka un second Singapour. Par ailleurs, ses traités de libre échange avec l’Inde, mais également le Pakistan, sa relation privilégiée avec l’Iran, le Japon, et surtout la Chine qui construit actuellement un des plus grand port d’Asie, à Hambantota et y a déjà investit la un milliard de dollars, ouvrant des perspectives considérables pour l’investissement, d’autant que les législations sri lankaises sont particulièrement attractives pour qui veut pénétrer économiquement tout le sous continent indien.
Avec un taux de croissance annuelle de 6 à 8 %, en pleine période de guerre, et sans ingérence étrangère, Sri Lanka a réussi à maintenir une activité économique de haut niveau, supérieure à bien des pays de la région. Les ressources naturelles comme les ressources humaines confirment donc l’important potentiel de ce pays et son énorme valeur stratégique.
Le rapport des forces a changé
Par conséquent, ce qui était vrai hier l’est plus encore aujourd’hui. On oublie souvent de rappeler que le seul contrôle des corridors constitue un enjeu géostratégique de toute première importance. Dans le cas de Sri Lanka, ils sont les passages obligés vers l’Eurasie dont l’importance doit selon Zbigniew Brzezinski[67], conseiller de Barack Obama « déterminer la conduite de la politique étrangère américaine » si les USA veulent garantir leur suprématie. Cela avait déjà été souligné à l’occasion de la guerre en Yougoslavie, puis en Afghanistan, le contrôle des corridors déterminera sans aucun doute la nature et le contenu des prochains enjeux de la guerre économique mais aussi les causes de bien des conflits dans l’avenir.
Toutefois, ce qui a changé et fait une grande différence avec l’époque où l’arrogance américaine pouvait s’étaler sans limites, c’est que le déclin des USA, amorcé depuis quelques années, va maintenant s’accélérant. La cessation de paiements des Etats-Unis à l’été 2009 est d’une actualité présente, loin de nous éloigner du sujet elle nous en rapproche. Le déficit public US est désormais totalement hors contrôle sur fond d’explosion des dépenses (+41%) et d’effondrement des recettes fiscales (-28%)[68]. Sans relâche, la Chine cherche dorénavant à se libérer au plus vite d’1,4 milliard de dollars $ de bons du trésor US, une véritable montagne d’actifs toxiques. Après ce sera le chacun pour soi, et en perspective, une dislocation géopolitique annoncée. D’où l’importance de l’Océan indien, et par voie de conséquences du Sri Lanka.
Les Etats-Unis ont pu amener l’OTAN jusque dans le Golfe Persique, et en octobre 2007, il y a organisé ses premières manœuvres maritimes. On ne manquait pas d’ambitions alors, et l’Amiral US Mike Mullen qui présidait la réunion des Chefs d’états major voyait briller pour bientôt le saphir sri lankais en haut de la couronne de l’OTAN dans l’Océan Indien. « Il ne fait aucun doute maintenant que la Russie, la Chine et aussi l’Iran vont définitivement frustrer les USA de cette conquête géostratégique »[69] Car nous changeons d’époque et le déclin maritime des USA dans l’Océan indien va se poursuivre inexorablement. Dans la décennie qui vient, il est raisonnable de penser que la Chine aura une marine de guerre largement supérieure à celle de l’US Navy[70]. Ce qui est vrai de la Navy, l’est d’ailleurs également de l’US Air Force dont la maintenance pose de plus en plus de problèmes.[71]
Si pour l’impérialisme, cette partie de l’Océan indien n’est pas simplement un marché destiné à être conquis et une ressource de matières premières destinée à être pillée. Si l’Océan indien permet de contrôler l’accès au Proche-Orient et Moyen-Orient, à l’Afrique, et bien sur à toute l’Asie. Si la domination complète de cette région exige donc sa mise au pas. Faut il encore en avoir les moyens et c’est là que tout change. Dans le cas qui nous intéresse : Sri Lanka est un pays qui montre des capacités de résistance évidentes, un attachement fort au respect de sa souveraineté et de son indépendance, tout cela était inattendu pour nombre d’experts. Les puissances impérialistes avaient sous estimé le pays, son peuple, son gouvernement et surtout Mahinda Rajapaksa. Ils avaient également sous estimé le fait que Sri Lanka dispose d’appuis forts dans la région, de la part de la Chine, de l’Inde, de l’Iran, du Pakistan, de l’Indonésie et même du Japon, mais également de l’Afrique du Sud, de Cuba, du Brésil, du Venezuela, du Nicaragua, de l'Uruguay, de la Bolivie, de la Russie, comme on vient de le voir à Genève, ainsi que d’un Mouvement des Non alignés en pleine renaissance et qui, conduit magistralement par Cuba, vient d’infliger une complète déroute au tandem Obama/Clinton, aux Européens et à Navi Pilay qui voulaient dresser l’acte d’accusation du Sri Lanka à la session spéciale du Conseil des droits de l’homme. [72] Comme l’a fait remarquer avec pertinence le secrétaire général du Parti communiste sri lankais, Dew Gunasekara, « Tout cela reflète le développement du rapport des forces dans le monde. Personne n’a pu faire du Sri Lanka un autre Kosovo : ce n’était pas le bon siècle, pas le bon continent, pas le bon pays »[73]
Loin d’être isolé comme certains voudraient le faire croire, y compris au Sri Lanka, ou encore loin de cette vision caricaturale de la politique étrangère de certains diplomates sri lankais qui ont du louper quelques épisodes du film et ne voient le salut du pays que dans un alignement sans nuances sur les positions des capitales occidentales, Sri Lanka est dorénavant partie prenante des nouvelles alliances qui se nouent, et en phase avec le mouvement du monde. Sa capacité à mobiliser pour son soutien les pays d’Amérique latine en porte témoignage.
Nouvelle donne, nouvelles opportunités
Sri Lanka préside le SAARC[74], et est invité comme « partenaire du dialogue » dans le cadre du « Shanghai Cooperation Organisation » [75]. Cette situation est significative d’une évolution et d’une réalité qui modifie la donne et influence l’architecture nouvelle des relations internationales. Celle-ci est en train d’être bouleversée et n’est pas sans susciter des réflexions sur « qui sont nos ennemis et qui sont nos amis ». Ce mouvement international contre l’hégémonie des puissances occidentales se vérifie dans l’affirmation de politiques plus indépendantes, dans la volonté de maîtriser son développement, de décider de l’usage de ses richesses nationales et également de nouer les alliances de son choix en particulier des alliances Sud/Sud. Ceci s’exprime de plus en plus souvent au plan régional ou inter régional, comme par exemple à travers l’IBSA, ou l’ALBA.[76] Les associations horizontales, les intégrations régionales comme en Amérique Latine ouvrent d’autres perspectives émancipatrices et s’affirment en rupture avec le type de relations qui prévalaient précédemment à une époque pas si ancienne où l’impérialisme pensait pouvoir dicter sa loi. Certes, il y a des différences, et ce mouvement n’est pas homogène, mais une tendance s’affirme, ce qui est essentiel. Que peut aujourd’hui la presque défunte OEA[77] face à la vitalité politique de l’ALBA,[78] ou les USA et l’UE face à l’Organisation de Coopération de Shanghai[79] ? Il faut mesurer ce que représente aujourd’hui la présence de l’Inde et de la Chine en Amérique Latine ou encore en Afrique. Quand la Chine annule la dette de dizaines de pays, quand Cuba envoie près de 35 000 médecins et personnel de santé chez ses voisins latino-américains, mais aussi en Afrique et même au Pakistan, comment les peuples et leurs gouvernements ne feraient pas la différence avec des pays capitalistes dont l’arrogance et la violence n’ont guère changé à l’égard du reste de l’humanité. Comme le dit Fidel Castro : « le monde n’appartient pas aux multinationales, il est le nôtre ».
