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13/12/2009

Le mouvement étudiant en Allemagne : Humboldt occupe les amphis !

La réforme des études universitaires en cours actuellement en Allemagne s’inscrit dans le cadre d’un processus déjà à l’œuvre dans la plupart des pays européens conformément à la stratégie dite de Bologne. En cela, le mouvement de protestation des étudiants, qui dure depuis plusieurs semaines outre-Rhin, est plus généralement révélateur des évolutions imprimées à l’université en Europe. Reste à comprendre pourquoi c’est en Allemagne que les étudiants se mobilisent.

Origines et gestion du conflit

En cette fin novembre, le mouvement de protestation des étudiants allemands perdure. Apparu au printemps dernier, il a été relancé cet automne, à partir de l’Autriche, avant de s’étendre à nouveau à la plupart des Länder. Il a donné lieu à plusieurs journées de manifestations, avec un moment fort le mardi 24 novembre. Sur la centaine d’universités que compte la République Fédérale, une vingtaine font toujours l’objet d’occupations de locaux (symboliquement ici : le grand amphithéâtre), qui ne paralysent pas pour autant l’ensemble des activités d’enseignement. Les organisations d’étudiants ont annoncé une « semaine d’action » à l’échelle fédérale pour la semaine débutant le 30 novembre. Elles mettent en avant trois revendications principales : la révision des modalités de mise en œuvre de la réforme des études conformément au processus de Bologne (Bachelor-Master-Doktorat), à laquelle elles réclament d’être associées ; la pénurie durable de moyens ; la remise en cause des frais d’inscriptions, introduits dans certains Länder, et plus généralement le refus de la soumission de l’enseignement supérieur à une logique systémique de concurrence et de rentabilité.

Dans un contexte où le Bund s’est départi de l’essentiel de ses pouvoirs en matière d’enseignement supérieur, à l’exception partielle du financement – comme pour les « initiatives d’excellence » ou certains programmes de recherche – et où la concurrence entre les Länder se fait plus vive[1], la gestion du conflit donne lieu à un jeu de rôle où chacun des acteurs responsables cherche à passer aux autres la « patate chaude ». Le Bund se tourne vers les Länder, qui eux-mêmes reprochent au Bund de les étrangler financièrement. Les Länder, regroupés à l’échelle fédérale dans le cadre de la « conférence permanente des ministres de l’éducation et des affaires culturelles », en appellent à la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur, qui eux-mêmes, par l’intermédiaire de la Hochschulrektorenkonferenz (la conférence des Présidents d’université), qui leur sert de porte-parole, mettent en cause les Länder.

Jusqu’à présent bien considéré par les faiseurs d’opinions, l’une des originalités de ce mouvement de protestation est qu’il donne lieu à un festival de déclarations d’assentiment parmi les responsables. Annette Schavan, la Ministre de l’éducation et de la recherche à l’échelle fédérale, tout en soulignant les réussites de certains cursus rénovés, partage certains « soucis » des étudiants et attend des Länder qu’ils mettent en œuvre rapidement les correctifs annoncés par la résolution du 16 novembre dernier (voir plus loin). Elle a annoncé parallèlement une augmentation des bourses et une extension de leur condition d’attribution. Pour un peu la Chancelière irait elle aussi manifester avec les étudiants : dans un discours prononcé il y a quelques jours, elle a glissé que si la mise en œuvre du processus de Bologne était irréversible des aménagements étaient tout autant nécessaires. De leur côté, le SPD, les Grünen et die Linke soutiennent les principales revendications des étudiants. Certains présidents d’universités, à l’image de Christoph Markschies, le Président de la Humboldt à Berlin, ont également fait part de leur « compréhension » en ce qui concerne les critiques adressées à la réforme des études.

Eléments de contexte

En raison de l’importance du système de formation dual (formation en alternance entre écoles professionnelles et stages en entreprise), l’Allemagne compte traditionnellement une proportion moins forte d’étudiants dans l’enseignement supérieur que dans la plupart des pays à niveau de développement comparable. En 2006, on recensait un peu plus de deux millions d’étudiants (2,3 millions selon l’OCDE, contre 2,2 en France, un chiffre en stagnation depuis dix ans dans ce dernier cas), dont 70% vont à l’université et 29% dans les Fachhochschulen (l’équivalent de nos IUT). Les effectifs sont cependant en hausse : plus 200.000 en dix ans, car le nombre d’entrées dans l’enseignement supérieur a progressé, notamment ces toutes dernières années. La proportion des étudiants dans chaque classe d’âge a bondi de 31% à la fin des années 1990 à 43% en 2009 (source : Statistisches Bundesamt) – à comparer à 60% en France. En pourcentage du Produit Intérieur Brut, les dépenses publiques pour l’enseignement supérieur sont un peu inférieures en Allemagne à ce qu’elles sont en France (1 contre 1,2% en 2005 selon l’OCDE), mais compte tenu de la moindre proportion d’étudiants par classe d’âge la dépense par étudiant était supérieure environ de 10% outre-Rhin en 2005. Le premier problème est cependant que, dans un contexte de maîtrise drastique de la dépense publique globale – dont la part dans le PIB a reculé de 5 points de pourcentage entre 2003 et 2008 – l’augmentation des effectifs s’est faite à moyens constants.

