Contre Info, 17 décembre 2009
Mythes écologiques, version anglaise
En 2004 l’International Policy Network, une organisation lobbyiste britannique, reprend la thématique des mythes environnementaux, si chère à Fred Singer et publie « Environment & Health : Myths & Realities » (Environnement et Santé : Mythes et Réalités). Notons au passage que IPN est un nom de marque. La raison sociale réelle de cette organisation est Atlas Economic Research Foundation UK, identique au think tank de Fairfax qui a généreusement hébergé gratuitement le SEPP en 1995. IPN est financé à 75% par les entreprises, avec 450 000 livres sur les 600 000 livres de son budget total 2001. [1].
Entre 1998 et 2005, IPN a reçu du pétrolier ExxonMobil 295 000 dollars, dont 45 000 en 2004 spécifiquement destinés à soutenir son action sur les « questions du changement climatique et de l’énergie ».
En 2005, la contribution d’ExxonMobil représentait de l’ordre de 30% du budget total de l’IPN. [2]
Le communiqué de presse d’IPN [3]énumère les thèmes abordés :
Les pesticides sont bénéfiques pour l’homme
La dangerosité des produits chimiques perturbateurs endocriniens (qui modifient l’équilibre hormonal et les fonctions reproductives) n’est pas établie. (Sur l’état des connaissances scientifiques en la matière, voir Wikipedia Modulateur Endocrinien)
Les nitrates ne sont pas dangereux pour la santé humaine
Les efforts visant à prévenir les irradiations à bas niveau sont inutiles.
Les craintes sur la toxicité de la dioxine sont totalement injustifiées.
Le réchauffement climatique aura des effets bénéfiques et l’on ne doit pas s’inquiéter d’éventuelles surmortalités dues aux canicules.
...
En explorant la liste des scientifiques qui ont rédigé les dix chapitres de l’ouvrage, on retrouve deux vieilles connaissances.
Zbigniew Jaworowski : contributeur au NIPCC du SEPP
Bruce N. Ames : Invité principal d’une conférence co-organisée à Paris en 1993 par le SEPP et l’ICSE, où la dangerosité de l’amiante, du DDT, du tabagisme passif, de l’arsenic avait été remise en cause. [4]
Et les habituels défenseurs de l’industrie, comme Lois Swirsky Gold, qui affirme dans un ouvrage publié en collaboration avec Bruce N. Ames qu’il « n’existe pas de preuve convaincante que les polluants chimiques soient la cause de cancer pour l’homme ». [5]
Deux noms ont retenu notre attention : J.C. Hanekamp présenté comme le directeur de « L’Appel de Heidelberg », des Pays Bas et le Docteur L’Hirondel, rhumatologue à l’hôpital de Caen.
Lobbying recyclable, du climat aux antibiotiques dans l’élevage animal
Rappelons que l’Appel d’Heidelberg est l’une des nombreuses pétitions où le SEPP apparait dans le comité d’organisation. Rédigée par le français Michel Salomon, il s’agissait à l’origine d’une initiative de l’industrie de l’amiante qui, au gré des alliances successives des industries impliquées sur le front de l’environnement, a reçu le soutien des cigarettiers, puis élargi ses objectifs à l’ensemble des pollutions atmosphériques. [6]
Se présentant comme une déclaration d’ordre général sur les relations entre science et société, elle a cependant servi de machine de guerre contre la perspective de réglementation des émissions de carbone, à l’occasion du « sommet de la terre », organisé par l’ONU à Rio en 1992.
En 1993, tablant sur la notoriété de l’appellation, un groupe hollandais rassemblant scientifiques et lobbyistes, dont Karel Beckman, aujourd’hui rédacteur en chef de l’European Energy Review [7] fonde l’Heidelberg Appeal Nederland (HAN) [8]
La première lettre d’information diffusée par le HAN indique que l’organisation traitera en priorité de l’ « Agriculture et l’environnement », sujet à priori assez éloigné de l’Appel de Heidelberg original, mais dont la prééminence s’explique par le poids important du secteur agricole en Hollande.