Parce que les enjeux deviennent plus élevés, l’agressivité de l’impérialisme va croître pour maintenir sa domination et le pillage auquel il entend continuer à se livrer comme pour faire valoir la finalité d’un système obsolète en maintenant des taux de profitabilité acceptables pour ses actionnaires, a fortiori dans le contexte de sa crise de domination. Le Directeur Général de l’OIT ne vient-il pas d’annoncer une crise sociale qui pourrait durer huit ans avant de retrouver les mêmes niveaux d’emplois qu’aujourd’hui. « D’ici à 2015 c’est selon lui 300 millions d’emplois qu’il faudrait créer ». Mais ajoute-t-il « les leaders politiques n’ont pas prêté suffisamment d’attention aux implications humaines et sociales »[80].
C’est pourquoi ce qui vient de se passer au Sri Lanka est insupportable aux yeux de l’impérialisme. Ses tentatives de diversion, de déstabilisation vont donc se poursuivre. Elles visent à reprendre le contrôle de la situation pour l’orienter en fonction de ses objectifs, ceux de ses multinationales comme ceux de l’OTAN, et reprendre des positions là où sa stratégie précédente a échoué. C’est clairement la tache impartie à la nouvelle administration de Barack Obama et ses « juniors partners » européens.
Ce qui fait déjà la différence et qu’il faut ni sous-estimer ni surestimer c’est qu’aujourd’hui l’impérialisme doit faire face à une contestation inattendue, il y a encore quelques années. D’une grande diversité, celle-ci n’obéit à aucun leadership. Elle est sociale, économique, politique, culturelle et s’exprime partout de mille et une manières. Y compris dans les propres rangs de l’impérialisme, les contradictions ne manquent pas. Dans ces conditions, l’alliance qui s’est constituée autour du Sri Lanka à Genève a valeur d’exemple, elle traduit des évolutions, elle témoigne de mouvements plus profonds qui vont inévitablement connaître des développements dans la prochaine période. Cette contestation, ce n’est pas (encore ?) la Révolution, mais c’est certainement une Rébellion.
C’est par conséquent une grande responsabilité que prennent certains États que de contribuer à ce que la résistance s’organise ainsi que la clarté sur le contenu des objectifs recherchés et sur les moyens d’y parvenir. Nous sommes entrés dans une époque nouvelle, une époque de clarification, qui suppose de faire des choix, y compris s’il le fallait à contre-courant, à condition de vouloir contribuer à ouvrir une autre perspective, une véritable alternative en rupture avec l’ordre existant, injuste et déliquescent. Cela exige de renoncer aux opportunismes de circonstance et de bien déterminer « qui sont nos ennemis, qui sont nos amis ». Il faut le faire d’autant plus vite que les politiques de pressions, de sanctions, de coercitions, de « containements », de « roll backs » sont devenues non seulement insupportables à de nombreux pays, mais vont se poursuivre et s’aggraver. L’échec de Barack Obama à Londres, son isolement à Trinidad et Tobago[81] sont significatifs, et annonçaient déjà celui qu’il vient de connaitre avec l’Assemblée générale de l’OEA à San Pedro Sula au Honduras. Il faut imaginer ce que représente cette victoire politique de Cuba à l’occasion de cette réunion où l’OEA, considérant après 40 ans, comme nulle sa propre décision d’exclure Cuba de l’organisation sur ordre des USA, et de la révoquer sous les applaudissements de toute une salle où la délégation US faisait piètre figure. Quel désaveu, quel retournement de situation[82]. Comme l’a dit le président du Honduras, Manuel Zelaya : « Fidel et le peuple Cubain ont été absous par l’histoire »[83]
Mis en difficulté, affaibli par sa crise, l’impérialisme ne pourra pas se permettre d’en rester à se contenter d’observer ses échecs. Dans ce combat sans merci, la naïveté serait la pire des choses. C’est pourquoi les révolutionnaires, les progressistes, les forces émancipatrices de toutes formes ont dans les conditions actuelles des responsabilités nouvelles. Tous font face à une période d’opportunités pour le combat révolutionnaire, à condition qu’ils soient capables de s’élever au niveau des exigences et de contribuer à jouer pleinement leur rôle. Il ne suffit pas seulement de faire le constat des choses, il faut en tirer les conséquences pratiques et politiques. Cette situation appelle des décisions et des comportements cohérents. Cette situation nouvelle va exiger beaucoup de tous si l’on veut se situer à la hauteur des ambitions qui doivent être celles de tous ceux qui prennent en mains leur destin.
Enquête internationale, opération sauvetage et droits de l’homme
Dans un article publié par « The Times » dix-huit jours avant la fin de la guerre au Sri Lanka, David Miliband et Bernard Kouchner en appellent non seulement à l’ingérence, à un cessez-le-feu, à la pause et la négociation, mais également à une enquête internationale. A ce moment-là, la situation pour les Tigres et leur chef Prabhakaran était déjà extrêmement critique. Les deux ministres se sont concertés avec Hillary Clinton à leur retour de Colombo pour tracer les lignes de leur contre-offensive. Il fallait faire monter la pression sur le gouvernement sri lankais et l’obliger à desserrer l’étreinte sur le LTTE, l’amener à renoncer à l’assaut final. Le moyen utilisé pour cela, outre la campagne médiatique et la mobilisation des ONG, des lobbies pro LTTE et de la fraction de la diaspora tamoule contrôlée par les organisations liées au LTTE, c’est la convocation d’urgence d’une Session spéciale du Conseil des droits de l’Homme à Genève. Navi Pilay y apporte immédiatement son soutien, comme elle se déclare en faveur d’une enquête internationale contre le gouvernement du Sri Lanka, ce qui en dit long sur l’indépendance de la nouvelle Haute Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU. Ce n’est certes pas une surprise pour la plupart des observateurs avertis, mais celle-ci a pris des risques en cas d’échec.
