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15/09/2009

GEAB N°37: Crise systémique globale : A la poursuite de l'impossible reprise

Avant l'été, l'équipe de LEAP/E2020 avait annoncé qu'il n'y aurait pas de reprise mondiale au rendez-vous de la rentrée 2009 ; et qu'elle n'en prévoyait pas d'ici l'été 2010. En ce mois de Septembre 2009, contrairement au discours dominant aujourd'hui dans les médias et les milieux financiers et politiques, nous maintenons notre anticipation.

Le ralentissement actuel de la vitesse d'effondrement de l'économie mondiale, qui « crée » les « bonnes nouvelles » (1), n'a été rendu possible que par l'immense effort de soutien financier public mondial des derniers douze mois (2). Mais le « temps gagné » grâce à l'argent des contribuables du monde entier aurait dû être consacré à la remise à plat du système monétaire international puisqu'il est au cœur de la crise systémique actuelle (3). Pourtant, en-dehors de considérations cosmétiques (4) et d'immenses cadeaux faits aux banques américaines et européennes, rien de sérieux n'a été entrepris et pour l'avenir, le chacun pour soi s'impose désormais (5).

Et en cette fin d'été 2009, avec les trois vagues scélérates de l'été frappant de plein fouet l'économie mondiale (chômage (6), faillites (7) et chocs monétaires (8)), le temps de réparation du système, ou plus exactement de sa transition en douceur vers un nouveau système global, est passé (9). Les premiers effets du grand découplage (10) se mettent en place dans les faits : le reste du monde s'éloigne rapidement de la zone Dollar.

Des statistiques incohérentes reflètent une économie mondiale chaotique

Nous nous dirigeons donc tout droit vers la phase de dislocation géopolitique prévue pour commencer au quatrième trimestre 2009 (11). Ce GEAB N°37 analyse les tendances en cours (inflation ou déflation, marchés immobiliers, banques, géopolitique, ...) au sein du chaos actuel créé par l'avalanche de fonds publics non maîtrisés et la persistance d'un système financier incontrôlé, sur fond d'incohérences statistiques croissantes. Paradoxalement, cette dislocation est devenue, selon nos chercheurs, la seule voie praticable pour une reprise économique, mais qui se fera selon une architecture globale et des modalités d'interaction entre les sphères économiques, sociales et financières profondément différentes de celles que nous avons connues au cours des dernières décennies. Notre équipe estime en la matière que d'ici l'été 2010 apparaitront clairement les premières caractéristiques du « monde d'après la crise ». Nous allons d'ailleurs nous attacher à les identifier dans les mois à venir.

Mais en attendant, comme anticipé dans les précédents GEAB, plus personne ne peut désormais reconstruire d'images cohérentes de la réalité économique mondiale actuelle à l'aide des statistiques macroéconomiques de plus en plus contradictoires ou tout simplement aberrantes (12). A force de manipuler les données et les instruments de mesures (13) et de se limiter au Dollar US comme étalon de valeur alors que ses variations sont de plus en plus chaotiques (14), ni les gouvernements, ni les institutions internationales, ni les banques (15) ne savent plus dans quelle direction le système mondial évolue. La lecture des médias reflète d'ailleurs bien ce chaos qui plonge leurs lecteurs et auditeurs dans des abimes de perplexité : selon les jours, voire dans la même journée, se succèdent des informations contradictoires sur la finance, l'économie ou la monnaie. Gouvernants, chefs d'entreprise, salariés, … économistes ou analystes … en sont réduits au pari pascalien pour évaluer les prochains mois.

Evolution globale de la production, du commerce et des prix à la consommation (2000 – 2009) Source : BRI, 2009
Evolution globale de la production, du commerce et des prix à la consommation (2000 – 2009) Source : BRI, 2009
Pour LEAP/E2020, le graphique ci-dessus illustre une réalité incontournable : la dérive du système économique, financier et monétaire global s'accélère, sa faiblesse atteint des niveaux, inégalés dans l'histoire moderne, qui le rendent désormais susceptible de rupture au moindre choc important : financier, géopolitique ou même naturel (16). Le plongeon vertigineux des Etats dans des déficits publics incontrôlables (17) (puisque les gouvernements sentent que sans leurs plans de soutien public, les économies mondiales vont repartir illico dans leur chute brutale) crée une situation littéralement explosive, avec à la clé une formidable hausse des prélèvements fiscaux du Japon à l'Europe en passant par les Etats-Unis. S'il y a une reprise en vue, c'est bien celle des hausses d'impôts. D'ailleurs, les électeurs japonais, face à un taux de chômage historique et à une économie toujours en chute libre, ont décidé de chasser les dirigeants en place dans leur pays depuis des décennies : ils ne sont que les premiers à entamer le grand chambardement politique de la prochaine phase de la crise (18). L'administration Obama a ainsi découvert avec surprise cet été la profondeur de la colère populaire qui s'est fixée sur son programme de réforme du système de santé (pourtant bien nécessaire) .

