La plupart des gouvernements sont unanimes : nous devons freiner le réchauffement climatique. Mais derrière les discours de façade, dans les couloirs du sommet de Copenhague, les mesquineries de chacun reprennent vite le dessus sur l’intérêt général. Des Etats-Unis à la Chine, en passant par l’Union européenne ou l’Arabie Saoudite, petit tour de ceux qui rechignent à conclure un accord contraignant. Sous l’oeil atterré des Etats, notamment africains, qui ont le plus à perdre.
« Depuis l’ouverture des négociations, chaque grand groupe de pays avance ses cartes et montre ce qu’il attend », explique Mathieu, de l’ONG de solidarité international d’Oxfam. Il y a d’abord eu les suspensions de séance liées à la pression des pays en développement pour ratifier un nouvel accord juridiquement contraignant. Une fronde menée par le minuscule Etat de Tuvalu, dont les 12.000 habitants sont menacés par la montée des océans. Puis cette phrase, lourde de reproches, de Dessimila Williams, déléguée générale de la Grenade, dans les Caraïbes, et porte parole des petits Etats insulaires : « Nous ne sommes même pas sur le globe dans le hall de la COP15 ». Pour Morgane Créach du Réseau Action Climat – France, « la question qui a beaucoup pesé dans les négociations cette semaine est la symétrie des engagements alors même que les Etats-Unis ne sont pas dans le Protocole de Kyoto ». En clair : dis-moi ce que tu feras, je te dirai ce que je compte faire de mon côté. Résultat : rien ne bouge. « Il est possible que l’on ait un amendement au Protocole de Kyoto ou un nouveau Protocole comme le propose Tuvalu. Dans ce cas, un protocole lié à la Convention contraindrait les Etats-Unis », espère Morgane.
Les pays en développement n’acceptent de contrainte... que volontaire
Cette proposition pourrait effriter le groupe du G77 et de la Chine. Si les pays émergents soutiennent Tuvalu pour aboutir à de vrais engagements contraignants des pays riches et en particulier des Etats-Unis, ils refusent d’être eux-mêmes contraints sous la Convention. « Le G77 est derrière Tuvalu, mais ils refusent d’être contraints sur le marché international, relativise Geneviève Azam, d’Attac-France. Cependant, ils acceptent des plans nationaux de réductions. » En gros, de fixer eux-mêmes leurs objectifs de limitation des émissions de CO2. Problème : « Si l’on reste seulement sur du volontariat, il n’y aura pas d’accord », précise Pierre Radanne, expert pour l’Organisation de l’unité africaine (OUA) sur les négociations climat.
L’Arabie Saoudite ne veut pas perdre ses pétrodollars
Le consensus est donc loin d’être atteint. Dans le G77, on trouve des pays pétroliers comme l’Arabie Saoudite qui ont beaucoup à perdre à la signature d’un accord ambitieux et contraignant. Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du GIEC rappelle que « selon l’Agence internationale de l’énergie, un accord fort pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ferait perdre 4 milliards de dollars aux Saoudiens d’ici à 2030 en limitant le recours aux énergies fossiles comme le pétrole ».
L’Afrique du Sud et la Norvège ont le sens de l’intérêt général
La plupart des ONG saluent toutefois les propositions chiffrées des pays émergents. « L’Afrique du Sud a annoncé qu’elle allait entreprendre des actions de réductions qui diminueront de 34% ses émissions par rapport à son tendanciel d’ici à 2020 et d’environ 42% d’ici à 2025. C’est un chiffre très ambitieux, un vrai pas en avant, reconnaît Morgane Créach. Malheureusement, les pays industrialisés restent eux sur des propositions de réductions d’émissions très faibles ». Mis à part quelques pays, comme la Norvège qui propose des réductions d’émissions de 40 %, l’ensemble des pays développés n’atteint que 8 à 12 % de réductions. Leurs propositions sont parfois même provocatrices. Le deuxième jour des négociations, le Guardian a révélé le projet d’accord du Danemark : ne faisant aucune allusion au Protocole de Kyoto, ce texte a fait souffler un vent de colère dans les couloirs du Bella Center, lieu de négociations officielles.