On a vu ainsi se répéter un scénario qui ressemble fort à celui de la Yougoslavie, de l’Irak, de l’Afghanistan, celui de l’instrumentalisation de l’ONU face aux bons vouloirs des USA et de leurs alliés du moment. Le Haut Commissariat aux droits de l’Homme est aux avant-postes de ce dispositif qui a plus à voir avec le mercenariat au service de la stratégie d’ingérence des grandes puissances que ce pour quoi il est censé avoir été créé et financé. Il est remarquable que bien que consentant à leur mission, les prédécesseurs de Navi Pilay en aient fait l’expérience à leurs dépens. Ce fut ainsi le cas de Ayala-Lasso, de Mary Robinson, de Sergio de Mello qui le paya de sa vie, de Louise Arbour. Navi Pilay suivra-t-elle la même voie ? Au fond, elle semble s’être dit : n’est ce pas mon rôle d’aller au-devant du Secrétaire général Ban Ki-Moon qui semble être en phase avec le souhait exprimé par Madeleine Albright qui suggérait « au poste de Secrétaire général de l’ONU, quelqu’un qui soit plus secrétaire que général ».
Pour convoquer cette session il faut 16 signatures, l’UE s’emploie alors à les chercher. Cela s’avère difficile, et cela aussi est inattendu, nombreux sont ceux sollicités qui déclinent. Une bataille s’engage parmi les membres du Conseil. On peut imaginer les pressions, les chantages, mais les résistances sont fortes, face aux Occidentaux, les ONG sont mobilisées, en particulier, et comme d’habitude aurait-on envie de dire, Human Rights Watch[84], Amnesty International.
Le Mouvement des non alignés est lui aussi très impliqué dans la bataille. Cuba, l’Egypte, l’Inde, le Pakistan, mais aussi la Chine, la Russie contribuent tout particulièrement à assurer le Sri Lanka d’une solidarité active. Celui-ci, par l’intermédiaire de son ambassadeur, Dayan Jayatilleka, a décidé d’assumer complètement cette confrontation, le Sri Lanka n’a rien à cacher, il revendique totalement son combat contre une organisation criminelle, comme le dispositif et les moyens mis en place pour sauver 290 000 otages.
La session spéciale du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU
Le 14 mai, date à laquelle la convocation de la session spéciale, avec le nombre de signatures doit être déposé, les Occidentaux sont en échec. Le dernier carré des Tigres attend avec Prabhakaran. Non sans raison, on craint le pire pour lui. Les menaces exercées sont encore plus fortes au niveau des capitales. Les Non-alignés de leurs côtés, mettent en cause l’absence de dialogue, l’unilatéralisme des pays occidentaux, le choix de la confrontation et non la recherche de la coopération, au mépris de la Charte des Nations Unies et cettepolitique de deux poids deux mesures que l’on a connu avec l’Irak et l’Afghanistan, avec Gaza il y a peu.
D’ailleurs, au même moment, on fait arrêter aux USA deux membres d’une organisation caritative musulmane qu’on soupçonne de financer le Hamas et on les condamne chacun à 65 ans de prison pendant que Bruce Fein, un ancien Attorney General US connu pour ses positions extrémistes, continue à faire ouvertement campagne pour le LTTE et son projet séparatiste.[85] Finalement et de justesse, les USA/l’UE arrivent à réunir 17 signatures, et la Session spéciale est convoquée pour le 26 mai. Mais entretemps, la fin de la guerre a été annoncée par Mahinda Rajapaksa. La dernière bataille a eu lieu : Prabhakaran et les dirigeants du LTTE sont morts. Pour les gouvernements occidentaux, il faut se rendre à une évidence : l’opération de sauvetage a échoué. Mais demeure la commission d’enquête pour crimes de guerre, il faut l’imposer, d’ailleurs la Session spéciale est convoquée dans ce but.
Les médias font monter la pression avec le soutien des lobbies pro-LTTE, on parle alors du martyr des déplacés, de dizaines de milliers de morts, les infrastructures où la population est prise en charge deviennent des « camps de concentration » aux dires des médias sous contrôles, on conteste même que soit mort Prabhakaran. Tout cela rappelle étrangement les mêmes témoignages, les mêmes images passées en boucle pendant la guerre en Yougoslavie, et plus récemment au Darfour. Rien a voir avec la guerre en Irak ou en Afghanistan, présentées sous un jour tout à fait opposées. Pour ceux qui vivent dans les contrées chaudes de notre planète, il n’y a là qu’hypocrisie, d’autant que ceux qui sont à l’origine de cette campagne sont les mêmes qui ont fait le coup des « armes de destruction massive ».
De la même manière que pour le Kosovo, les mêmes mensonges ont si bien fonctionné qu’on n’hésite pas à les resservir. « Il faut un Tribunal international », « il faut juger les crimes de guerre », « génocide », « holocauste », « Sri Lanka c’est pire que Gaza ». On va jusqu’à menacer Mahinda Rajapaksa de la potence (Sic !). Chez les anciens colonisateurs, chassez le naturel, il revient au galop. Il est difficile de croire que, malgré l’expérience de la Yougoslavie, de l’Irak, de l’Afghanistan, des faux charniers de Timisoara cachant l’invasion de Panama et ses meurtres de masse, etc., ce qu’on appelle encore en Europe la gauche reprend si souvent à son compte sans aucune vérification les mêmes thèmes et les mêmes arguments. Défendre la même position que Bernard Kouchner, David Miliband et Hillary Clinton, d’ONG comme Human Rights Watch, Reporters sans frontières et de journaux comme « The Times » ne semble pas gêner outre mesure, ni soulever de questions.[86]
La Suisse s’est alors engagée dans la préparation d’une résolution visant à demander une enquête internationale sur les « supposés crimes de guerre ». Plutôt que demander une « No action Motion », ce qui dans la procédure onusienne permet d’éviter le débat, Sri Lanka a mis au point sa riposte avec ses partenaires du Mouvement des Non alignés, de l’Union africaine, des membres de la Conférence islamique, avec l’appui de la Chine et la Russie en élaborant sa propre motion. Cuba, en tant que Président en exercice des Non Alignés, joue un rôle essentiel. Le jour « J », la réunion a eu lieu, les arguments furent présentés, la colère, la rébellion de nombreux pays du tiers monde s’est exprimée, en particulier de la part de l’Egypte, futur Président du Mouvement des Non Alignés. Un pays pourtant connu comme très sensible aux pressions des grandes puissances occidentales, ce qui en dit long sur les changements dans les rapports de force en cours.
Les arguments présentés par le ministre sri lankais des Droits de l’homme[87]sont concrets, sincères, irréfutables. Il a rappelé que pour son gouvernement, la solution a toujours été politique et que par conséquent, il faut répondre aux exigences légitimes qu’elles soient politiques, institutionnelles, culturelles, économiques, sociales en tenant compte de la réalité de la société sri lankaise et de tous les Sri Lankais. Il énumère de façon détaillée le programme du gouvernement pour les déplacés, c'est-à-dire leur réinstallation chez eux, dans leurs villages, ce qui suppose le déminage, la construction d’infrastructures, car ce pays sort de 30 ans de guerre. Il confirme que son pays est ouvert à tous ceux qui veulent contribuer à aider a la mise en ouvre de ce programme ; ONG et autres. Cela ayant été dit, Sri Lanka veut conserver la maîtrise de la mise en œuvre de ces programmes, confirmant ainsi la déclaration précédente de Basil Rajapksa « nous voulons des partenaires, pas des contrôleurs, une assistance, pas des chevaux de Troie »[88]- Sri Lanka a déjà eu une expérience de traitement des drames humanitaires, dans les conditions dramatiques du tsunami où près de 250 000 personnes étaient concernées. Et par ailleurs, Sri Lanka sait d’expérience à quoi s’en tenir s’agissant de l’aide internationale et du rôle de certaines ONG et de leur très relative indépendance par rapport aux gouvernements occidentaux. Ce qui ne concerne pas toutes les ONG.