Dans cette lignée, J.C. Hanekamp, le dernier directeur de l’organisation, a publié plusieurs études sur l’utilisation des antibiotiques dans l’élevage industriel, rebaptisés pour l’occasion en Antiobiotiques Promoteurs de Croissance (Antibiotic Growth Promotors, AGP), et sur les risques associés aux nitrates, jugeant trop sévères les normes en vigueur dans les deux cas.
Ces publications sont évidemment saluées par les industriels du secteur, comme par exemple l’Office National de la Santé Animale britannique (NOAH), qui affirme, en s’appuyant sur les travaux de Hanekamp, que l’usage des antibiotiques dans l’élevage ne se traduit pas par une résistance accrue des souches humaines. [9]
Hanekamp, « expert » auprès de l’AFSSA
En 1999, M. Haneckamp participe au groupe de travail « évaluation du risque » lors d’une conférence organisée par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments sur l’usage des antibiotiques. [10]
Il devait également donner une conférence sur les AGP, mais ayant du rentrer précipitamment en Hollande pour la naissance de son troisième enfant, c’est Robin Bywater, de la branche anglaise du laboratoire pharmaceutique Pfizer qui le remplacera au pied levé et délivrera son message aux congressistes.
Il rendra compte d’une étude commanditée par la Fédération Européenne des Fabricants d’Adjuvants pour la Nutrition Animale, destinée à évaluer l’impact de l’usage des antibiotiques dans l’élevage dans l’apparition de souches résistantes aux antibiotiques chez l’homme. M. Bywater indiquera - quelle surprise - que les travaux de l’organisation concluent à une non transmissibilité de la résistance aux antibiotiques entre l’animal et l’homme, et ce en dépit de l’existence d’un cas avéré de présence d’une même souche d’Enterococcus résistante à la vancomycine détectée chez l’homme et l’animal dans un élevage en Turquie. [11]
Levée de bouclier en Bretagne contre le docteur L’Hirondel
La Bretagne est l’une des régions les plus touchée par la pollution des nitrates résultant de l’usage intensif des engrais ou provenant des déjections animales des très nombreux élevages de volaille et de porc. Dans plusieurs villes, dont Guingamp, l’eau potable est devenue impropre à la consommation, avec une concentration dépassant la norme des 50 mg/l. Les algues vertes, dont la croissance est favorisée par les nitrates, envahissent à chaque été le littoral et dégagent en se décomposant des gaz toxiques. Ces émanations ont tué plusieurs animaux, dont un cheval en 2009, et provoqué des lésions chez les employés chargés du nettoyage des plages. En juillet dernier, un chauffeur de camion est mort après avoir déchargé plusieurs cargaisons d’algues, et bien que son décès ait été attribué à une crise cardiaque, de fortes suspicions existent sur le rôle de l’exposition aux émanations toxiques. [12]
Depuis des années, les associations bretonnes de défense l’environnement dénoncent cette situation et luttent contre la pollution des rivières et des réseaux d’eau potable. C’est dans ce contexte que le docteur Jean Louis L’Hirondel, rhumatologue du CHU de Caen, a publié en 1996 un ouvrage dont le titre reprend la thématique des mythes environnementaux, habituelle aux réseaux lobbyiste : « Les nitrates et l’homme, le mythe de leur toxicité », dans lequel il affirme que cette substance ne présente aucun risque sanitaire pour l’homme, en dehors des nourrissons de moins de six mois, et que les réglementations en la matière n’ont pas lieu d’être.
