Il paraît que Goldman Sachs spéculerait sur la faillite de la Grèce après l'avoir aidée à camoufler son endettement, et ce, à l'insu de l'Union européenne tout entière. Et l'instrument diabolique qui aurait permis ce camouflage ne serait rien d'autre qu'un simple swap de devises, dont le mécanisme est pourtant compréhensible par n'importe quel homme politique, même de mauvaise foi ! On en aura entendu, pendant ces presque trois années, des énormités toutes plus grosses les unes que les autres. Mais, c'est bien connu, le ridicule ne tue pas.
Depuis trois ans, l'objet de toutes les tromperies porte sur la spéculation. Pas un politique, en France, ne la fustige, sans d'ailleurs expliquer ce en quoi elle consiste et son utilité. La spéculation serait la mère de tous les maux dont souffrent les marchés financiers. On doit donc la « kärcheriser ». Tel est le discours de ceux qui nous gouvernent comme de ceux, pas plus avisés, qui miment une faiblarde opposition. Mais les Français, ceux qui ne sont pas au fait de ce qui se passe dans la sphère financière, savent-ils que les pouvoirs publics soutiennent, pour ne pas dire promeuvent, ceux qui jouent, ceux qui se livrent à des paris financiers ? La loi les protège même contre toute attaque judiciaire. Pour s'en rendre compte, il suffit de faire un peu d'histoire et de lire la loi.
En principe, la loi française n'accorde aucun droit aux parieurs : ils ne peuvent aller en justice ni pour réclamer leur gain ni pour demander le remboursement des sommes perdues. C'est une façon bien hypocrite que d'interdire les paris, en les privant d'effets ; c'est ce qu'on appelle « l'exception de jeu ». La loi anglaise, elle, plus radicale, frappe les paris de nullité.
Dès 1881, la question s'était posée de savoir si certaines opérations financières n'étaient pas, en réalité, de vulgaires paris. Les juges avaient alors considéré qu'il n'y avait pas pari lorsqu'il est possible de penser que l'opération financière ne se solde pas par le paiement d'une différence entre deux actifs, mais par la livraison de ces actifs. En clair, une opération purement financière est un pari si aucun actif n'est livré. Quand on sait que la quasi-totalité des produits dérivés dans le monde se règle par le paiement d'une différence, et non par une livraison, une telle jurisprudence supprimerait tous les marchés financiers à terme. Ce n'est pas un hasard si, lorsqu'un nouveau produit dérivé arrive sur le marché, les professionnels demandent un avis juridique pour s'assurer que ce nouveau produit ne risque pas d'être qualifié de pari. Ce fut le cas en 1997 lorsque les premiers CDS (« credit default swap ») ont vu le jour.
Ce n'est pas un hasard, non plus, si l'article L. 211-35 du Code monétaire et financier dispose que « Nul ne peut, pour se soustraire aux obligations qui résultent de contrats financiers, se prévaloir de [l'exception de jeu], alors même que ces opérations se résoudraient par le paiement d'une simple différence ». En d'autres termes, un contrat financier qui ne serait rien d'autre qu'un pari échapperait à l'exception de jeu qui frappe les paris non financiers ! Pourquoi une telle dérogation en faveur de la finance ? Tout simplement parce que les pouvoirs publics craignent que les produits dérivés soient requalifiés en paris, ce qui serait la mort des marchés à terme. Pourtant, si les produits dérivés étaient toujours économiquement justifiés, ce risque n'existerait pas. Mais il faut croire que tel n'est pas le cas : il suffit de surfer sur le Net pour se rendre compte que des sites financiers proposent au public de parier sur des indices boursiers et autres actifs financiers. Et l'on ne peut s'empêcher de rapprocher cette loi pousse-au-crime aux cris d'orfraie des politiques face à la spéculation financière. Les pouvoirs publics doivent, d'urgence, se soigner de cette schizophrénie : fustigeant la spéculation en public, ils l'enfantent en coulisses.
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