Un succès sans appel !
Le vote a lieu. Vingt-neuf pays se sont prononcés pour la motion en faveur du Sri Lanka, douze contre et six abstentions. Le vote est sans appel ! C’est une défaite politique de première importance pour les pays occidentaux, et de plus leur stratégie a été mise à nue. « David a eu raison de Goliath ». Fait significatif, le Brésil et aussi l’Afrique du Sud ont apporté leur soutien au Sri Lanka, désavouant ainsi Navi Pilay, pourtant Sud-Africaine, tamoule indienne d’origine et Haute Commissaire aux droits de l’Homme, et qui s’était ralliée aux sollicitations de Kouchner, Miliband et Clinton.
Remarquable dans ce vote est le fait que cinq pays ont déserté les rangs de la motion Suisse/UE, certains se sont abstenus, et d’autres, comme l’Uruguay, ont voté avec Sri Lanka. Ce n’est plus une défaite, c’est une humiliation pour les Occidentaux. Sri Lanka a su rassembler en cherchant le plus grand dénominateur commun, en incorporant dans son texte les préoccupations qui se sont dégagées des interventions comme des recommandations dans le communiqué commun gouvernement sri lankais - Secrétaire général de l’ONU, après la visite de Ban Ki Moon à Colombo[89]. Ainsi ce vote sans précédent à l’ONU fait la démonstration qu’il n’est pas de bataille qu’on ne puisse gagner, et qu’au fond, il n’y a que les batailles que l’on ne mène pas que l’on ne gagne pas. Plus fondamentalement, le vote témoigne que les rapports de forces ont bougé, ce qui est à terme inacceptable pour l’impérialisme.
Mesurant l’onde de choc de ce désaveu, l’UE, les USA, la Grande-Bretagne, la France, le Canada refusent toujours de reconnaître leur échec devant cet organe régulier de l’ONU. Les conséquences sont trop lourdes et les enjeux de la région ne le sont pas moins. De plus, ce résultat fragilise et décrédibilise la nouvelle Haute Commissaire aux droits de l’Homme qui a succédé à Louise Arbour et dont le comportement partisan est déjà sévèrement jugé.
Punir le Sri Lanka ! Créer un précédent !
On vient de réformer, il y a quelques années, le Conseil des Droits de l’Homme, mais comme cela ne s’est pas passé tout à fait comme prévu et que certains pays en ont été au départ écartés, comme les USA, on recommence la même campagne de dénigrement sur « la politisation et la non représentativité » du Conseil. Le gouvernement ultra-conservateur du Canada [90]est aux avant-postes de cette campagne, d’autant qu’il compte une importante communauté sri lankaise, dont un grand nombre de Tamouls représentatifs de cette diaspora, qui a souvent une connaissance assez vague de son pays d’origine et qui par ailleurs n’a nul projet de revenir y vivre. Ce n’est pas une des moindres contradictions de ceux qui affirment vouloir un État séparé, qu’ils assimilent souvent et comme d’autres à une terre promise.[91]
On met donc en cause le vote de la Session spéciale, de la part de ceux là même qui ont exigé, puis ont multiplié les pressions, pour obtenir sa convocation. Tout cela se veut cohérent et respectueux de la démocratie. Il est vrai qu’en Europe, il est devenu coutumier que, quand les peuples votent mal, on a pris l’habitude de les refaire voter jusqu’à ce qu’ils « comprennent ». Et quand on a trop peur qu’ils s’obstinent, alors on modifie unilatéralement les textes comme à Lisbonne et l’on fait comme si le vote n’avait pas existé. On peut aussi, et c’est ce que l’on va voir dans le cas de l’ONU, non pas interpréter mais s’arroger des droits qui n’existent pas. Il est vrai que les institutions Onusiennes ont pris l’habitude que l’on se passe de leur avis si celui-ci ne convient pas. C’est aussi de cela dont il s’agit à travers ce qui se prépare au sujet du Sri Lanka. Pour ce faire, Navi Pilay en bon petit soldat est volontaire et repart en première ligne.
Son rôle devrait contribuer à trouver des consensus, non pas à diviser et à radicaliser les oppositions. La sagesse serait qu’elle s’efface derrière la décision du Conseil des Droits de l’Homme. Pourtant la réunion de la Session spéciale est a peine achevée qu’elle affirme dans une déclaration qu’elle persiste et réclame une commission d’enquête internationale. La porte parole-adointe du Secrétaire général de l’ONU, Marie Okabe, déclare « même si le Conseil des Droits de l’Homme a rejeté une enquête pour crimes de guerre, il existe bien d’autres voies pour y arriver »[92]. Lesquels ? Doit-on poser la question.
Les interprétations de Ban Ki-Moon et Navi Pilay
Le 1er juin, Ban Ki-Moon a fait officiellement une mise au point : « Aucun des chiffres communiqués sur le nombre de morts au Sri Lanka ne sont issus des services de l’ONU. Par conséquent ils ne peuvent recevoir aucune confirmation de notre part. » Puis concernant la commission d’enquête, il ajoute : « n’importe quelle enquête conduite par la communauté internationale nécessite la totale coopération du gouvernement concerné ou le soutien des membres de l’ONU, c'est-à-dire le Conseil des Droits de l’Homme, ou l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité »[93]. Il laisse ainsi entendre que la coopération du gouvernement n’est pas nécessaire si des membres du Conseil des droits de l’Homme ou de l’Assemblée générale le souhaitent. Mais pire, une telle décision n’appartient pas aux prérogatives du Conseil de Sécurité dont les attributions sont fixées par la Charte de l’ONU.[94]Son rôle est de « maintenir la paix et la sécurité internationale » et ses devoirs « de veiller au règlement pacifique des conflits, aux menaces pour la paix en cas d’acte d’agression, à faciliter des solutions régionales, à la confiance internationale ». La Charte ne prévoit aucune disposition en ce qui concerne le domaine des droits de l’homme quant aux attributions du Conseil de Sécurité.
Trois questions se posent dès lors :
1- La Haute Commissaire aux droits de l’homme a-t-elle le pouvoir d’outrepasser ceux du Conseil des Droits de l’Homme ?
2- Qu’elles sont les autres moyens auxquels Navi Pilay fait allusion sans énoncer ce qu’ils sont ?
3- Une enquête internationale peut-elle être engagée sans la coopération du pays concerné, si celle-ci a le soutien de Conseil des droits de l’homme et de l’Assemblée Générale ?