Evolution du coût d'affrètement pour les navires containers (en USD/jour) - Comparaison entre les premiers semestres 2008 et 2009 - Source : Spiegel / ISL Port Monitor
Evolution du coût d'affrètement pour les navires containers (en USD/jour) - Comparaison entre les premiers semestres 2008 et 2009 - Source : Spiegel / ISL Port Monitor
Pour représenter la crise aujourd'hui, notre équipe a tenté de trouver une image simple. Voici l'analogie qui s'est imposée à nos chercheurs : une balle en caoutchouc rebondissant de marche en marche dans un escalier : si elle semble remonter à chaque marche par effet rebond (donnant un moment l'impression que sa chute s'est arrêtée), c'est pour tomber encore plus bas à la marche suivante, pour effectuer une « reprise » de sa chute.

Des acteurs économiques et des dirigeants politiques « déboussolés »

Bien entendu tout cela ne crée pas un environnement très propice à l'investissement des entreprises. Les capacités de production sont sous-utilisées partout dans des proportions historiques. Les stocks ne sont plus renouvelés qu'au compte-goutte (ce qui élimine tout espoir de reprise du fait de leur reconstitution). Les consommateurs sont redevenus des acteurs économiques rationnels : pas d'argent, pas d'achat. Leurs salaires diminuent quand ils ne sont pas tout simplement perdus faute d'emploi, les banques ne prêtent plus car elles savent qu'elles sont elles-mêmes toujours insolvables (malgré la poudre « dorée » lancée aux yeux de l'opinion publique ces derniers mois) (19). Et l'état à lui tout seul ne peut pas se substituer à la frénésie de consommation du passé. Aux Etats-Unis, un retour à la situation ex-ante demanderait environ 2.500 milliards de liquidités dans l'économie chaque année. Le stimulus de Barack Obama, avec ses moins de 400 milliards par an sur deux ans est assez loin du compte s'il doit pallier simultanément la défection des ménages et des entreprises. Malheureusement, c'est pourtant exactement la situation actuelle de l'économie US.

Evolution des ventes de détails aux Etats-Unis au cours des récessions récentes - (Base 100 au début de chaque récession, durée en mois) - Source : Financial Sense, 2009
Evolution des ventes de détails aux Etats-Unis au cours des récessions récentes - (Base 100 au début de chaque récession, durée en mois) - Source : Financial Sense, 2009
Mais en la matière, les Américains ne sont pas seuls. L'Asie et l'Europe connaissent elles aussi une terrible montée du chômage que les manipulations statistiques (20) ne peuvent pas cacher au-delà de la période estivale : chômeurs éradiqués des listes d'indemnisés, jeunes placés dans des stages d'attente ou chômeurs recrutés pour des travaux publics de courte durée, licenciements retardés via des mesures d'indemnisation du chômage partiel, usines maintenues artificiellement en activités par des subventions publiques , … de Pékin à Paris, en passant par Washington, Berlin, Londres ou Tokyo, toutes les mesures sont bonnes pour essayer de cacher la réalité le plus longtemps possible … en attendant la reprise. Mais, hélas, la reprise ne viendra pas à temps. C'est Blücher à la place de Grouchy (21). En guise de reprise à la rentrée, ce sont les conséquences des trois vagues scélérates de l'été 2009 qui surgissent :

. l'évidence du chômage de masse, notamment en fin d'indemnisation et ses conséquences désastreuses sur la stabilité politique et sociale des pays

. l'explosion du nombre de faillites d'entreprises, de collectivités, … et des déficits publics de toute nature

. et bien entendu les conséquences de l'ensemble sur le Dollar, les bons du Trésor US (et le Royaume-Uni en dommage collatéral) (22).

La première vague a déjà pleinement atteint le rivage de la fin de l'été 2009. La seconde est en cours. Et la troisième commence à être bien visible.

Toujours est-il que si la zone Euro et l'Asie en général sont mieux placés pour faire face à l'impact de ces vagues (comme analysé en Octobre dernier dans le GEAB N°28), elles ne sont pas non plus en mesure de rebondir. Néanmoins, c'est sur les Etats-Unis, le Dollar et les Bons du Trésor US d'une part, et le Royaume-Uni et la Livre d'autre part, que les conséquences de ces trois vagues vont s'exercer brutalement. Le rêve estival a lui aussi une fin !

En revanche, pour ceux qui ont encore les moyens de voyager, les vacances peuvent continuer car hôtels, compagnies aériennes, clubs de vacances … bradent les prix à des niveaux jamais vus. Un autre signe évident de « reprise » !