Avant la réforme en cours, les études supérieures en Allemagne se distinguaient en substance par une relative liberté de choix – cependant variable selon les disciplines, les filières et les diplômes – au sein et entre les matières étudiées et quant à l’organisation et au rythme des parcours. Ce cadre permettait en particulier à un cinquième des étudiants allemands d’effectuer au cours de leurs études un séjour à l’étranger contre 10% en France. Compte tenu de cette liberté de choix, d’une scolarité plus longue dans le secondaire et de délais d’entrée dans certaines filières en raison du numerus clausus à l’entrée à l’université, l’âge des étudiants allemands était en moyenne plus élevé que dans d’autres pays, notamment la France (24,7 ans contre 22,4 ; source : Observatoire national de la vie étudiante), mais le taux d’étudiants abandonnant l’enseignement supérieur sans diplôme y était en revanche plus limité (30%).

Bologne et associés

Ce paysage a été, ici comme ailleurs, profondément redessiné par le processus dit de Bologne. Dynamique enclenchée en 1998 par la déclaration de la Sorbonne, puis fruit d’un accord intergouvernemental en 1999, à l’origine signé par 29 pays européen (46 en 2007 plus la Commission Européenne), ce processus visait à la mise en place d’un « espace commun d’enseignement supérieur ». Ses objectifs les mieux connus sont l’organisation des études en trois cycles – Licence-Master-Doctorat –, l’instauration d’un système de crédits transférables entre universités (European Credits Transfer System) et une meilleure comparabilité entre les diplômes ; autant de dispositions destinées à faciliter « l’employabilité » des étudiants et leur mobilité au sein d’un « espace européen d’enseignement supérieur ». S’y ajoute l’élaboration de standards communs d’évaluation de la qualité des diplômes visant à rendre l’enseignement supérieur européen plus « compétitif ».[2] Ces objectifs vont être soutenus et réappropriés par l’activité discursive de la Commission Européenne et par l’Union Européenne elle-même dans le cadre de la stratégie dite de Lisbonne, arrêtée en 2000, visant à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » à l’horizon 2010… Selon la rhétorique de la Commission, dans un contexte marqué par la « mondialisation » et la concurrence toujours « croissante » à l’échelle internationale, par l’importance grandissante du « capital humain », par le « vieillissement de la population active » et par « la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication », l’enseignement supérieur doit être conçu comme une activité productive, dont le produit final est quantifiable et doit faire l’objet de procédure d’étalonnage des performances à l’échelle internationale[3].

Cette lecture rejoint celle faite par les cercles gouvernementaux européens quant aux impératifs à assigner à l’enseignement supérieur. Il s’agit pour y parvenir de modifier le rôle de l’Etat vis-à-vis des universités en passant à une dotation des moyens aux universités selon des critères de performance, d’accorder aux établissements plus de responsabilité et de compétences (notamment en termes de gestion des carrières) afin de renforcer la hiérarchie interne et de transformer le travail des universitaires, de renforcer le poids des acteurs concernés (entreprises, collectivités territoriales) par les activités universitaires dans le pilotage des établissements, d’accroître enfin la part des financements privés.[4]

Une mise en œuvre source de tensions multiples en Allemagne

L’Allemagne, où les établissements d’enseignements supérieurs disposent de longue date d’une plus forte autonomie et de règles de gouvernement mieux établies, s’est attelée plus tardivement à l’entreprise de réforme. La mise en place du Bachelor-Master-Doktorat en lieu et place de Grundstudium (premier cycle) de l’Hauptstudium (deuxième cycle) puis, selon les disciplines, du Magister ou du Diplom, ne se déroule pas sans tensions et la mise en œuvre de la réforme a été lestée par d’autres enjeux : contrainte budgétaire renforcée, inégalités organisées entre universités et filières, droits de scolarité.

La nouvelle architecture des cursus s’est d’abord traduite par un raccourcissement de la durée des études et donc une charge de travail plus élevée dans la mesure où des contenus d’enseignement souvent identiques ont été comprimés sur une durée réduite. C’était au demeurant l’un des principaux objectifs visés. Elle a également restreint les possibilités de suivre des enseignements dans d’autres disciplines ou de passer d’une discipline à une autre au cours des études. Une certaine autonomie des parcours, encourageant la curiosité intellectuelle (et interdisciplinaire), mais plus difficile à gérer pour les étudiants ayant hérité d’un moindre capital culturel, a donc été remise en cause. Les étudiants se plaignent en conséquence du « bachotage » et des examens nettement plus fréquents (la « folie des examens » : Prüfungswahnsinn), qui plus est dans des conditions matérielles dégradées. Pour parvenir à ses fins, la réforme aurait dû en effet s’accompagner d’un renforcement de l’encadrement des étudiants, là où la pénurie de moyens (à commencer souvent par les locaux) conduit au résultat inverse.