Les missions de la Haute Commissaire aux Droits de l’Homme sont clairement définies par une résolution de l’Assemblée Générale[95]. Elle réalise les taches qui lui sont confiées par les organes compétents du système des Nations Unies dans le domaine des Droits de l’Homme. Elle fait des recommandations à l’Assemblée générale sous l’autorité de laquelle elle se trouve et au Conseil des Droits de l’Homme de l’ECOSOC. Le contexte et l’esprit auxquels elle doit se conformer sont reflétés dans la Déclaration de Vienne et le Programme de la Conférence mondiale des Nations Unies sur les Droits de l’Homme. Dans tous les cas, celle-ci doit rechercher et veiller à la coopération de chaque gouvernement. Elle ne saurait donc prendre d’initiatives de son propre chef.
Donc, en conclusion, nous pouvons affirmer que Navi Pilay outrepasse son mandat en contredisant la décision du Conseil des droits de l’Homme. C’est ce que lui fera remarquer en termes diplomatiques particulièrement vigoureux l’ambassadeur de l’Inde auprès des Nations Unies à Genève.[96]
Et, par conséquent : la position du Sri Lanka est claire d’un point de vue politique, juridique et éthique. Faut il ajouter que depuis la fin de la guerre, le gouvernement et le Président de ce pays, dans toutes leurs déclarations, se gardent de tout triomphalisme, font preuve de sobriété comme de magnanimité et d’un extrême souci de réconciliation nationale. Cette démonstration a été faite devant un organe régulier de l’ONU, et le Conseil des Droits de l’Homme a pris sa décision de façon claire. Qu’aurait-on dit si le vote avait été différent ? La responsabilité de Navi Pilay et surtout de Ban Ki-Moon est de faire valoir la Charte, et en particulier les articles 1 et 2 relatif aux Buts et Principes des Nations Unies. Leur mission est enfin de faire respecter les membres des Nations Unies qui ont tous des droits et des devoirs égaux devant la Charte.
L’instrumentalisation de l’ONU continue
Évidemment, on pouvait s’attendre à ce que les puissances occidentales n’en restent pas là, et la charge de la cavalerie n’alllait pas tarder. Le 29 mai, The Times, le quotidien qui abrite les oeuvres de David Miliband et de son proche collègue Bernard Kouchner annonce, sans apporter aucune preuve, que le chiffre de morts serait de « 20 000 au moins ». Sam Zarifi, directeur Asie Pacifique d’Amnesty International reprend et réclame que « l’ONU fasse la clarté sur le bain de sang qui a eu lieu au Nord-Est du Sri Lanka ». Le 30 mai, la chaîne 4 de la BBC monte en première ligne, reprend les contre vérités du Times et donne la parole à Geoffrey Robertson, qui semble ne pas avoir compris que le Conseil des droits de l’Homme a déjà pris position puisqu’il annonce que Sri Lanka devra faire face à une enquête à la demande dudit Conseil[97]. Il ajoute, sans rire, qu’ « évidemment », on a pas de preuves, mais que la vérité comme on le sait « sortira du puit », qu’elle se fera tôt ou tard. Il ajoute qu’il y a des « prêtres et des docteurs qui parlent », qu’il y aurait des « fosses communes »[98] et que « c’est ce que l’on peut observer depuis des photos aériennes ».On se rappelle que ce sont des « photos aériennes » du même type qui avaient « prouvé » les faux massacres du Kosovo et les fausses « armes de destruction massive » irakiennes.
Le 30 mai, c’est le tour du très officieux Washington Post de prendre le relais, et de donner le ton avec les révélations de photos satellites[99]. Après avoir fait référence à un groupe de journalistes indépendants qui en hélicoptère se seraient rendus dans la dernière zone de combat et auraient constaté les traces de bombardement à l’arme lourde, ils auraient également interviewé des témoins. Les preuves seraient réunies que l’armée sri lankaise, contrairement à ses engagements et à ce qu’elle a déclaré, aurait pilonnée des zones, indépendamment du fait que des civils qui s’y cachaient. Outre que tout cela est écrit au conditionnel et qu’on ne présente aucune preuve tangible, il est intéressant de noter que d’un côté, on dénonce l’impossibilité pour les médias de se rendre sur place et en même temps, on fait référence à un voyage en hélicoptère avec interviews de témoins à l’appui, etc. Il n’y a pas un début de preuve, mais Emily Wax parle pourtant déjà « d’évidences »[100]. Pour étayer son argument, elle reçoit l’appui d’un spécialiste, Lars Bromley, directeur de l’American Association for the Advancement of Science’s Geospatial technologies and Human Rights Project[101]. Pour celui-ci, les photos satellites montrent des structures détruites (il s’agit de la zone des derniers combats ! sic !) et des cratères dans le sable large de 24 pieds, soit près de 7 mètres. Il ne peut évidemment pas préciser l’origine de ces cratères, mais comme dans le Times et le Washington Post, tout comme dans les propos de Navi Pilay, on n’évoque jamais les Tigres, on peut dès lors en conclure que cela est l’œuvre de l’armée sri lankaise qui pdevait donc se battre certainement contre des fantômes.
Il est intéressant de savoir qui finance de telles « expertises », et qui se cache derrière l’American Association for the Advancement of Science’s Geospatial technologies and Human Rights Project ? Il s’avère qu’on trouve une des Fondations les plus riches des USA, la Fondation MacArthur comme heureux parrain de cette ONG « scientifique » qui peut disposer et analyser des images satellites de haute résolution, high-resolution satellite imagery. Et qui dirige, et quelles sont les connexions de la Fondation MacArthur[102] ? Son président, Robert Denham, est membre du Conseil d’administration, entre autres, du New York Times et de Chevron, l’un des géants pétroliers US. Par ailleurs, Lloyd Axworthy, ancien ministre des Affaires étrangères ultra-conservateur du Canada est aussi membre du Conseil d’administration de Human Rights Watch [103], tout comme Jonathan Fanton qui est aussi conseiller de la Rockefeller Brothers Fondation, Jamie Gorelick membre de la Commission d’enquête sur l’attentat du 11 septembre, membre du Council on Foreign Relations, conseillère auprès du Ministère de la Défense, et enfin, elle est la directrice du Carnegie Endowment, une Fondation proche de Bill Clinton et d’Al Gore déjà citée dans cet article. Plusieurs de ces membres se retrouvent dans les conseils d’administration de Xerox, United Technologies Corporation, Amazon., Cummings, the Capital Group of Los Angeles… Voilà ce qui se cache derrière «l’indépendance » des médias et des institutions citées.