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Notes:

(1) Par exemple, parler en pourcentage fait partie de l' « euphorisation » de l'été 2009. Ainsi, nombre de banques dont la valeur en bourse était tombée proche de 0 ont-elles pu clamer ces derniers mois des « rebonds » de +200%, +300% ou + 500%. Il suffit par exemple de consulter l'évolution des cours de Natixis, Citi ou Royal Bank of Scotland, pour comprendre le piège : regagner 500% quand l'action est tombé à 1, cela vous fait 5 … ce qui vous laisse toujours une perte de 40 si vous l'avez acheté il y a 2 ans (ou si vous avez emprunté contre cette garantie).

(2) L'annonce par la France que l'état prolonge jusqu'à la fin 2010 son soutien aux banques en est une parfaite illustration. Source : Reuters, 13/09/2009

(3) Voir le communiqué publié par LEAP dans le Financial Times à la veille du Sommet du G20 de Londres en Avril dernier.

(4) La « chasse aux bonus des traders » est une action moralement salutaire, mais elle ne doit pas faire oublier qu'ils ne sont que les « corsaires » des banques qui les emploient et des places financières qui hébergent ces dernières. Ce sont leurs employeurs et leurs hébergeurs qui leur accordent leurs « lettres de marque » (ou devraient-on dire de bonus ?) et qui les autorisent à écumer les océans de la finance mondiale. Limiter les bonus au montant de leur salaire obligerait les banques à les employer en tant que capitaines aux longs cours, au lieu de flibustiers.

(5) Source : Times, 02/09/2009

(6) Aux Etats-Unis, le rythme réel d'accroissement du chômage continue à s'établir entre 600.000 et un million de personnes par mois si on y intègre tous ceux qui cessent de chercher un emploi (source : CNBC/New York Times, 07/09/2009). Et, pour avoir un aperçu de la vague socialement explosive qui frappe l'économie US, en Californie, depuis le 1er Septembre, ce sont 143.000 chômeurs supplémentaires qui ont épuisé leurs droits (avec leurs familles, cela fait près d'un million de personnes dans la détresse … pour le mois en cours) – source : MyBudget360, 02/09/2009. En Europe, en Asie, … partout les taux de chômage s'orientent vers un dépassement des pics historiques modernes d'ici la fin 2009 (avec 5,7%, le Japon a déjà franchi son seuil historique en Juillet – source : Japan Times, 08/09/2009) ... et ce malgré des manipulations tous azimuts pour faire baisser les chiffres.

(7) A titre anecdotique, il y a eu plus de faillites bancaires aux Etats-Unis entre la sortie du GEAB N°36 (15 Juin 2009) et celle du GEAB N°37 (15 Septembre 2009) que dans toute l'année 2008, dont 2 des quatre plus importantes de l'année. Mais évidemment, les médias ne peuvent pas titrer sur la grippe A et sur ces faillites en même temps. Il en est de même pour le taux de faillite des entreprises américaines qui atteint son plus haut historique à 12,2% (source : Yahoo, 09/09/2009). En Espagne, le nombre de faillite pour le premier semestre 2009 est équivalent à trois fois celui de toute l'année 2008 (source : Spanish News, 06/08/2009). En France, le patronat s'attend à 70.000 faillites d'entreprises d'ici la fin de l'année (source : Capital, 02/09/2009).

(8) L'affaiblissement accéléré du Dollar US crée un nouveau stress monétaire mondial et la prochaine demande, par l'administration Obama, d'augmentation de 1.500 milliards USD du plafond d'endettement fédéral US autorisé ne risque pas de calmer la fuite hors de la devise US. Le plafond de 12.000 milliards USD d'endettement est en effet en train d'être atteint. Sources : Wall Street Journal, 12/09/09 ; Bloomberg, 08/09/2009 ; Wall Street Journal, 12/09/09

(9) Nous avions indiqué qu'une telle « fenêtre d'opportunité » existait entre le printemps et l'été 2009. Cette fenêtre est désormais fermée.

(10) Voir GEAB N°22, 02/2008

(11) Voir GEAB N°32, 02/2009.

