Après s'être acquittés d'un droit d'entrée substantiel au sommet [1] — 590 € pour un lobbyiste professionnel mais... deux fois plus pour les personnes étrangères au cocon [2] — les participants avaient tout loisir de socialiser, d'assister à des exposés sur des exemples de lobbying réussis et de participer à des ateliers et des conférences sur différents enjeux de lobbying et de communication. Les thèmes centraux étaient ceux de l'Initiative de la Commission sur la transparence du lobbying et la campagne d'Obama.

Le mercredi, John Duhig, un ancien fonctionnaire de la Commission devenu lobbyiste [3] expliqua comment, lorsqu'il était employé par Eamonn Europe pour le compte d'une petite compagnie européenne commercialisant des technologies de dépistage du cancer il était parvenu à influencer avec succès la présidence du Conseil qui elle-même convainquit des parlementaires de préparer un rapport sur la lutte contre le cancer. Après quoi, il avait concentré ses efforts sur le rapporteur et les membres de la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire et sur le parlement dans son ensemble afin de faire passer un discret amendement invitant «le Conseil à mettre à jour dans les meilleurs délais sa recommandation relative au dépistage du cancer, de manière à tenir compte du développement rapide des nouvelles technologies, qui n'est pas sans conséquences sur le dépistage du cancer» [4] C'était suffisant déclara-t-il pour ouvrir de nouvelles opportunités de marché à son client.

C'est ensuite Eamonn Bates [5] en personne, promouvant les intérêts d'une autre PME américaine produisant un subsitut des phthalates [6] appelé Citroflex A4, qui décrivit sa stratégie pour bannir les phthalates de l'UE et faire du Citroflex A4 le premier plastifiant de remplacement homologué par le Comité scientifique de la toxicité, de l'écotoxicité et de l'environnement (CSTEE/CSTEE).

Jacek Siwek de l'entreprise des tabacs British American Tobacco [7] expliqua combien les voies du lobbying pouvaient être longues et indirectes dans le domaine fiscal (les détours passant par les états membres, les fédérations de l'industrie etc.) et Christof Klitz de Volkswagen confirma que la menace de licenciements était toujours un bon moyen de faire plier les politiciens.

Mais de façon générale, au-delà de la liste de «trucs et astuces à peu près évidents», la présentation des «meilleures études» de cas par «l'élite européenne des lobbyistes» s'adressant à d'autres lobbyistes resta évasive: pas de noms de clients, pas de dates, pas de techniques spéciales de lobbying, et plus important encore, pas de preuves claires de résultats.

La seule exception notable est venue de Michel Troubetzkoy, chef du bureau d'EADS [8] à Bruxelles et directeur du lobby Club Europe et Défense. Il expliqua que l'Agence de défense européenne (EDA) n'était rien d'autre qu'un enfant d'EADS. [9] Il produisit des documents établissant que la charte organisationnelle qu'il avait proposée pour l'agence était à 95% identique à celle finalement adoptée par le Conseil de l'Union européenne. Pour aider EADS à atteindre ce résultat, Troubetzkoy déclara que sa société avait joui de «contacts directs» avec Valéry Giscard d'Estaing et un «accès très aisé» à Michel Barnier. Le premier était alors le président de la convention constitutionnelle sur le futur de l'Europe (qui proposa la création de l'EDA), le second était Commissaire en charge de la politique régionale (1999-2004) avant de devenir ministre français des Affaires étrangères.

Ces deux jours étaient organisés par l'European Agenda Magazine, publié par une organisation «se décrivant elle-même comme la plate-forme pour la vie professionnelle à Bruxelles qui touche toutes les parties prenantes du processus politique européen, tant les institutions de l'UE, les représentations des régions et des entreprises, les think tanks et autres experts des affaires européennes [10]» et était sponsorisé notamment par le géant des relations publiques Hill & Knowlton [11], la multinationale américaine de l'industrie chimique Dow Chemical, un club privé du gratin européen branché qui se réunit dans une discothèque tous les jeudis et une société fournissant un accès payant à une base de données comptant «plus de 20 000 hommes d'influence dans et autour des politiques européennes»

Observatoire de l'Europe industrielle, 7 décembre 2008

Traduit de l'anglais par Benoît Eugène La version originale de ce texte, parue sous le titre The Silent Bubble est disponible sur le blog du CEO Inside the Brussels' Bubble

L'Observatoire de l'Europe industrielle (CEO) a publié aux éditions Agone, ''Europe Inc. - Comment les multinationales construisent l’Europe & l’économie mondiale'',

EuropeInc

Notes

[1] Site en ligne

[2] Comme on peut le voir sur le formulaire d'inscription en ligne

[3] Voir sa notice biographique sur le site du sommet

[4] Projet de proposition de résolution , «Lutte contre le cancer dans l'Union européenne élargie» (PE398.457v01-00), 11/01/2008, disponible en ligne

[5] Présenté sur le site de Eamonn Bates Europe comme ancien directeur du comité européen des Chambres de commerce américaines (AMCHAM) «qui est un lobby bruxellois pour les 100 première sociétés du classement de Fortune». Pour l'Observatoire de l'Europe Industrielle, «L'AMCHAM est l'un des premiers lobbies industriels à systématiquement surveiller et influencer la Commission européenne», lire «L'AMCHAM au diapason des choeurs industriels de Bruxelles», in ''Europe Inc. Comment les multinationales construisent l'Europe et l'économie mondiale'', Agone, 2005 (NDE).

[6] Composant chimique utilisé comme plastifiant

[7] D'après le site du sommet , il a rejoint cette entreprise dès 1991 et a organisé le rachat et la fusion de la compagnie nationale des tabacs anciennement propriété de l'État polonais (NDE).

[8] European Aeronautic Defence and Space Company

[9] Institution de l'UE créée par le Conseil en 2004 malgré le rejet du tratité constitutionnel européen «pour soutenir les état membres et le Conseil dans leurs efforts pour améliorer les capacités de défense européennes en matière de gestion de crise et de soutenir la politique européenne de défense et de sécurité, telle qu'elle existe aujourd'hui et se développera dans le futur», comme l'indique le site officiel, exclusivement en anglais.

[10] voir http://www.european-agenda.com/aboutus/

[11] Géant américain des relations publiques, lire John Stauber & Sheldon Rampton, ''L'Industrie du mensonge: lobbying, communication, publcité & médias'', Agone, 2004