Au même moment, on a annoncé qu’un cargo, le Capitaine Ali, faisait route vers Sri Lanka. Au mépris de toutes les réglementations internationales, il n’a demandé aucune autorisation, ne s’est pas signalé aux autorités sri lankaises et a refusé de communiquer avec elles. Il a été affrété par un financier proche des Tigres et transporte des vivres et des vêtements, mais aussi plusieurs journalistes. La provocation est évidente, Il a été depuis arraisonné par la marine sri lankaise. Cette campagne va s’amplifier. Le schéma ne se renouvelle guère, les preuves, les témoignages, les provocations ont pour objectif de rendre légitime une intervention, l’exigence d’un jugement et d’une condamnation. Pour l’heure, il faut discréditer Sri Lanka, faire oublier sa victoire contre une organisation pourtant internationalement classée comme criminelle, sa capacité à résister à l’ingérence étrangère, à la division et au séparatisme, et à préserver l’unité du pays, sa dignité comme sa souveraineté nationale. Mais comme il était difficile de faire du Sri Lanka un failed state, alors il faut le punir d’une manière ou d’une autre. Mais cela ne suffit pas a expliquer l’acharnement. Au fond, « on veut faire d’une pierre deux coups », car le but de la manœuvre, c’est également de débarrasser la Charte de l’ONU de tout ce qui est aux yeux des puissances impérialistes, obsolète. Rien d’autre n’est visé que le droit des Etats et le respect de leur souveraineté. Il faut aussi légitimer l’ingérence et donner raison rétroactivement à ceux qui ont démembré la Yougoslavie, entrepris la guerre en Irak et en Afghanistan. C’est dire la gravité de telles intentions qui, si elles n’étaient pas combattues, mettraient non seulement en cause la raison d’être des principes sur lesquels l’ONU a été constitué, mais serait à coup sur utilisées contre d’autres gouvernements, d’autres États et d’autre peuples. Le projet du Carnegie Endowment pour une « autodétermination dans le nouvel ordre mondial » trouverait alors un début d’application. On cherche ainsi un prétexte pour créer un précédent permettant de se débarrasser d’une disposition dans le système des Nations Unies qui préserve l’indépendance de quelque pays que ce soit, qui conditionne toute action internationale ou toute enquête internationale à l’acceptation et la coopération de l’Etat concerné.
En fait, Sri Lanka est un « mauvais exemple » parce qu’il a réussi à résister à toutes les formes d’ingérence et que des principes forts comme indépendance, souveraineté, loin d’être dépassés, trouvent à travers son action une force et une crédibilité nouvelle. Cela peut donc contribuer à donner du sens à l’action de tous ceux qui par le monde font le choix de dire NON à ceux qui veulent dicter et imposer leur vision réactionnaire. Raison de plus pour être solidaire du Sri Lanka.
Réconciliation, reconstruction et réhabilitation
Pour le gouvernement et le président Mahinda Rajapaksa, il faut maintenant apporter des réponses concrètes à l’attente urgente de dizaines de milliers déplacés. Ce plan d’action doit s’achever en 180 jours et la feuille de route a été fixée, les moyens sont mobilisés, l’armée est utilisée à la reconstruction des infrastructures, des logements, des routes et des écoles. Les populations déplacées doivent retrouver leurs villes et leurs villages, c’est déjà le cas pour un nombre important d’entre elles. Il faut réunifier les familles. Se préoccuper de réhabilitation et de réintégration, en particulier pour les enfants soldats, et ceci fait partie des priorités. Tout cela pose des problèmes d’emplois et des programmes ont déjà été mis au point pour favoriser l’intégration des combattants du LTTE. La démilitarisation et le désarmement sont engagés.
Ce travail s’organise depuis plusieurs mois avec les agences du système de l’ONU, avec le CICR et de nombreuses ONG locales et internationales. Sri Lanka a donc besoin de solidarité internationale. Elle lui est acquise de la part des pays de la région, en particulier de l’Inde et de la Chine. Il n’est pas sans signification de constater que c’est à ce moment que Hillary Clinton et David Miliband ont choisi d’annoncer des mesures coercitives et le blocage de demandes de prêts auprès d’institutions internationales comme le FMI. La communauté sri lankaise de près de 1 million d'émigrés qui vit à l’étranger doit être mobilisée dans cette intention, son retour encouragé, tout doit être fait pour faciliter et contribuer à surmonter la tragédie que fut cette guerre. Le maître mot de Mahinda Rajapaksa est celui de réconciliation.
La réforme politique sur laquelle travaille le APRC[104] qui réunit tous les partis politiques du pays doit contribuer à apporter les réponses sur les nouvelles institutions de représentativité dont a besoin le peuple, et tout particulièrement les Tamouls. De nouvelles élections doivent être organisés rapidement.
Mais le cadre d’abord, c’est l’application du 13ème amendement, né des Accords Indo-Sri Lankais, et la dévolution de pouvoir à un nouveau gouvernement pour la province Nord du pays. Mahinda Rajapaksa souhaite aller au-delà, au-delà même de ce qui existe dans un État Fédéral comme l’Inde[105].
Il convient de prendre la mesure des choses : 30 ans de guerre, de destructions et de plaies qui seront longues à guérir. Dans ces circonstances, tout sera observé, y compris la sécurité de chaque communauté. Au fond, il ne suffit pas seulement de réparer les conséquences matérielles de la guerre, il faut aussi s’occuper du cœur et des âmes. Un espace démocratique s’est ouvert, dont tous les Sri lankais doivent bénéficier, il faut se saisir de cette opportunité. Il va s’en dire que cela sera le meilleur moyen de déjouer tous les plans de déstabilisation, toutes les provocations qui ne vont pas manquer.
Cette guerre n’était pas une guerre civile, en ce sens que cela aurait été celle d’une communauté contre une autre. Elle n’était pas plus une insurrection populaire, le LTTE n’a jamais eu l’intention de renverser le gouvernement de Colombo, n’y de chercher des alliances pour y parvenir. C’était une guerre déclenchée par une mafia terroriste soutenue ouvertement par les puissances occidentales dont l’objectif était la partition du pays pour permettre le pillage de ses ressources, le contrôle de ses corridors maritimes et une nouvelle avancée des forces de l’OTAN dans l’Océan indien. Par conséquent, s’y opposer était légitime, comme est légitime tout action contre la violence et la terreur, contre l’esclavage, contre la division et l’intolérance, contre les tentatives d’ingérence étrangères, contre les atteintes à l’intégrité territoriale de son pays et pour la libération de celui-ci. C’est ensemble, par leur unité et aussi par leurs sacrifices, que les Sri Lankais, qu’ils soient Tamouls, Cingalais, Musulmans, Burghers ont pu surmonter cette longue épreuve et l’abîme vers lequel certains voulaient les pousser. En fait, des combats comme celui de la résistance française n’avaient pas d’autres objectifs que ceux-là.
Aux termes de cette guerre, les Sri Lankais ont préservé leur liberté, leur indépendance et leur souveraineté[106]. Comme l’a dit Mahinda Rajapakasa dans son discours devant le Parlement de Colombo. [107]« Cette victoire obtenu par la défaite du LTTE est celle de toute la nation et de tout le peuple vivant dans ce pays », « Cette guerre n’était pas une guerre contre les Tamouls mais contre le LTTE » « Notre objectif était de libérer les Tamouls des griffes du LTTE ».
[1] Mao Tse Tung, OEuvres choisies, vol 1, Mars 1926
[2] Dont entre autre Quentin de Ghellinck in «
[3] M.G Buffet, Secrétaire nationale du Parti communiste français (PCF), in « Sri Lanka : une solution politique s’impose pour garantir les droits du peuple tamoul », Paris, 18 mai 2009.
[4] Ancien Secrétaire national du PCF.
[5] Tamara Kunanayakam et Jean-Pierre Page in “Reform of the United Nations proposed by the Secretary General, an analysis...”, Genève 1er juillet 2005. Article sous presse dans le prochain numéro de La Pensée libre.
