Les populations indiennes sont les plus touchées par l’émergence des maladies
Le déplacement de la frontière agropastorale dans le nord du pays (qui implique la déforestation de milliers d’hectares) et l’élévation de la température moyenne doivent être comptés, en Argentine, parmi les causes de l’apparition de nouvelles maladies et le retour de maladies qui avaient été éradiquées.
Aux modifications de l’environnement qui favorisent la prolifération des vecteurs –moustiques, souris – et leur contact avec les humains, s’ajoutent des indices de pauvreté élevés (en particulier dans les régions septentrionales) et les déficiences du système de santé publique. Les populations indiennes font partie des secteurs les plus vulnérables.
Actuellement l’Argentine souffre d’une recrudescence de la dengue. À la date du 27 avril, le ministère de la santé a confirmé les chiffres de 6 morts et 13 366 cas, mais ces chiffres officiels sont constamment remis en cause par le corps médical et les syndicats de la santé. D’après l’estimation de l’Administration nationale des laboratoires et instituts de santé, le panorama est plus complexe. Cet organisme a signalé dans son Plan Stratégique 2008/2011, l’émergence de l’hantavirus et de la leishmaniose « en relation étroite avec la détérioration de l’environnement ».
Depuis 1995 on enregistre des résurgences cycliques de l’hantavirus dont le vecteur est la souris à queue longue. D’après le ministère de la santé, à la date du 6 avril, 23 cas de contagion avaient été enregistrés, soit 17 cas de plus qu’à la même époque en 2008. On a assisté également, dans le nord-est du pays, à la réapparition de la fièvre jaune qui, après 42 ans de rémission, a causé la mort de 2 personnes depuis mars 2008.
Dans le même temps, la maladie de Chagas persiste, particulièrement dans le Nord – dans la province du Chaco – du fait qu’aucune campagne de lutte n’est menée. D’après l’Association de lutte contre la maladie de Chagas, le système sanitaire est insuffisant aussi bien en matière de dépistage et de traitement de la maladie qu’en matière d’élimination du vecteur, la vinchuca [2].
Frontière agricole repoussée
« La déforestation et l’incendie de bois et de collines pour ouvrir des terres à la culture du soja a provoqué la migration des moustiques vers d’autres zones où ils ont trouvé des conditions optimales à leur survie » signale l’ingénieur agronome Javier Souza Casadinho du Réseau d’action sur les pesticides et leurs alternatives pour l’Amérique latine (RAPAL) dans l’article largement diffusé sur internet intitulé « À propos de la dengue, quelques jalons pour la réflexion ».
Cet article attire également l’attention sur l’élévation de la température et la modification du degré d’humidité. En conséquence de ces modifications, le moustique aedes aegypti, transmetteur de la dengue, a proliféré bien au delà du 35ème degré de latitude Sud qui était sa limite historique – Buenos Aires est sur le 34éme parallèle.
Souza Casadinho soutient que, parmi les multiples causes, on doit prendre en compte l’utilisation des pesticides – en particulier l’acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (2,4D) et le glyphosate [3] – et les insecticides de la famille de l’endosulfan, qui ont de graves incidences sur le développement des prédateurs naturels des animaux vecteurs, comme les crapauds et les poissons.
« En repoussant la frontière des zones agricoles, l’homme empiète sur l’habitat naturel de quelques animaux et, de ce fait, ceux-ci vivent de plus en plus près des agglomérations humaines et transmettent ainsi la maladie » explique Carlos Morales Peña, responsable du programme sanitaire du service de relations interculturelles du ministère de la santé de Salta.
Au cours d’un entretien avec Noticias Aliadas, Morales Peña a affirmé que la déforestation « est directement impliquée dans les pathologies comme la leishmaniose (plus encore que pour la dengue) et même dans la réapparition de quelques cas de rage (paralysante) causés par des attaques de chauves-souris ».
Depuis le mois de février, la presse du nord-est de l’Argentine atteste de cas de leishmaniose viscérale chez les chiens, dans les provinces de Corrientes et Misiones principalement. Dans ses déclarations à la revue Ciencia y Técnica, de l’Université nationale du Nord-Est, le médecin épidémiologiste Jorge Gorodner a sonné l’alerte : « La leishmaniose est en expansion et une politique sanitaire adéquate pour assurer la prévention et la maîtrise de l’épidémie fait défaut ». Depuis 2006, 36 personnes ont contracté la variante viscérale de cette maladie – il en existe aussi une variante cutanée et muco-cutanée – et 4 en sont mortes.