L’Union européenne ? « Wait and see »
Quant à l’Union européenne, « sa position est poussiéreuse », s’indigne Morgane Créach. Beaucoup attendait du Conseil des 27 chefs de l’Etat de l’Union européenne qui s’est tenu les 9 et 10 décembre un objectif de 30 % de réductions d’ici 2020. Mais le texte du Conseil européen réitère la promesse inscrite dans le paquet énergie climat voté il y a un an, à savoir que l’objectif de réduction des gaz à effet de serre pourrait passer de 20% à 30% en 2020, à condition « que d’autres pays développés prennent l’engagement de parvenir à des réductions comparables de leurs émissions, et que les pays en développement contribuent à l’effort de façon appropriée, en fonction de leurs responsabilités et de leurs capacités respectives ». Bref, si ni les Etats-Unis ni la Chine ne font d’efforts, l’Europe en consentira très peu.
« L’Union européenne a choisi de rester sur ses positions, et d’attendre que les autres états bougent sur leurs propres objectifs. Elle est incapable de faire une coalition avec les pays en développement pour isoler ceux qui n’avancent rien », ajoute Morgane Créach. L’Union européenne s’engage par ailleurs à des financements de 2,4 milliards d’euros par an sur du court terme entre 2010 et 2013, alors que les ONG demandent un minimum de 35 milliards d’euros par an à long terme. Une annonce qui a fait sombrer le porte-parole du G77 dans une froide colère, « 10 milliards de dollars ne suffiront pas à acheter les cercueils des habitants des pays en développement ».
Etats-Unis et Canada : le climat ? Rien à f...
Outre Atlantique, les positions des Etats-Unis et du Canada seraient « catastrophiques ». Selon la chargée de campagne du Réseau Action Climat – France, « les Etats-Unis veulent demander les mêmes engagements aux pays en développement et aux pays industrialisés alors qu’ils n’ont même pas réduit leurs émissions et qu’ils ne proposent rien en terme de financements ». Cette question du financement de l’adaptation était le parent pauvre du Protocole de Kyoto. Subissant dès aujourd’hui les impacts du changement climatique, le groupe africain met en avant cette question dans les négociations à Copenhague. « La Chine et l’Inde, même si elles ne demandent pas d’argent pour leur propre pays, n’accepteront pas un accord qui ne donnent pas de l’argent aux pays en développement », explique Pierre Radanne. Alors que les décisions se prennent au consensus, le refus de signer de l’une des parties empêcherait donc tout accord.
C’est dans cette configuration que le diplomate maltais Michael Zammit Cutajar a proposé vendredi 11 décembre « un brouillon » (draft text en anglais) visant à chapeauter les discussions. Il prend pour base la continuation du Protocole de Kyoto. « Cutajar est le plus légitime car il est le président de la COP, estime Morgane Créach. Il propose une vision partagée, des objectifs de réductions des émissions des pays industrialisés, des financements, des actions des pays en développement, avec plein d’options entre crochets ». M. Cutajar indique notamment que l’on « devrait » limiter la hausse de la température de la planète à 2°C ou à 1,5°C, le choix étant laissé à la discussion. Les petits Etats insulaires ainsi que le groupe africain sont particulièrement attentifs à cette question assurant que leur « survie dépend de ces chiffres ».
Vers un compromis ?
La semaine qui s’annonce au Bella Center devrait donc porter essentiellement sur la poursuite du Protocole de Kyoto, les finances et les objectifs d’émissions. Les ministres, arrivés le 13 décembre, préparent le terrain pour l’arrivée des chefs d’Etats le 17 décembre. « Les négociations ne vont pas se jouer sur la base d’une discussion purement Chine – Etats-Unis, commente Pierre Radanne. Lorsque Obama est venu voir Su Wei fin novembre ils ont passé un pacte. » « Depuis l’ouverture des négociations, précise Geneviève Azam, on sent monter une tension très forte entre pays du Sud et pays riches. Une nouvelle configuration se redessine ». Un rapport de force illustré par la décision, le 14 décembre, de plusieurs pays africains ainsi que de l’Equateur de ne plus participer aux négociations jusqu’à ce que le Protocole de Kyoto soit traité de manière prioritaire en séance plénière.
http://www.bastamag.net/spip.php?article806
Sem comentários:
Enviar um comentário