[6] “Top diplomat to be expelled ? » in The Nation, 3mai 2009.
[7] John Holmes interview à l’agence Reuters, 30 mai 2009.
[8] Prof. Rajiva Wijesinha in « Foolishness or cunning-indiscriminate allegations about civilian deaths », SCOPP, 26 mai 2009.
[9] Mahinda Samarasiinghe, Ministre des doits de l’homme, Intervention à la Session spéciale du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, Genève, 26 mai 2009.
[10] Dans la foulée de l’Inde, l’indépendance de Ceylan fut proclamée en 1948. Le pays devint une République (sans l’autorité de la reine d’Angleterre) en 1972, puis une République Socialiste du Sri Lanka.
[11] Burghers : descendants des colons portugais et hollandais.
[12] Voir Quentin de Ghellinck cité plus haut. Ce dernier a également soutenu que le Sri Lanka était appuyé par les Etats-Unis. Il faut espérer que notre « mise au point » contribuera à réparer de sa part quelques retards historiques.
[14] Colvin R De Silva, ancien ministre, dirigeant du LSSP (Lanka Socialist Party) parti trotskiste, adhérent à la 4 ème internationale, le plus vieux parti politique au Sri Lanka. La majorité du parti a rompu avec la 3ème Internationale communiste à cause des positions prises par l’URSS au début de la Seconde Guerre mondiale et a alors rejoint la 4ème Internationale. Colvin R De Silva in « Two Languages One Nation, One Language Two Nations”, A young socialist publication,
[15] Le Tamil Nadu est un état du sud de l’Inde, capitale Chennai (Madras), où les Tamouls sont majoritaires et comptent près de 50 millions d’habitants.
[16] Editorial du Camberra Times, Australie, 30 avril 2009.
[17] Dr. Peter Leitner, Asian tribune, 15 avril 2008.
[18] Dr. Rajasingham Naredran, in « Road map to National unity and Reconciliation in
[19] Mahinda Rajapaksa, discours devant le parlement sri lankais, le 19 mai 2009.
[21] Tom Farell “ He dreamt of Eelam”, in The Gardian, 21 mai 2009.
[22] In “ Blood splattered path of the LTTE”, Department of Government Information,
[23] L’United National Party (UNP) resta aux affaires pendant 17 ans sans discontinuer.
[24] K.T.Rajasingham in
[25] Parti communiste indien - Marxiste (CPIM), scission du PC de l’Inde. Le CPIM dirige 3 états de l’Inde : le Bengale occidental, le Tripura, le Kerala.
[26] Eelam People Revolutionnary Liberation Front (EPRLF), organisation révolutionnaire de gauche rassemblant Tamouls et Cingalais, et favorable à un État socialiste sri lankais.
[27] Dont le premier ministre Premadasa et Ranil Vrimasijnghe.
[28] JVP : People’s Liberation Front. Organisation de lutte armée d’inspiration marxiste-léniniste, cingalaise, en fait chauvine.
[29] PLOT : People Liberation of Tamil Eelam TELO : Tamil Eelam Liberation Organisation EROS : Eelam Revolutionary Organisation of Students.
[30] République socialiste et démocratique du Sri Lanka, appellation qui est toujours en vigueur.
[31] Jeremy Page in “ Rebel defeat: diplomatic dilemma”, The Times, 20 mai 2009.
[32] Shakuntela Perera in “The truth behind real and perceived threats of terror”, in Daily Mirror, 30 avril 2009
[33] Ambassadeur M.K Bhadrakumar in “
[34] Dayan Jayatilleka in « Fighting the globalised tiger», Genève , mai 2009.
[35] Nimala Rajasingam in «The Tamil diaspora : solidarities and realities », Sri Lankan Democracy Forum. Ancienne membre du LTTE, réfugiée à Londres, première femme emprisonnée en 1980 dans le cadre du « Prevention on terrorism act», évadée, elle a ensuite quitté les Tigres à cause de leurs violations des droits humains. Le film canadien «No more tears sister» raconte son histoire et celle de sa sœur.
[36] Gomin Dayasri in « LTTE under KP », 31 mai 2009.
[37] Philippe Grangereau in “trente sept ans de terreur”, Libération, 18 mai 2009.
[38] François Chesnais, Tania Noctiummes, Jean-Pierre Page in Réflexions sur la guerre en Yougoslavie, l’Esprit frappeur dagorno, Paris 1999.
[39] Tania Noctiummes et Jean-Pierre Page « Yougoslavie, une guerre impérialiste pour instaurer un nouvel ordre mondial » dans le livre collectif : Maîtres du Monde ou les dessous de la guerre des Balkans, Le temps des cerises, Paris 1999
[40] Eric Solheim, interview à Al Jazeerah, 6 mai 2009.
[41] Erik Solheim Al Jazeerah, idem.
[42] SLFP : Sri Lankan Freedom Party.
[43] Jean-Pierre Languellier in « Les médias au cœur de la tension démocratique », Le Monde, 18 et 19 juillet 1999.
[44] François Chesnais, Tania Noctiummes, Jean-Pierre Page, Réflexions sur la guerre en Yougoslavie, Dagorno, Paris 1999.
[45] Morton Halperin, David Schaeffer et Patricia Small, in Self determination in the new world order, Carnegie Endowment, Washington D.C, 1992.
[46] François Chesnais, Tania Noctiummes, Jean-Pierre Page, ouvrage déjà cité.
[47] Rapport de la Fondation Carnegie, cité par Diana Johnston in Making the crime fit the punishment.
[48] B. Murlidhar Reddy est un jounaliste indien, connu pour son professionnalisme, il a été un des rares journalistes admis dans la zone des derniers combats. In « How the Lankan army crushed the LTTE »,The Hindu, mai 2009
[49] Tamara Kunanayakam, interview à Radio Havane le 22 mai 2009.
[50] Selon le FBI des États-Unis.
[51] Tania Noctiummes et Jean-Pierre Page in « Louise Arbour’s diabolical project », Daily News, The Island,
[52] Noam Chomsky in Failed states, Penguin Books,
[53] Dayan Jayatilleka in « Each generation has to re-fight its grandfathers’ battles » 13 février 2008.
[54] Public Communications Division, Colombo 6 juin 2009.
[55] Certains au sein du LTTE l’accusent d’avoir abandonné délibérément Prabhakaran pour prendre maintenant sa place et le contrôle d’une organisation riche en millions de dollars. La guerre des chefs vient elle de commencer ? Voir à ce sujet, la polémique entre l’ « international relations department » du LTTE et le « department for Diaspora affairs (DDA) », Tamil Net du 25 mai 2009.
[56] Indo-Lanka Joint Statement, 21 mai 2009. Dès le 20 et 21 mai, M .K Narayanan Secrétaire de la sécurité nationale et S.Menon Secrétaire d’état aux affaires étrangères viendront l’exprimer solennellement à Colombo.
[57] Mahinda Rajapaksa, PTI, Colombo, 29 mai 2009.