L’association écologique « Eau et Rivières de Bretagne », qui a fait le récit de cette affaire [13] , précise que cet ouvrage, refusé par les éditions Lavoisier, a été publié par les éditions de l’Institut de l’Environnement, une association qui réunit une « cinquantaine de membres parmi lesquels des agriculteurs, des éleveurs, et plusieurs industriels de l’agro-alimentaire dont les sociétés Doux, Triballet, Besnier, Daucy, » et déclare vouloir « ne pas laisser aux seuls écologistes le monopole du débat scientifique sur les questions de l’environnement, notamment sur le secteur agricole et les nitrates, principalement apportés dans l’eau par les engrais et les rejets des élevages. »
Aussitôt, de « nombreux industriels bretons se chargeront de faire la publicité de l’ouvrage, » qui sera « présenté très favorablement » aux membres du Conseil départemental d’hygiène du département d’Ille-et-Vilaine, chargé d’émettre un avis sur chaque demande d’autorisation d’élevage porcin.
Eau et Rivières de Bretagne réagira en publiant un communiqué dénonçant « une tentative de désinformation et de remise en cause des normes en vigueur, orchestrée par un lobby agricole et agro-alimentaire. »
Saisi par par la DDASS du Calvados, le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France émettra en mars 1996 un avis sur les travaux du professeur L’hirondel, dans lequel il dénonce le « caractère trop absolu de ses conclusions » et réaffirme « la nécessité de respecter le principe de précaution et de maintenir les normes en vigueur. »
L’action de l’association Eau et Rivières portera ses fruits. Plusieurs scientifiques s’élèveront dans la presse contre l’argumentation de l’ouvrage, et l’Institut de l’Environnement arrêtera d’en faire la publicité.
Enfin, le 24 mars 1997, le Conseil scientifique régional prend position officiellement sur le livre : « L’ouvrage de M. L’hirondel n’apporte pas d’arguments nouveaux issus de recherches et d’expérimentations publiées, susceptibles de réviser la position des scientifiques sur les risques multiples liés à l’augmentation de la teneur en nitrates dans les eaux... Au moment où tout le monde prône un développement durable, où des affaires récentes démontrent l’importance du principe de précaution, peut-on prendre le risque de réduire les facteurs de sécurité jusqu’alors retenus ? »
La science, instrumentalisée au service des intérêts privés
Ces deux exemples, choisis en raison de leurs implications dans le débat scientifique et environnemental en France, montrent encore une fois s’il en était besoin les mécanismes à l’œuvre. Des publications d’allure scientifiques défendant des thèses hétérodoxes sont utilisées et dans certains cas sollicitées par les industries polluantes, et les servent dans leur perpétuel combat contre les réglementations environnementales et sanitaires.
Qu’il s’agisse du nitrate, des antibiotiques, des pesticides ou de n’importe quelle substance - y compris, bien sûr, le CO2- l’objectif est toujours le même. Nier les impacts sanitaires et environnementaux, insinuer le doute sur le bien fondé des normes en vigueur, retarder l’adoption de mesures réglementaires.
A chacun de juger, en son for intérieur, de la confiance que l’on peut accorder à ces travaux, à ces hommes, à ces réseaux, lorsqu’ils interviennent dans les débats sur le climat.
Illustration - Cartographie des réseaux de Fred Singer, source Greenpeace : Exxon Secrets
Le symbole dollar associé aux organismes indique qu’ils sont financés par Exxon.
[1] IPN : Déclaration d’activité 2001
[2] Union of Concerned Scientists Exxon Report, page 32
[3] IPN : New book debunks environment, health myths
[4] Philip Morris International Center for A Scientific Ecology Guidelines for the Seminar on Linear Relationship for Risk Assessment of Low Doses of Carcinogens
[5] Misconceptions about the Causes of Cancer
[6] Document Philipp Morris L’Appel de Heidelberg
[7] L’Expansion Karel-Beckman- : attention aux deux formes du nationalisme petrolier
[8] Klimaat Blog The beginning of HAN
[9] NOAH European Elections, June 1999 - A message to UK candidates
[10] AFSSA Summary report of Working Group 1
[11] Minutes de l’AFFSA The Results of the Heidelberg Appeal Foundation Literature Study of Antibiotic Growth Promoters
[12] Marc Laimé Algues vertes : mort d’un nettoyeur de plages
[13] Hiver 96-97 : Eau et Rivières de Bretagne et l’affaire L’hirondel
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2929
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