(12) Comme les baisses du chômage américain et français du début de l'été ou les taux de croissance de la production chinoise. Sources : New York Times, 10/08/2009 ; Expansion, 27/07/2009 ; Wall Street Journal, 25/05/2009

(13) Il s'avère très utile de lire l'article de Marion Selz intitulé « Les statistiques, un service public détourné » traintant d'un récent ouvrage collectif réalisé dans l'anonymat par des statisticiens français au titre évocateur « Le grand trucage : comment le gouvernement manipule les statistiques » . Nul doute qu'en cette période de crise globale, les informations dévoilées s'appliquent à tous les gouvernements de la planète. Source : La vie des idées, 02/09/2009

(14) Quand le 15 Février 2008, dans le GEAB N°22, nous avions annoncé que l'on s'orientait vers un « Dollar carry-trade », nombreux étaient ceux qui trouvaient impensable une telle évolution. Pourtant aujourd'hui, c'est exactement ce qui se passe sur les marchés monétaires. Source : Le Monde, 12/09/2009

(15) Qui se sont empressées d'obtenir en Avril 2009 (source : Bloomberg, 02/04/2009) le droit de revenir au système de « juste valeur » (j'estime que mon actif vaut 100) au lieu de maintenir la valorisation de leurs actifs au « prix du marché » (sur le marché, ton actif vaut 10)… et donc persistent à garder dans leurs bilans des actifs dont ils ne savent plus du tout ce qu'ils valent réellement; notamment parce qu'ils soupçonnent fort justement ces actifs de ne plus valoir que 10% ou 20% de leur « juste valeur ». Les campagnes et les villes des Etats-Unis, du Royaume-Uni, d'Espagne, de Lettonie, du Japon, de Chine, … sont ainsi pleines de maisons, d'appartements et d'immeubles que personne n'achète car leurs prix sont artificiellement maintenus par les banques très au-dessus des prix du marché, afin que leurs bilans ne fassent pas apparaître qu'elles sont en fait insolvables car leurs actifs sont presque tous « pourris ». Les banquiers aussi tentent de gagner du temps, espérant un retour au monde d'avant. Sont-ils de grands enfants nostalgiques de leur âge d'or? Ou plutôt de graves délinquants qui mettent en péril la société ? L'avenir va prochainement trancher au cours de la phase de dislocation géopolitique globale.

(16) Dans le prochain GEAB, le N°38 qui paraîtra en Octobre, nous ferons une mise à jour de nos anticipations par pays et grandes régions du monde, incluant bien entendu un bilan concernant les cessations de paiement des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

(17) Avec un record d'émissions obligataires en Europe (1.100 milliards € pour la zone Euro en 2009, et plus de 250 milliards € pour le Royaume-Uni) , et un déficit fédéral de 9.000 milliards USD sur les dix ans à venir, aucun doute sur l'aspect incontrôlable de l'affaire. Source : Yahoo/Reuters, 04/09/2009 ; CBS, 25/08/2009

(18) Aux Etats-Unis, en Europe ou en Chine également. Sources : Reuters, 08/09/2009 ; Financial Times, 06/09/2009 ; BBC, 26/07/2009 .

(19) Au sujet des banques, notre équipe recommande chaudement la lecture du remarquable article de Matt Taibbi, « A l'intérieur de la grande machine à bulle américaine » paru dans Rollingstones le 02/07/2009. Il détaille l'histoire de Goldman Sachs et apporte un éclairage essentiel sur les pratiques financières et le rôle central de cette établissement financier dans la crise financière actuelle. A la manière des défuntes compagnies des Indes, ou des ordres templiers, il est probable que d'ici cinq à dix ans maximum le pouvoir politique américain, face à l'effondrement socio-économique du pays et sous la pression populaire, sera obligé de démanteler cette institution qui parasite désormais l'action publique à tous les niveaux.

(20) In fine, ces indicateurs reposent tous sur la mesure de la valeur qu'est le Dollar US. Or si on rapportait la variation de son taux de change sur un écran semblable à celui d'une boussole, on verrait l'aiguille osciller de mois en mois entre le Nord, le Sud, l'Est ou l'Ouest. Pas étonnant que l'ensemble des acteurs politiques, économiques et financiers mondiaux soient donc « déboussolés ».

(21) Napoléon aussi croyait « dur comme fer », lors de la bataille de Waterloo, que la chance allait lui sourire une fois de plus et qu'il allait recevoir un renfort ami (Grouchy) au moment décisif du combat. Hélas, la troupe tant attendue, dont la poussière montrait la progression rapide, s'est avérée être celle d'un renfort ennemi (Blücher). Tout le monde connaît la suite ; et nous ne sommes pas certains que les dirigeants du G20 soient des stratèges aussi expérimentés que l'était Napoléon.

(22) En ce domaine la crise fait parfois preuve d'un «humour très britannique », tout en prouvant qu'on est loin d'avoir vu toutes ses conséquences, puisque Londres doit désormais s'attendre à devoir payer une lourde addition pour sauver de l'effondrement tout son petit réseau de paradis fiscaux. Les îles Caïmans par exemple, ne peuvent même plus payer leurs fonctionnaires. Nul doute que cette perspective va ravir les contribuables britanniques ! Autrement ces îles pourront toujours avoir recours à une idée simple : faire payer des impôts. Source : Guardian, 13/09/2009

LEAP/E2020 - Mardi 15 Septembre 2009

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