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31/08/2009

Contrôles au faciès, une réalité enfin prouvée

Delphine Dauvergne

Une étude financée par Open Society Justice Initiative et menée par deux chercheurs du CNRS, Fabien Jobard et René Lévy, vient de mettre en évidence les logiques policières qui poussent à mener des contrôles d'identités au faciès. Toujours décriés mais rarement prouvés, ces contrôles en disent long sur la perception que les policiers ont du délinquant et de la société.

Les contrôles d’identité au faciès font partie du quotidien des parisiens et des banlieusards. Fondés sur l’apparence et non sur le comportement, leur caractère discriminatoire choque et interpelle. Mais il apparaît souvent illusoire de tenter d'en démontrer le processus. Conduite d'octobre 2007 à mai 2008, l'enquête « Police et Minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris » met en évidence, à partir de 525 contrôles d’identité observés sur cinq sites parisiens (dans et autour de la Gare du Nord et de la station Châtelet-Les-Halles) la logique même du contrôle au faciès. Cette étude est la première à prouver avec des données quantitatives que les contrôles sont injustement répartis.

L’enquête prouve que « selon les sites d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés […]. Les Arabes […] couraient quant à eux 1,8 et 14,8 fois plus de risques que les Blancs ». Les discriminations se font aussi au niveau vestimentaire : « Bien que les personnes portant des vêtements aujourd’hui associés à différentes « cultures jeunes » françaises (« hip hop », « tecktonik », « punk » ou « gothique », etc.) ne forment que 10% de la population disponible, elles constituent jusque 47% de ceux qui ont été effectivement contrôlés ». On constate aussi une « surreprésentation des jeunes » et des hommes chez les contrôlés. Néanmoins, les enquêteurs ont remarqué un résultat paradoxal : « dans le cadre du programme Vigipirate on pourrait s’attendre à ce que les fonctionnaires de police visent, selon toute probabilité, des personnes portant des sacs pouvant contenir des explosifs ou d’autres armes dangereuses. […] ce n’est pas le cas » .

INEFFICACITE DE CES CONTROLES PREVENTIFS

Pourquoi les policiers privilégient-ils les non-Blancs habillés de façon « jeune » au détriment de ceux qui ont des indices objectifs ? Après un contrôle de la sorte, un homme a ainsi répondu à un enquêteur : « Pour les flics, derrière chaque casquette il y a un délinquant. Je comprends qu’ils font leur boulot, mais les plus délinquants sont en costard. Quant il y avait la police de proximité, il y avait plus de dialogue ».

Faut-il y voir les preuves d'un racisme latent ? Ces pratiques relèvent plutôt de la permanence des stéréotypes de délinquants : « Seuls 3% des personnes interrogées ont jugé avoir subi un traitement raciste ou insultant de la part des fonctionnaires ». Cette sélection au faciès est une méthode à remettre sérieusement en question : « le fait que presque un tiers des contrôles aient été des contrôles ordinaires sans autre opération policière et que l’on ait laissé repartir 78% des personnes contrôlées, sans qu’il y ait apparemment besoin de les emmener au poste, conduit à s’interroger sur leur efficacité dans la détection des infractions ».

La conséquence directe de ces contrôles discriminatoires, c'est d'alimenter une haine de la police et une absence de confiance qui rendent très tendus les rapports quotidiens avec la population. Le récent accident à Bagnolet qui a provoqué la mort de Yakou Sanogo lorsqu’il tentait d’échapper à motocross à un contrôle policier montre bien que la suspicion à l’égard de la police est toujours présente.

DES POLICIERS HORS LA LOI

Au delà de l'effet discriminatoire, il faut surtout noter que la pratique des contrôles au faciès est « en contradiction avec la législation nationale française anti-discrimination et le Code de déontologie de la police. Cela contredit aussi les normes européennes sur les droits de l’Homme, qui interdisent les distinctions fondées sur l’apparence si elles sont dépourvues de justification objective et raisonnable ». Le rapport dénonce les méthodes policières qui doivent être davantage réglementées : « Le cadre juridique permissif qui réglemente les contrôles d’identité facilite ces pratiques discriminatoires, en accordant aux fonctionnaires de police un large pouvoir discrétionnaire, sans établir de solides paramètres de définition du soupçon, spécialement dans les zones où se concentrent les opérations de contrôle de l’immigration et les zones Schengen ou Vigipirate ». Il est devenu d'autant plus important que « l’accent mis sur le contrôle de l’immigration, la prévention du terrorisme et la poursuite de la délinquance de voie publique font peser sur les fonctionnaires une obligation de performance qui se conjugue difficilement avec un respect scrupuleux de la non-discrimination ». La traque aux sans-papiers exigée par des quotas élevés à respecter a renforcé cette discrimination sur les ressortissants étrangers. Ces contrôles au faciès découlent donc de politiques à appliquer implicitement.

UNE POLICE REPUBLICAINE ?

Le rapport ne s’est pas contenté de critiquer mais aussi de donner une liste de conseils pour « renouer avec l’essence de l’idéal républicain français ». Aux autorités politiques il les avise de « reconnaître publiquement l’existence d’un problème de contrôle au faciès dans la police française » et de « financer les recherches » sur cette question. A l’égard des policiers, il leur conseille d’ « explique[r] les raisons du contrôle » car « dans 60% des cas l’individu contrôlé ignor[e] les raisons qui ont motivé l’intervention » et l’incompréhension ravive le sentiment d’injustice qui se transforme en rancœur envers la police.

Ce besoin de réglementation est d'ailleurs aussi exprimé par ceux qui font les contrôles. C'est pourquoi, une modification de l’article 78.2 du Code de procédure pénale est soulevée « afin d’interdire explicitement la discrimination raciale, de clarifier et de renforcer l’existence de « raisons plausibles de soupçonner » claires et définies, comme seules justifications des contrôles d’identité ; et afin, également, de clarifier les raisons qui amènent à la palpation ou la fouille des intéressés ». Sortir ces contrôles de l'impunité en contrôlant leur efficacité et leur impartialité pourrait permettre de mettre fin ou tout du moins d'atténuer le « profilage racial » mis en évidence lors de cette enquête.

Encore faudrait-il que les autorités souhaitent y mettre fin. La nomination en décembre 2008 d’un commissaire à l’égalité des chances et les rapports sur des affaires de la sorte de la Commission nationale de déontologie de la sécurité constituent déjà un progrès. Mais pour changer une pratique qui semble bien ancrée dans la tradition policière, cela ne semble guère suffisant.

Regards - août 2009

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