[58] Le corps de Prabhakaran sera identifié par plusieurs dirigeants ou anciens dirigeants des Tigres : Daya Master et Karuna, par les papiers qu’ils portaient et les tests ADN pratiqués sur lui et son fils Charles Anthony. Contrairement aux membres du LTTE, il ne portait aucune capsule personnel de cyanure. Le département international du LTTE a reconnu la mort de Prabhakaran, non sans que cela soulève une polémique publique avec les dirigeants de la « diaspora ».
[59] Octave Mirbeau, (1848-1917) journaliste, critique d’art, écrivain Français.
[60] Lewis Wordsmyth in “Louise Arbour’s dangerous liaisons”, Daily News ,
[61] Ces musulmans du Nord parlent tamoul.
[62] IFEX : « International Freedom of Expression Exchange » basée au Canada soutenu par la Fondation Ford, l’Union européenne, la Fondation Georges Soros et Freedom House, c'est-à-dire the National Endowment for Democracy et la CIA. Voir à ce sujet l’article de Lewis Wordsmyth déjà cité et ceux de Jean-Guy Allard dans Granma.
[63] CPJ : Committee to Protect journalists.
[64] Jean-Guy Allard, écrivain et journaliste à Granma, La Havane, Cuba, Miami FBI terrorist connection, MasAlla publishing, Bogota.
[65] BBC news « Joy and wariness in
[66] Mahinda Rajapaksa , interview in The week of
[67] Zbigniew Brzezinski, in Le grand échiquier, Bayard, 1977.
[68] GEAB N*34, in « La rupture du système monétaire international se confirme ».
[69] M.K Bhadrakumar, ambassadeur de l’Inde, déjà cité.
[70] Robert Kaplan in Foreign Affairs, mars avril 2009.
[71] Karim Lakjaa in « L’Airpower américaine entre crise financière et opérationelle » in La Pensée libre janvier 2009, www.lapenseelibre.fr .
[72] Convoqué à la demande des Occidentaux, la session spéciale de la commission des droits de l’homme de l’ONU sur le Sri Lanka s’est conclue par une humiliante défaite pour ces derniers. La motion soutenant Colombo a recueilli 29 voix contre 12 et 6 abstentions. Ce vote n’arrangera pas les affaires de la Sud-Africaine Navy Pilay, Haut commissaire de l’ONU, dont le pays d’origine a décidé de soutenir Sri Lanka contre son avis.
[73] Dew Gunasekara cité par Dayan Jayatilleka in « With a little help from our friends »,
[74] Le SAARC, South Asian Association for Regionnal Cooperation, comprend L’Inde, le Pakistan, le Népal, le Bangladesh, les Maldives, le Bouthan et l’Afghanistan, l’Iran étant observateur.
[75] M. K Bhadrakumar, ambassdeur de l’Inde, déjà cité.
[76] IBSA : association qui réunit l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil.
[77] Organisation des Etats Américains, créature des USA et dont fut exclu Cuba en 1962.
[78] ALBA : Alliance Bolivarienne des Amériques, dont sont membres : Cuba, le Venezuela, la Dominique, le Nicaragua, Honduras, la Bolivie, l’Équateur depuis juin 2009, l’Uruguay étant observateur.
[79] Shanghai Cooperation Organisation dont sont membres : la Chine, la Russie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan . Sont observateurs : Sri Lanka, l’Inde, l’Iran, la Mongolie et le Pakistan et un invité, l’Afghanistan.
[80] Juan Somavia, in « L’OIT craint une crise sociale pendant huit ans », le Monde avec AFP 3 juin 2009.
[81] Jean-Pierre Page, « au sujet de Cuba et d’une interview de Janette Habel dans l’Humanité », lettre ouverte envoyée à l’Humanité.
[82] Granma 7 juin 2009, édition internationale.
[83] Manuel Zelaya, Président du Honduras à la 39 ème session de l’Assemblée générale de l’OEA.
[84] Human Rights Watch, une ONG aux moyens considérables financée par l’Open Society Institute de Georges Soros, la Fondation Ford, Time Warner, Coca Cola, City group. On trouve parmi ces dirigeants, James Hoge, du Council on Foreign Relations, l’épouse de Peter Ackerman president de Freedom House, une des couvertures de la CIA au même titre que le National Endowment for Democracy. Voir a ce sujet, La Telerana imperial, enciclopedia de injerencia y subversión, d’Eva Golinger et Romain Migus, Centro Internacional Miranda, Caracas 2008.
[85] « Victory over diplomatic terrorism » in The Island,
[86] L’Humanité, 27 avril 2009 in « Les civils tamouls en première ligne » Dominique Bari.
[87] Mahinda Samarasinghe, Intervention à la Session spéciale du Conseil des droits de l’homme, 26 mai 2009 Genève.
[88] Basil Rajapaksa, le plus jeune frère du Président est chargé de la réinstallation des déplacés, du développement et de la sécurité dans la province Nord
[89] Dayan Jayatilleka, ambassadeur du Sri Lanka auprès des Nations Unies à Genève, intervention à la Session spéciale du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, 26 mai 2009. Dayan Jayatilleka est l’auteur du remarquable ouvrage Fidel’s ethics of violence - “The moral dimension of the political thought of Fidel Castro, Pluto Press, London 2007.
[90] Steven Edwards in « UN rights bypass own council in seeking
[91] A Canadian speaks to The Tamil in
[92] Marie Okabe, porte parole du UNHCR, 29 mai à Genève.
[93] Michelle Montas, porte parole de Ban Ki-Moon secrétaire général de l’ONU in « Ban Ki-Moon briefs on Sri Lanka visit, other recent missions and upcoming events », ONU, New York 1er juin 2009.
[94] Charte des nations Unies sur les fonctions et le pouvoirs du Conseil de sécurité : chapitre V article 24, chapitres VI, VII, VIII, et XII.
[95] Résolution A/RES/48/141 du 7 janvier 1994 de l’Assemblée Générale de l’ONU.
[96] Gopinathan Achamkulangare, ambassadeur de l’Inde, Réunion du Conseil des Droits de l’Homme, Genève, 4 juin 2009.
[97] BBC radio 4 in «
[98] Geoffrey Robertson, BBC 4, idem.
[99] Emily Wax in « Fresh reports, imagery contradict
[102] MacArthur, The John and Catherine T.MacArthur Foundation.
[103] Jean-GuyAllard in « Vivanco HRW ganster and leading imperial agent » sur José Miguel Vivanco responsable de Human Rights Watch pour l’Amérique latine, in Ven-Global news, 25 septembre 2008. Voir a ce sujet la lettre ouverte de protestation de 100 universitaires à l’initiative du « Council on hemispheric affairs ».
[104] APRC: All Party Representative Committee.
[105] “
[106] Maintenant que la guerre est terminée, les USA annoncent comme nouvelle ambassadrice à Colombo, Patricia Butenis, ancienne et très controversée ambassadrice au Bangladesh, et qui fut précédemment chef de mission adjointe US en Irak, ouvertement liée à la CIA. Ce qui confirme l'enjeu stratégique du Sri Lanka pour l'administration Obama. Et le fait que ce pays devrait continuer à se heurter à un barrage auprès des institutions où les USA possèdent une influence décisive, et dans les médias qui leur sont liés.
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