Pauvreté, dénutrition et mortalité
D’après l’Institut national des statistiques et recensements (INDEC), organisme d’État, au cours du premier semestre 2008, 17,8% de la population était pauvre. L’Institut argentin pour le développement des économies régionales (IAPER), organisme privé, par un calcul « sur la base de niveaux d’inflation plus réalistes », évalue le taux de pauvreté national à 31,5%. D’après l’INDEC et pendant la période considérée, la pauvreté dans la ville de Resistencia, capitale du Chaco, touchait 35,4% de la population alors que pour l’IADER, elle s’élevait à 49,3%. D’après l’étude de l’organisme privé, les provinces les plus touchées sont les provinces septentrionales. Dans le Nord-Est, l’indice de pauvreté de Corrientes (46,6%), se situe immédiatement après celui du Chaco, suivi de Misiones (46,1%) et Formosa (45,5%). Dans le Nord-Ouest, les chiffres sont assez voisins : Santiago del Estero 45,9%, Jujuy 44,3%, Salta 43,6% et Tucumán 41,4%.
Le nord du pays présente également les indices les plus élevés de dénutrition, de mortalité infantile, de cas de maladie de Chagas et de tuberculose ; les communautés indiennes représentent le secteur le plus vulnérable, avec les créoles pauvres. Au milieu de l’année 2007, une vague de froid sur la région dite « L’Impénétrable » – forêt fermée sur elle-même de 40 000 km2, dans la province du Chaco (Nord-Est) – provoqua la mort de 22 Indiens tobas et wichí dont la santé était ruinée par ces maladies et une alimentation insuffisante.
Le Chaco souffre des conséquences du déplacement de la frontière agropastorale. La culture du soja implantée sur les terres du sud et du centre de la province, a repoussé plus au nord les exploitations d’élevage en gagnant sur la forêt. À cela, il faut ajouter les incursions des exploitants illégaux de bois précieux. C’est ainsi que le territoire, qui, autrefois, fournissait refuge et nourriture aux peuplades tobas et wichí, est en train de disparaître à une vitesse vertigineuse et avec lui l’autosuffisance alimentaire de ces populations.
En décembre 2007, la Cour suprême de justice a sommé le gouvernement national et les gouvernements provinciaux de garantir l’assistance médicale et alimentaire aux populations, mais le Centre d’études Nelson Mandela a dénoncé en mars dernier l’absence de changement significatif. Selon cette organisation de défense des droits humains, en 7 mois – entre août 2008 et mars 2009 – dans les environs de Villa Río Bermejito, 10 enfants tobas de moins de un an sont morts de dénutrition ou de maladies liées à une situation sanitaire et alimentaire extrême.
La région de Misiones connaît une situation similaire. « Les communautés guaranis subissent une dégradation occasionnée par un indice élevé de dénutrition. En perdant leurs territoires ancestraux, ils ont été privés de leur nourriture originelle, des animaux sauvages, des fruits sauvages et du miel. Et en même temps qu’on les prive de leurs aliments traditionnels, on leur propose en remplacement de la nourriture achetée dans les supermarchés, aliments dont ils ignorent les combinaisons et les proportions » explique à Noticias Aliadas Angela Sánchez, promotrice de l’éducation bilingue dans la province.
« Ceci a pour conséquence que la majorité des enfants guaranis souffrent de dénutrition dans leur petite enfance. Pourquoi ? Parce que leur mères sont déjà sous alimentées et elles mettent au monde des enfants dénutris », ajoute Madame Sánchez.
La forêt du Paraná est en train de disparaître pour laisser place à des plantations forestières et des aménagements touristiques pharaoniques. « La région de Misiones est riche de ses forêts, de ses sols, de ses eaux. En quoi sommes-nous en train de la transformer ? En un petit désert planté de pins » déclare-t-elle.
« Sans aucun doute, tout ce qui altère l’écosystème des êtres humains a une incidence dramatique, particulièrement sur les aborigènes. Chaque fois que l’on empiète sur leur habitat, cela signifie maladie inévitablement » souligne Morales Peña, responsable du programme sanitaire du service des relations interculturelles.
En ce qui concerne la situation telle qu’elle se présente dans la province de Salta, Morales Peña se risque même à dire : « Nous allons prendre un exemple grossier qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. Imaginons que l’on observe une zone où l’on compte 10 cas d’enfants entre un et quatre ans, morts pendant une période donnée. Lorsqu’on analyse plus avant ce chiffre, on se rend compte que sur les 10 cas, 7 sont des aborigènes ».
Notes
[1] Pour en savoir plus sur les différentes maladies ou insectes évoqués, vous pouvez cliquer sur leurs noms, cela vous renverra à la page correspondante de l’encyclopédie Wikipédia.
[2] Cet insecte piqueur appartient à la famille des punaises.
[3] Le glyphosate est plus connu sous le nom de Roundup, nom sous lequel il a d’abord été commercialisé par Monsanto.
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