La concurrence croissante entre les universités, encouragée par les Länder, et « l’initiative d’excellence » pilotées par le Bund – destinées à doter un nombre limité d’universités, de programmes de formation et de cluster de recherche de moyens supplémentaires – pose la question du paysage universitaire ainsi dessiné et notamment des missions assignées aux établissements qui se retrouvent a contrario marginalisés. Par ailleurs, en raison des critères d’évaluation retenus, cette dynamique encourage les enseignants à délaisser encore un peu plus leurs activités d’enseignement au profit de la recherche ; ce qui fait dire aux étudiants mécontents des universités sélectionnées que « l’initiative d’excellence » est surtout une excellente initiative pour les enseignants distingués.

Comble d’ironie, un processus de réforme censé faciliter la mobilité des étudiants, conduit d’abord à faire de la mobilité des étudiants entre universités allemandes un parcours d’obstacles (notamment en raison des modalités de reconnaissance des diplômes) et à la rendre ensuite moins aisée à l’échelle internationale – à l’exception de quelques cursus intégrés –, notamment en raison du raccourcissement de la durée des études.

A cela s’ajoute enfin la question sensible des frais d’inscription (Studiengebühre) introduits dans plusieurs Länder après le feu vert de la Cour constitutionnelle, à laquelle la nouvelle coalition gouvernementale à l’échelle fédérale entend répondre par un accroissement des bourses (pour des sommes pourtant déjà deux fois plus importantes qu’en France). Sous la pression, la coalition gouvernementale conservatrice du Land de Basse-Saxe a pour sa part décidé récemment de les supprimer. Mêmes les protestations des étudiants les plus politisés contre la « marchandisation » de l’enseignement supérieur ne sont pas sans trouver un certain écho auprès d’une partie du corps enseignant ; des enseignants de plus en plus soumis au salaire au mérite, aux activités chronophages d’obtention de ressources externes (Drittmittel) pour mener à bien leur projet de recherche et, comme ailleurs, à l’entreprise de normalisation de la pensée liée à l’injonction « publish or perish ».

S’agissant de la réforme des études, la situation est telle que, dans une déclaration en date du 16 novembre dernier, la conférence permanente des ministres de l’éducation et des affaires culturelles des Länder s’est engagée à obtenir des améliorations substantielles[5]. De leur côté, les Présidents d’universités viennent d’en appeler à un “sommet de Bologne” associant l’ensemble des parties prenantes, ce qui est une première victoire pour les étudiants. Car, plus globalement, c’est une certaine conception des missions et de l’organisation de l’université en voie de massification ici qui est en jeu. Il est intéressant de noter à ce propos que ce sont dans les pays de culture germanique, marquée par la philosophie de la Bildung – notion qui associe l’acquisition du savoir au développement de soi – et de l’Université auto-organisée et humaniste, conceptions notamment défendues par Wihlem von Humboldt (le fondateur, en 1810, de la première université berlinoise), que la réforme des études universitaires suscitent les tensions les plus vives.


[1] Voir mon « Allemagne 2009-2013 : demandez le programme (III) ! La politique en matière d’éducation et de recherche. »

[2] Pour une mise en perspective de la genèse du processus de Bologne, voir Jean-Emile Charlier, « Le processus de Bologne, ses acteurs et leurs complices », Education et sociétés, n°12, 2003/2.

[3] Voir Ruth Keeling, « The Bologna Process and the Lisbon Research Agenda: the European Commission’s expanding role in higher education discourse », European Journal of Education, vol. 41, n°2, 2006, p.203-223.

[4] Voir le numéro spécial de la revue du Mauss, sur L’Université en crise. Mort ou résurrection ?,33 (1), 2009, et sur ce point la contribution de Christine Musselin « Les réformes des universités en Europe », p. 69-91.

[5] Elle invite les établissements d’enseignement supérieur à utiliser les marges de manœuvre disponibles pour la durée des études en Bachelor (qui « peut s’élever à 6, 7 ou 8 semestres ») et à « examiner » le contenu des diplômes en termes de compétences à transmettre et d’objectifs. Elle les appelle en particulier à reconsidérer les excès de la spécialisation, à veiller à laisser ouvertes « des fenêtres de mobilité » entre diplômes et établissements (avec des procédures de reconnaissance des diplômes moins contraignantes) et à revoir la part respective des enseignements obligatoires et ceux à option. Un processus de suivi des réformes est annoncé.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/lechevalier/2009/11/30/le-mouvement-etudiant-en-allemagne-humboldt-occupe-les-amphis/

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